Mobily-Cités a organisé, le 6 février 2025, une matinale sur la politique des transports et la transition énergétique en Ile-de-France. La volonté des élus de favoriser le transfert modal de la voiture vers les transports en commun, se heurte notamment à la complexité de la gouvernance, des incertitudes réglementaires et financières, et à la difficulté d’anticiper les attentes des usagers…
« Job is done », a lancé François Warnier de Wailly, directeur du programme Bus 2025 du groupe RATP lors de la Matinale Mobily-Cités consacrée aux enjeux de transition énergétique en Ile-de-France le 6 février 2025. A date, 1300 bus bioGNV, 1000 électriques et environ autant d’hybrides circulent sur les 4800 exploités par le groupe qui opère principalement à Paris et en petite couronne. En outre, il n’en reste plus que quatre dépôts bus à transformer sur les 25 pour accueillir les nouvelles flottes de bus propres.
Au niveau de l’Ile-de-France, le cap des 50% de bus propres a été franchi, en 2025, grâce à la livraison de 1000 nouveaux autobus électriques ou biométhane, et la construction de centres bus adaptés, a annoncé Grégoire de Lasteyrie, vice-président de la Région Ile-de-France en charge des Transports. « Job is almost done », a ainsi tempéré Jean-Baptiste Hamonic, vice-président de Saint-Quentin-en-Yvelines en charge des transports et de la mobilité durable. L’élu estime néanmoins que la Région atteindra, comme prévu, son objectif de 100% de bus propres à l’horizon 2029. Il y a urgence, car le coût climatique et sanitaire de la pollution a été estimé à 1 Md€ en 2020 selon l’étude réalisée par l’ENSAE-Paris. Et le moyen de transport qui contribue à 85 % de ces coûts, c’est la voiture, a souligné Marion Leroutier, enseignant-chercheuse en économie à l’école d’ingénieurs.
Si la RATP considère que la transition énergétique est désormais achevée avec notamment ses installations bio GNV et ses centre bus électriques, le groupe travaille désormais sur l’optimisation de ces installations : « Le nouveau paradigme est de baisser le coût énergétique au regard du nombre de kilomètres voyageurs », a insisté François Warnier de Wailly. Ainsi, la RATP travaille, par exemple, sur le smart charging dynamique afin de recharger ses bus électriques à un coût carbone le plus bas, mais également sur l’optimisation de ses stations de compression de GNV afin d’appeler de la puissance électrique quand celle-ci est la moins carbonée.
Reste que cette transition énergétique est encore soumise à plusieurs incertitudes réglementaires et financières liées à l’adoption en 2024 de deux textes législatifs européens, celui sur la norme Euro 7 pour les moteurs et le règlement CO2 pour les véhicules lourds qui concerne les cars et bus. Ce dernier texte impose une réduction de 45% des émissions de CO₂ à horizon 2030 par rapport à 2019. « Cela signifie qu’il faut multiplier par deux les efforts sur les bus : chez Iveco, nous sommes prêts car nous avons doublé nos capacités de production, mais nous sommes inquiets sur la capacité des collectivités à financer ces investissements », a souligné Jean-Marc Boucheret, responsable de la mobilité durable des transports publics d’Iveco. En effet, le plan de sortie de Covid s’arrête à mi-2026 et les nouveaux mécanismes de financement européens tardent à arriver. Pour Jean-Marc Boucheret, la solution pourrait passer par l’anticipation de la clause de revoyure prévue en 2027 avec la reconnaissance des carburants neutres en carbone.
Des alternatives au tout électrique
« Le gaz a toute sa place, a déjà sa place et aura toute sa place à l’avenir, particulièrement le gaz issu du cycle de méthanisation », a ainsi assuré Jérôme Douy, responsable relation mobilité marché public de GRDF. D’ailleurs, 44 000 véhicules roulent déjà au bioGNV à fin 2024 dont un tiers circule en Ile-de-France. La région compte 60 sites de méthanisation, qui représentent 1 TWh produit, soit l’équivalent de la consommation de 5000 bus. En outre, il existe 43 stations d’avitaillement dont 19 sont installées dans la ZFE. Seul bémol, le manque de foncier pour installer de nouvelles stations qui sont pourtant au cœur du déploiement de cette solution. « Cela fait partie des sujets sur lesquelles il faut vraiment que nous travaillons avec les territoires », a souligné Jérôme Douy.
