Jean Luc Gibelin
Jean-Luc Gibelin
Vice-président de la Région Occitanie chargé des Mobilités pour tous et des Infrastructures de Transports

« L’État se désengage de ses responsabilités en matière d’infras »

 

La Région Occitanie a connu une hausse spectaculaire de la fréquentation de ses TER en 2024 et prévoit d’atteindre les 100 000 voyageurs/jour. Jean-Luc Gibelin, vice-président de la Région Occitanie chargé des Mobilités pour tous et Infrastructures de Transports, déplore néanmoins le désengagement de l’Etat dans le financement des infrastructures, qui freine ses ambitions.

Mobily-Cités : Carole Delga a plaidé en faveur de la création d’un versement mobilité [VM] régional. Pourquoi ce nouvel impôt est important pour les Régions ?

Jean-Luc Gibelin : La dotation de l’Etat des trois dernières années 2023-2024-2025 représente une baisse totale de 400 M€ sur notre budget. La question du financement est donc centrale d’autant que notre ambition pour les mobilités reste intacte. Un VM régional pourrait rapporter jusqu’à près de 80 M€ par an environ pour l’Occitanie. Cette somme serait affectée au financement de la commande de rames de trains liO (Regio2N), qui reste une priorité pour nous. Cependant, nous restons prudents, car le montant perçu va dépendre de la manière dont le dispositif sera appliqué. En effet, nous ne savons pas si le taux de 0,15% sur la masse salariale s’appliquera à l’ensemble de la région, aux seuls périmètres des AOM, ni si cela impliquerait l’organisation d’un service sur le territoire où ce VM serait prélevé… C’est pourquoi nous sommes, désormais, dans l’attente des décrets d’application du PLF 2025.

En attendant, cette baisse des dotations de l’Etat entraîne la suspension de la commande de 18 rames de trains et un arrêt du financement d’infrastructures ferroviaires…

Oui, c’est exact. L’État se désengage de ses responsabilités en matière d’infras, alors qu’il en reste propriétaire. Nous cofinançons déjà les travaux à hauteur de 66% ! Nous avons cessé de compenser son désengagement. Parallèlement, l’État demande à SNCF Réseau d’augmenter les péages, largement payés par les Régions. D’un côté, l’exécutif nous retire des recettes ; de l’autre, il alourdit la dépense. Cela ne peut pas continuer ainsi.

La Région Occitanie a d’ailleurs engagé un bras de fer avec SNCF Réseau pour contester la hausse des péages…

En effet, nous avons consigné la fraction augmentation des péages au-delà de l’inflation afin de symboliquement marquer le coup vis-à-vis de SNCF Réseau, mais surtout de Bercy : en effet, la part de l’État n’augmente pas dans le financement de la régénération du réseau contrairement à ce qui se passe dans les autres pays d’Europe. Du coup, Bercy demande à SNCF Réseau d’équilibrer ses comptes en augmentant les tarifs des péages. Notre action s’ajoute à la procédure engagée avec sept autres Régions contre cette hausse.

Quelles sont les conséquences de ces restrictions budgétaires sur les projets de réouverture de LDFT comme Limoux-Quillan et Rodez-Séverac ?

Ces projets ne sont pas abandonnés. Nous renvoyons la responsabilité de leur réouverture à l’État. Nous restons évidemment partenaires, mais l’État doit absolument participer au financement.

La fréquentation des TER en Occitanie enregistre une hausse de 68% en 2024 par rapport à 2019, malgré le développement du télétravail depuis le Covid. Comment expliquez-vous cette forte croissance ?

C’est le résultat d’un triptyque : une augmentation de l’offre, une amélioration de la qualité – même si elle doit encore progresser en particulier sur la ponctualité – et une gamme tarifaire attractive. Nous visons, à terme, 100 000 voyageurs par jour [contre 80 000 en 2023], un chiffre que nous atteignons déjà sur quelques journées. Si la commande est aujourd’hui suspendue, le besoin d’acquérir de nouveaux matériels roulants reste toutefois présent : sur les 18 nouvelles rames prévues, 12 seraient destinées à répondre à cette hausse de la fréquentation afin d’éviter des trains trop chargés, les 6 autres ont vocation à suppléer l’augmentation de l’offre.

Cette gamme tarifaire attractive ne nuit-elle pas au financement du TER ?

Non, l’augmentation de la fréquentation a généré des recettes supplémentaires – environ 108 M€, en progression de plus de 47% par rapport à 2019. Nous sommes d’ailleurs la première Région en termes d’augmentation de la fréquentation et parmi les premières en termes d’augmentation des recettes, alors que nous n’avons très peu augmenté les prix. C’est un choix politique : nous considérons que cela fait partie de l’aide au pouvoir d’achat.

Au 1er janvier 2025, la Région a étendu le post-paiement aux cars liO. Quels en sont les avantages ?

