« Une autonomie énergétique pour un transport propre ! »
Mobily-Cités : Pouvez-vous nous rappeler ce que représente de « Prêt à partir » aujourd’hui ?
François Piot : « Prêt à partir » est une entreprise familiale créée après la Seconde Guerre mondiale, en 1948. Aujourd’hui, nous exploitons 850 autocars et autobus principalement dans le transport public. En parallèle, nous avons repris il y a cinq ans l’entreprise Lambert Location, spécialisée dans la location sans chauffeur, ce qui représente 400 véhicules. Nous disposons également d’un réseau d’agences de voyages dans le Grand Est de la France, en Bourgogne-Franche-Comté, en région parisienne et en Auvergne-Rhône-Alpes, avec 75 boutiques et 250 collaborateurs.
Donc vous exploitez aujourd’hui un peu plus de 1 600 véhicules ?
En effet, nous avons 1 200 véhicules en exploitation et 400 en location pure, ce qui totalise environ 1 600 véhicules et autant de collaborateurs. Je précise que le groupe s’est aussi diversifié dans d’autres domaines comme celui de la production d’énergie, le soutien aux start-ups et un peu d’industrie. Ainsi, cela fait 15 ans maintenant que nous produisons notre électricité à partir de panneaux solaires, de centrales de méthanisation et de centrales hydroélectriques. C’est cette diversification et notre expérience dans le secteur de l’énergie qui m’a permis d’anticiper et de mieux comprendre la transition énergétique et de créer des synergies dans nos différentes activités.
Pouvez-vous nous parler de la répartition énergétique de vos véhicules ?
Actuellement, notre flotte est en grande majorité thermique : environ 90 % de nos véhicules sont des Euro 6, avec quelques Euro 5 et un ou deux Euro 4 encore en circulation. Nous sommes cependant en pleine transition vers le HVO (huile végétale hydrogénée), un carburant plus adapté aux modèles que nous exploitons. Le HVO est une alternative que nos clients apprécient particulièrement, car il offre un bon rapport qualité-prix tout en réduisant significativement les émissions de CO₂.
Mobily-Cités : Quelle sera la trajectoire d’évolution de votre parc d’ici 2030 ?
Comme je l’ai mentionné, notre flotte est aujourd’hui composée à 99 % de véhicules thermiques, avec une petite proportion de véhicules fonctionnant au bioGNV, principalement pour la CTS en Alsace. Nous avons pour objectif de convertir environ 50 % de notre flotte au HVO dès l’année prochaine. Cette transition nous permettra de réduire significativement nos émissions de CO₂, avec une baisse estimée à 35 %. Actuellement, nos émissions annuelles s’élèvent à environ 22 000 tonnes et nous espérons les réduire de 7 000 tonnes grâce à l’adoption du HVO.
Alors que la majorité de vos véhicules roulent encore à l’Euro 6, vous parvenez à compenser ces émissions de CO₂ grâce à votre production d’électricité ?
Il est important de préciser que brûler du gasoil ou du HVO émet la même quantité de CO₂. Cependant, lorsque le CO₂ provient de sources renouvelables, comme c’est le cas pour le HVO fabriqué à partir de matières végétales, il s’agit d’un CO₂ déjà présent dans le cycle naturel, ce qui n’augmente donc pas les stocks de CO₂ responsables du réchauffement climatique.
Même si nous ne la consommons pas pour nos propres besoins pour le moment, l’électricité que nous produisons à partir de nos panneaux solaires, de nos centrales hydroélectriques et par la méthanisation, permet d’éviter la production d’énergie à base de charbon, de pétrole ou de gaz, qui sont des énergies fossiles. Grâce à notre production d’électricité renouvelable, nous parvenons à compenser 38 % de nos émissions de CO₂. En associant l’utilisation du HVO à cette production d’électricité renouvelable, nous espérons réduire nos émissions de CO₂ de 70 à 75 % d’ici à la fin de 2025.
Selon vous, existe-t-il une hiérarchie des priorités entre les différents types de carburants ?
Clairement, le biocarburant est la priorité pour nous. Il représente un levier clé dans la réduction de nos émissions de CO₂ et dans la transition vers des énergies plus durables. Si nous ne parvenons pas à en produire suffisamment à terme, nous aurons néanmoins fait notre part en réduisant considérablement notre empreinte carbone grâce à ces alternatives. Aujourd’hui, la production de biocarburants évolue de manière significative, avec notamment l’émergence des biocarburants de deuxième génération. Ces nouveaux carburants sont issus de matières premières non alimentaires, comme les résidus agricoles ou les déchets organiques, ce qui les rend bien plus durables que ceux de première génération. Non seulement ils réduisent l’impact environnemental, mais ils sont aussi plus performants en termes de rendement énergétique et d’efficience.
Ce qui est particulièrement encourageant, c’est que les biocarburants de deuxième génération s’intègrent parfaitement dans les infrastructures existantes, sans nécessiter de modifications majeures des moteurs ou des systèmes de ravitaillement. Cela en fait une solution transitoire idéale, avant que des technologies plus avancées, comme l’électromobilité ou l’hydrogène, soient pleinement matures et accessibles à grande échelle.
Enfin, l’un des avantages cruciaux des biocarburants, c’est qu’ils permettent d’utiliser des véhicules thermiques déjà en circulation, prolongeant ainsi leur durée de vie tout en réduisant leur impact environnemental. En combinant cette approche avec notre production d’énergie renouvelable, nous parviendrons à créer un modèle de transport durable et résilient, capable de s’adapter aux défis environnementaux actuels et futurs.