Autre énergie alternative à l’électrique, les biocarburants. Le B100, c’est aujourd’hui 18 000 véhicules, 1800 cuves installées. « En matière de transition énergétique, il faut agir tout de suite et pour cela, il existe des énergies qui sont disponibles immédiatement », a souligné Bastien Le Bouhellec, directeur d’Oléo 100 (filiale du groupe Avril). Autre avantage, ce biocarburant, issu du colza, répond aussi à un enjeu de « souveraineté énergétique et alimentaire », a-t-il souligné. En revanche, Bastien Le Bouhellec a reconnu qu’il existait des tensions sur l’offre à l’échelle française et européenne, car ces matières premières se retrouvent en concurrence d’usage avec l’HVO et le SAF notamment. En outre, sa production est plafonnée au niveau européen, que ce soit pour les biocarburants liquides ou gazeux afin d’éviter les problèmes de disponibilité de la biomasse, la déforestation et la fraude.
Malgré ces obstacles, tous les intervenants ont reconnu qu’il y avait une volonté politique forte de réussir : le plan de mobilité de l’Île-de-Fance, qui a pour ambition de réduire de 15% la part modale de la voiture d’ici à 2030, est complémentaire des différents plans climat (PCAET) des intercommunalités. « Nous avons des objectifs communs, mais avec des échéances différentes. Il n’est pas toujours facile de s’y retrouver. Cela nécessite une coordination des acteurs », a reconnu Jean-Baptise Hamonic…
Une gouvernance problématique
« La gouvernance en Ile-de-France est à réinventer. Que ce soit pour les projets globaux ou très locaux, sa complexité ne nous aide pas », a expliqué Laurent Probst, directeur général d’Ile-de-France Mobilités, lors de table ronde consacrée à « La politique de transports en Île-de-France : un modèle à réinventer ? ». Même sentiment du côté des élus locaux : « Le millefeuille administratif complique notre travail. Si a minima les compétences pouvaient être mieux définies, cela nous aiderait grandement », a expliqué Françoise Lecoufle, maire de Limeil-Brévannes. De son côté, le président de la Fnaut, François Delétraz, a souligné les absurdités de cette organisation territoriale : « Ile-de-France Mobilités ne gère pas la voirie contrairement aux autres métropoles : ainsi, la Mairie de Paris a pris la décision de supprimer 35 km de couloir de bus pour faire des pistes cyclables sans demander son accord à Ile-de-France Mobilités. Résultat, une vitesse commerciale divisé par trois pour les bus, et en conséquence une baisse de leur fréquentation… ».
« Pour réussir le transfert modal de la voiture vers les transports en commun, il faut trois conditions : une qualité d’offre, une facilité d’usage et un prix abordable. Et c’est dans cet ordre là », a insisté François Delétraz. Côté offre, Ile-de-France Mobilités a investi, au total, plus de 200 M€ pour aller chercher les habitants au plus près de chez eux. « Aujourd’hui, notre objectif est de cibler les personnes qui prennent leur voiture, a expliqué Laurent Probst. Cela passe par augmentation de l’offre de bus en grande couronne et de nouveaux services de transport comme le TaD. »
Faciliter l’usage suppose d’améliorer l’intermodalité, l’information voyageurs et la billettique. Si l’aménagement des pôle gares relève des compétences des collectivités, Ile-de-France Mobilités les aide à concevoir les projets et cofinance les travaux : « Par exemple, sur les 68 gares du Grand Paris Express, nous allons investir à peu près 400 M€ pour que l’intermodalité soit la plus efficace possible », a déclaré Laurent Probst. S’agissant de l’information voyageurs, Ile-de-France Mobilités a déboursé 100 M€ pour réunir les différents modes de transport sur une seule plateforme et redistribuer cette info à tous les acteurs afin de faciliter les déplacements en transport en commun. Autre facteur d’attractivité, la billettique. Laurent Probst a rappelé la simplification de la tarification en Ile-de-France entrée en vigueur au 1er janvier 2025, avec notamment la carte Liberté+ qui permet désormais de voyager partout en Ile-de-France. Un plan à 400 M€ qui s’achèvera fin 2025 avec l’installation du passe Navigo annuel sur les smartphones.
