Alors que l’appétence pour le train n’a jamais été aussi forte, l’offre de TGV en France peine à répondre à la demande. Si l’année 2015 marquait un sommet historique avec 72 980 millions de sièges-kilomètres offerts (SKO), la situation s’est considérablement dégradée depuis. En 2023, l’offre Inoui accuse une baisse notable de 24 % par rapport à cette référence, malgré une croissance constante du nombre de voyageurs. Ce paradoxe entre une demande florissante et une offre stagnante interroge, tant sur les choix stratégiques que sur les enjeux économiques et sociaux liés au transport ferroviaire.
L’arrivée de Ouigo en 2016, censée démocratiser l’accès à la grande vitesse, n’a que partiellement compensé cette réduction. En 2023, l’offre totale de TGV (Inoui et Ouigo) atteint 71 861 millions de SKO, en recul de 1,4 % par rapport à 2022. Cette situation limite l’accès au train pour de nombreux voyageurs, notamment ceux qui possèdent des cartes Avantage ou Liberté. Ces derniers constatent une réduction de leurs possibilités de réservation, aggravée par une augmentation significative des prix. Entre 2022 et 2023, la recette par passager-kilomètre transporté a augmenté de 6 % pour Inoui et de 9 % pour Ouigo, des hausses bien supérieures à l’inflation.
Le phénomène est encore accentué par la politique de tarification de Ouigo. Initialement pensée comme une offre low-cost, cette marque a vu ses prix augmenter régulièrement, rendant l’écart avec Inoui de plus en plus ténu. En moyenne, le tarif d’un trajet Ouigo est passé de 27,60 € en 2019 à 34,20 € en 2023, soit une hausse de 24 %. Paradoxalement, dans certains cas, les conditions de voyage et les politiques de remboursement plus flexibles font d’Inoui une alternative plus avantageuse.
Au-delà des choix tarifaires, les raisons structurelles expliquent en partie cette situation. La flotte de TGV, volontairement réduite de 100 rames en 2013 sous injonction de l’État, ne suffit plus à absorber la demande. Les retards dans la livraison des nouvelles rames TGV M par Alstom aggravent le problème. Pire encore, certaines rames TGV Duplex ont été déployées en Espagne pour concurrencer Renfe, privant le réseau français de capacités essentielles.
Les choix économiques posent également question. En France, le financement du réseau ferroviaire repose lourdement sur les passagers, à l’inverse de la route subventionnée par l’État. Sur un billet à 100 euros, moins de 50 % revient à SNCF Voyageurs, le reste étant absorbé par des taxes et des redevances. Ce modèle limite la compétitivité du train face à d’autres modes de transport, freinant ainsi le report modal de la voiture vers le rail, pourtant indispensable à la décarbonation du secteur.
Ce constat interpelle : alors que les politiques publiques prônent une mobilité durable et un renforcement du transport collectif, les moyens alloués à la grande vitesse restent insuffisants. La hausse des prix, la saturation des trains et le manque de rames disponibles entravent l’accès au train pour une grande partie de la population. Pour répondre à ces enjeux, il est urgent de repenser les investissements dans le ferroviaire et de garantir une accessibilité tarifaire compatible avec les ambitions écologiques et sociales du pays.
L’offre TGV, autrefois vitrine de l’excellence ferroviaire française, est aujourd’hui à la croisée des chemins. Entre contraintes économiques et attentes croissantes des voyageurs, il s’agit de réconcilier efficacité, équité et durabilité pour redonner à la grande vitesse sa place centrale dans la mobilité française.
Noémie Rochet