Quelles seront les spécificités de la transition énergétique pour la prochaine campagne d’appel d’offres (2027-2030) ?
Pour cette nouvelle campagne d’appel d’offres, nous envisageons d’introduire une proportion de véhicules propres, principalement électriques, dans le cadre des marchés de transport scolaire de la région. Bien que cela ne concerne pas encore la majorité de notre flotte, nous prévoyons d’intégrer entre 5 % et 15 % de véhicules électriques. Ce sera un premier test pour l’avenir du transport scolaire, qui est particulièrement adapter à l’électromobilité. Les coûts des batteries étant en baisse, je suis convaincu qu’à l’horizon 2035, l’ensemble des véhicules scolaires sera entièrement électrifié.
Aujourd’hui, vous ne consommez pas l’électricité que vous produisez pour votre parc de véhicules. Cela pourrait-il changer ?
Effectivement, nous étudions actuellement la possibilité de produire suffisamment d’électricité pour alimenter notre flotte. Nous avons déjà installé des panneaux solaires sur certains de nos hangars et parkings, et nous prévoyons d’en ajouter davantage, avec un potentiel total de production de 15 mégawatts. Cela représente un investissement initial de 20 millions d’euros. Certes, c’est une somme conséquente, mais cet investissement serait unique et effectué une fois pour toutes. Contrairement à notre consommation actuelle de carburant, qui représente 12 millions d’euros par an, soit une dépense récurrente et inévitable chaque année, l’installation de panneaux solaires nous permettrait de maîtriser cette part de nos coûts sur le long terme.
En d’autres termes, au bout de seulement deux ans, les économies réalisées sur l’achat de carburant commenceront déjà à compenser cet investissement de 20 millions d’euros. Et au-delà, chaque année supplémentaire où nous serons autosuffisants en électricité signifiera une économie nette de 12 millions d’euros. C’est un modèle économique particulièrement intéressant car, au-delà de la rentabilité, il nous permettrait d’atteindre une véritable autonomie énergétique pour notre flotte.
Cet investissement ne nous offre donc pas seulement une solution durable sur le plan environnemental, mais aussi une solution financièrement stable. Une fois l’infrastructure solaire mise en place, nous serions beaucoup moins vulnérables aux fluctuations des prix des carburants et des énergies fossiles. En somme, c’est une opportunité de nous libérer de la pression des coûts annuels en carburant tout en contribuant à une mobilité plus propre.
La loi sur l’augmentation de la production d’énergies renouvelables, dite loi APER, va-t-elle impacter votre stratégie ?
Oui, la loi APER impose à des entreprises comme la nôtre de mettre en place des solutions. Nous exploitons des parkings de plus de 1 500 m², ce qui nous oblige à installer des panneaux solaires sur nos sites à partir de juillet 2026. Nous avons lancé une étude pour évaluer le potentiel de ces installations. Actuellement, nous produisons 3 mégawatts, mais avec des panneaux plus performants, nous pourrions doubler cette production à 6 mégawatts sur la même surface. À terme, nous visons 20 mégawatts, ce qui représenterait 22 à 23 millions de kilowattheures par an, suffisamment pour couvrir les besoins de notre flotte si elle devenait entièrement électrique.
Cela fait 15 ans que nous travaillons avec le monde agricole pour produire de l’électricité, que ce soit par panneaux photovoltaïques ou par méthanisation. La production d’énergie est devenue une véritable source de revenus pour les exploitants agricoles, et en tant que transporteurs, nous pourrions nous aussi utiliser les revenus issus de la vente d’énergies pour financer nos dépôts et les infrastructures nécessaires.
Pouvez-vous nous donner votre avis sur le rétrofit ?
Le rétrofit a accompli des avancées intéressantes, mais son modèle économique reste fragile, car il repose en grande partie sur des subventions dont nous ne sommes pas toujours sûrs de pouvoir bénéficier. Cela rend ce modèle un peu artificiel. Un autre point à prendre en compte est la position des collectivités territoriales et des autorités organisatrices. Nous ne savons pas exactement quelles seront leurs attentes en termes de prolongation de la durée de vie des véhicules thermiques transformés via le rétrofit. Si cette durée reste limitée à 15 ans, cela n’aura pas de sens économique. En comparaison, un véhicule électrique, probablement importé de Chine, sera moins cher en coût total de possession (TCO) qu’un véhicule rétrofité.
Enfin, le marché du rétrofit est encore ponctuel, et les coûts d’homologation sont très élevés, de l’ordre de 1 à 1,5 millions d’euros par série. En plus de cela, les volumes ne sont pas encore au rendez-vous. Si un acteur majeur, comme une région ou une métropole, décidait de rétrofiter entre 1 000 et 1 500 véhicules, cela pourrait faire baisser les coûts de rétrofit, actuellement estimés entre 180 000 et 230 000 euros par véhicule, à moins de
100 000 euros. À ce moment-là, le rétrofit deviendrait une solution économiquement intéressante.
Dans ce cas, pourquoi ne pas simplement garder vos véhicules Euro 6 jusqu’en 2035 en les faisant fonctionner au biocarburant ?
C’est une option tout à fait envisageable. En utilisant du HVO (huile végétale hydrogénée), nous pouvons réduire les émissions de CO₂ de 70 à 80 % selon la source du carburant, même si cela coûte un peu plus cher. Cela nous permettrait de combiner des performances économiques et écologiques imbattables tout en réalisant de grandes économies pour les collectivités territoriales. L’argent ainsi économisé pourrait alors être réinvesti dans de nouvelles infrastructures et dans l’achat de véhicules neufs électriques.
Propos recueillis par Pierre Lancien