François Delétraz a regretté qu’IdFM n’ait pas fait le choix du paiement par CB, à l’instar de métropoles comme Lyon, Aix-Marseille, Toulouse mais aussi de villes moyennes comme Montargis, Dijon, Angers, Rouen, Amiens, Nevers, Châlons-en-Champagne, La Rochelle et Chartres. Outre la facilité d’usage, la validation par CB présente l’avantage d’augmenter de 20% les recettes commerciales, selon la Fnaut. Laurent Probst a expliqué que lorsqu’Ile-de-France Mobilités avait imaginé son plan de transformation de la billettique en 2016, ils étaient convaincu que la carte bancaire physique aurait disparu au profit du mobile…
S’agissant du prix, le Navigo demeure le passe le moins cher au monde au regard du bouquet d’offre, « même si personne ne le dit », a souligné François Delétraz : « Les études que nous avons faites montrent que ceux qui se plaignent du prix, sont les personnes qui ne prennent pas les transports en commun ! » Il y a aussi ceux qui se plaignent des aménagements censés leur faciliter la vie. Noisy-le-Grand en a fait l’amère expérience avec son plan global de zones 30… La municipalité a alors décidé de repartir à zéro et de consulter les habitants en faisant appel à des volontaires pour co-construire un nouveau projet : des constats partagés au vote en passant par les choix de solutions techniques, cela a permis d’aboutir à des décisions plus consensuelles. « Dans le quartier du Marnois par exemple, Il y avait 70 participants. Il y a eu un vote contre, deux abstentions, et les autres étaient tous pour. Avec des applaudissements à la fin », a raconté Richard Testa, conseiller municipal délégué aux transport à Noisy-le-Grand. Un comité de suivi est chargé de faire remonter les observations des riverains pour corriger ce qui ne fonctionne pas : « Désormais, je n’ai plus de plaintes, donc ça doit marcher… »
Anticiper la demande et les usagers
Les opérateurs entendent aussi jouer un rôle de conseil auprès des AOM en misant sur leur ancrage territorial. « Notre rôle est aussi de capter l’ensemble des besoins et de les partager avec Ile-de-France Mobilités, mais aussi d’être en capacité de pouvoir traduire ces attentes en actions concrètes », a souligné Pierre Talgorn, directeur général adjoint France de Transdev. L’exploitant accompagne également les AOM sur le digital avec, par exemple, des outils de suivi de la charge des bus, qui viennent enrichir les applications d’Île-de-France Mobilités. Transdev vient aussi de lancer le think and do tank Geonexio qui va s’appuyer sur les traces des téléphones mobiles pour analyser les flux origine-destination, et permettre à Transdev d’être plus pertinent encore sur ses propositions de transport aux AOM.
Reste qu’il sera toujours difficile d’anticiper la fréquentation et les usages d’un tout nouveau mode de transport comme le câble C1 qui va relier Villeneuve Saint-Georges à Créteil en 2025. « Je pense que nous devons nous attendre à des centaines voire des milliers de touristes qui se rendront sur le coteau du plateau de Brie et qui prendront peut-être un vélo pour aller se balader dans nos forêts. Or, nous n’avons pas vraiment les équipements pour les accueillir », a expliqué Françoise Lecoufle, maire de Limeil-Brévannes qui accueillera trois stations sur sa commune sur les cinq. Les stations n’ont pas prévu de parking aux abords, un choix délibéré destiné à privilégier le rabattement en bus et les modes doux, et qui est lié à la capacité d’emport limitée du téléphérique, équivalente à un bus à haut niveau de service. Et l’élu de conclure : « Nous nous demandons aussi si le câble C1 va remettre en cause la deuxième voiture au sein des ménages de notre territoire… On a beau tenter d’anticiper les effets, à certains moments, notre capacité d’imagination est un peu restreinte. »
Florence Guernalec