Ce système permet une grande fluidité, car il suffit de télécharger l’appli de notre prestataire Fairtiq pour savoir quand un usager monte et descend du train, la plateforme se charge de calculer automatiquement le prix du trajet. Ce système réduit aussi le coût de la billettique, car nous n’avons plus besoin d’équiper les véhicules de lecteurs.
Surtout, cela nous permet de proposer des tarifs dégressifs qui récompensent les usagers réguliers : la gratuité par l’usage pour les 12-26 ans inclus ; un trajet gratuit tous les 10 trajets pour les « plus de 60 ans et + » ; pour les 27-59 ans, une dégressivité qui peut aller jusqu’à 50% puis un prix fixe de 1€ dès le 5e trajet…
Enfin, nous sommes la seule Région à avoir réglé de fait la lourde gestion des dédommagements en cas de suppression de trains puisqu’il n’y a tout simplement pas de paiement quand le service n’est pas assuré.
Nous travaillons désormais sur l’intégration des réseaux urbains : nous allons démarrer l’expérience dans quelques semaines à Montpellier.

L’Occitanie a créé une SPL avec la région Nouvelle-Aquitaine en 2023. Quels sont les bénéfices attendus de cette structure ?

Cette SPL vise à mutualiser les achats de matériel roulant et à optimiser la gestion des opérations de maintenance. Nous aurons ainsi davantage de poids auprès des industriels lors des prochains appels d’offres. Nous souhaitons d’ailleurs que d’autres collectivités nous rejoignent. Des discussions sont déjà en cours avec au moins deux autres Régions…
En outre, cela nous permet d’emprunter dans de bonnes conditions, ce qui évite de charger la dette des Régions.
Enfin, cela permet de faire porter les risques et les intérêts financiers sur la SPL et non directement sur les Régions….
Dans l’immédiat, nous mettons sur pied une expertise technique commune. A terme, les opérations à mi-vie pourraient être gérées par la SPL.

En revanche, vous n’êtes toujours pas favorable à l’ouverture à la concurrence pour l’exploitation. Pourquoi ?

Nous constatons que cela modifie beaucoup les conditions d’exploitation sans apporter de réels bénéfices concrets, du fait notamment des difficultés que nous rencontrons tous avec les infrastructures ferroviaires. En outre, notre convention signée avec la SNCF est meilleure – en particulier sur le prix au kilomètre – que celle obtenue par d’autres Régions après l’ouverture à la concurrence… Nous avons donc fait le choix de ne pas anticiper cette ouverture, car nous continuons de penser que ce n’est pas la solution. La concurrence sera obligatoire en 2032… si la loi ne change pas d’ici là. L’équipe élue en 2028 se chargera alors de ce dossier.

Quels sont les programmes en cours liés à la transition énergétique de votre matériel roulant ? 

Nous aurons au moins une année de retard sur l’expérimentation des trains hydrogènes à batterie. Alstom nous explique qu’il rencontre des difficultés avec ses sous-traitants pour la fourniture de ces batteries. Les essais prévus en 2026 sont donc décalés. Le comité de suivi prévu ce mois de mars 2025 nous permettra peut-être d’en savoir plus sur le calendrier.

En revanche, l’expérimentation de la rame hybride Régiolis [avec moteur diesel/électrique à batterie qui se recharge quand le train ralentit et freine] qui appartient à la Région Occitanie, s’est bien déroulée dans les trois autres régions [Centre Val de Loire, Grand Est et Nouvelle Aquitaine]. Alstom doit maintenant nous faire des propositions sur le coût et la durée d’immobilisation des rames nécessaires pour rétrofiter d’autres trains [potentiellement tout ou partie des 27 rames Régiolis bimode sur un total de 197 rames].
Sur l’HVO, nous avons effectué un premier test en 2024 et nous avons l’ambition, dès que les conditions de distribution le permettront, d’utiliser ce carburant alternatif sur l’une de nos lignes.

Concernant les cars liO, la Région a passé commande à Safra pour la transformation de 15 cars diesel en électriques [pile à combustible alimentée par de l’hydrogène]. Les deux premiers autocars ont été retrofités avec succès.

Quelles sont vos priorités pour les prochaines années ?

Nous souhaitons continuer à développer l’offre de train liO, améliorer la qualité du service, notamment la ponctualité, et poursuivre les innovations sur les services. Nous travaillons notamment sur l’articulation train-vélo et sur des dispositifs d’ouverture automatique à distance des halls d’accueil des gares, celles qui sont habituellement fermées tout ou partie de la journée. Aujourd’hui, nous sommes contraints de ralentir les développements en raison de restrictions budgétaires, mais nous comptons bien reprendre notre marche en avant de manière très volontariste dès 2026-2027.

Enfin, les équipes techniques travaillent activement sur les dossiers de Montpellier et de Toulouse afin d’obtenir le statut de SERM. Et nous attendons avec intérêt la conférence des financeurs annoncée par le Ministre pour ce mois de mars 2025…

 

Florence Guernalec

Toulouse-Mobilités occitanie

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