« Ce n’est pas parce que nous sommes en régie que nous sommes coupés du monde ! »
Après avoir souligné la souplesse que confère la gestion du réseau de Poitiers en régie, son président Frankie Angebault aborde la perplexité dans laquelle la politique européenne en matière de décarbonation place les élus du Grand Poitiers. Le réseau, qui a misé sur les bus au gaz, s’interroge sur la motorisation à choisir. En attendant, la construction d’un second dépôt de bus, dont la RTP a cruellement besoin, est suspendue.
Mobily-Cités : Poitiers et la gestion en régie, c’est une longue histoire ?
Frankie Angebault : Historiquement, le réseau de Poitiers a toujours été géré en régie. La dernière évolution concerne son périmètre, avec le passage en 2017 de 13 à 40 communes. Nous n’avons récupéré la compétence sur les 27 nouvelles communes qu’en 2020, car les négociations avec la région, qui était l’ancienne AOM sur ces communes, ont été assez longues. Finalement, c’est à partir de 2021 que nous avons pu commencer à reprendre la main et proposer des offres de transport en commun correspondant mieux aux besoins du territoire. Les communes à caractère rural, les plus éloignées du centre et non desservies par le bus, ont pu bénéficier de transport à la demande (sauf quelques-unes, faute de répondants au marché de TAD).
Les différentes liaisons mises en place ont permis de créer un sentiment d’appartenance à Grand Poitiers, sur un territoire d’une forme particulière avec une diagonale de 70 kilomètres.
Quels sont les avantages d’une régie ?
En tant que vice-président de la mobilité de Grand Poitiers, je suis président du conseil d’administration de la régie, qui prend la forme d’un EPIC autonome. L’intérêt majeur que j’y vois réside dans la souplesse des décisions. Depuis le début du mandat, chaque année au mois de septembre, nous proposons des services supplémentaires en fonction des besoins remontés par les usagers et les communes. Nous essayons d’optimiser au maximum les ressources, aussi bien matérielles qu’humaines. Nous pouvons adapter très souplement dans le budget la subvention d’équilibre, sans besoin d’avenant à un contrat, comme dans une DSP.
Être indépendant ne rend-il pas l’accès aux bonnes pratiques plus difficile ?
Ce n’est pas parce que nous sommes en régie que nous sommes coupés du reste du monde ! Grand Poitiers, et Vitalis — le nom du réseau — sont tous deux adhérents à Agir Transport, qui fournit de la veille et des échanges d’informations. Cette structure peut être force de conseil sur certains sujets contractuels, sur les fournisseurs d’énergie, etc., et bénéficie des retours d’expérience des réseaux de ses adhérents. En tant qu’élu, je siège également au conseil d’administration du GART, ce qui donne accès à ce qui se passe dans des collectivités beaucoup plus grandes ou plus petites, et à l’échelle nationale, sur les enjeux de la mobilité. En outre, le directeur général de Vitalis et certains directeurs de services sont issus d’autres réseaux, d’autres collectivités, dont certaines étaient en DSP. Nous avons donc des professionnels en lien quotidien avec d’autres réseaux.
En matière de transition énergétique, à quelles difficultés êtes-vous confrontés ?
Grand Poitiers a été l’une des premières collectivités à faire le choix du GNV (gaz naturel pour véhicules) au début des années 2000. Au cours de la précédente mandature, les élus ont choisi de poursuivre dans cette voie, ce qui a donné lieu à la construction d’une nouvelle station de compression plus importante. Depuis le mandat que j’exerce, le choix a été fait de passer au bioGNV (avec un système de certificats de garantie d’origine), ce qui augmente la possibilité d’injecter du biométhane dans les réseaux locaux de distribution, et donc de développer des unités de méthanisation sur notre territoire. Évidemment, nous sommes aujourd’hui obligés de changer notre fusil d’épaule, en raison de la réglementation européenne qui interdira l’achat de véhicules thermiques en 2035 et va nous obliger à basculer sur l’électrique ou l’hydrogène. Il faut faire des choix bien avant, car les constructeurs vont commencer à se désengager des autres motorisations. Nous sommes donc en pleine réflexion, et nous attendons la finalisation du règlement européen pour savoir ce qui s’imposera à nous. Nous avons lancé une étude pour décider vers quelle énergie basculer afin de respecter ces réglementations. Je pense que l’hydrogène n’est pas encore mûr. On ne peut pas envisager sa production sans d’autres utilisateurs potentiels. Mais on ne peut pas prendre de décision avant les résultats de l’étude.
Pourquoi votre réseau atteint-il certaines limites ?
Notre dépôt de bus est saturé, sans possibilité d’y faire entrer un bus supplémentaire. L’un des projets de ces prochaines années est d’en créer un second. Mais nous attendons évidemment l’aboutissement de la réglementation européenne, pour savoir avec quelle énergie alimenter ce dépôt. Cela n’empêche toutefois pas le développement du réseau : une partie des services pilotés par la régie est confiée à des affrétés, notamment pour les transports scolaires mais aussi interurbains. Cependant, nous atteignons aujourd’hui un peu les limites de l’exercice.
Par quoi êtes-vous le plus préoccupé ?
Pour moi, le financement des mobilités constitue un enjeu majeur. Toutes les collectivités arrivent à la conclusion que nous sommes au bout du système actuel, à un moment où il y a une vraie demande de la part des habitants. Il faut pouvoir proposer un choc d’offre pour inciter les gens à passer aux transports en commun. Sans cela, ils continueront à utiliser leur voiture.
Propos recueillis par Marc Fressoz