Les grands constructeurs présents à Solutrans ont présenté plusieurs modèles de camions électriques, y compris pour la longue distance. Certains étant même dotés de plusieurs prises de charge situées à l’avant comme à l’arrière du véhicule, de manière à optimiser les possibilités de recharge. Or, le déploiement de ce type de véhicules nécessite la mise en place d’une infrastructure d’avitaillement adaptée, aussi bien en termes de localisation que de puissance. Enedis, TotalEnergies et Vinci Autoroutes ont engagé une étude sur ce sujet, en partenariat avec six constructeurs majeurs (Daimler Truck, Iveco, MAN, Renault Trucks, Scania et Volvo). Les premiers résultats ont été présentés à Solutrans, avant une publication complète prévue en janvier 2024. «Nous avons voulu anticiper sur les besoins de recharge et les réseaux d’avitaillement à mettre en place pour répondre aux besoins en itinérance. Pour cela, nous avons effectué un gros travail d’analyse de données, de façon à modéliser les flux de poids lourds en transit et en cabotage sur les grands axes routiers, que nous avons superposés à différents scénarios d’électrification des flottes», indique Stéphane Chambon, directeur des Affaires publiques et des comptes stratégiques chez TotalEnergies. Avec 30% des poids lourds électriques correspondant à 25% des trajets effectués, le scénario retenu s’appuie sur des hypothèses hautes. «Cette projection nécessite 10.000 points de charge lente sur environ 500 aires des axes prioritaires identifiés, et 2200 points de charge rapides, précise Pierre de Firmas, directeur Mobilité électrique chez Enedis. Ces besoins s’ajoutent à ceux de la mobilité légère, mais les usages sont complémentaires, avec des pointes qui n’interviennent ni aux mêmes dates ni aux mêmes heures.»
La consommation annuelle de la mobilité lourde en itinérance totaliserait 3,5 TWh en 2035, à comparer aux 35 TWh estimés pour les véhicules légers, et la puissance maximale à fournir serait de 1,1 GW, pour un pic de consommation global évalué entre 90 et 100 GW. Enedis prévoit de créer ou renforcer 60 ouvrages structurants afin de fournir la puissance nécessaire, ce qui représente un investissement de 620 M€ d’ici à 2035. Pour les gestionnaires d’autoroute, la problématique est différente, puisqu’il s’agit à la fois d’équiper les aires de service et de gérer la période de transition. «L’adaptation des stationnements poids lourds à l’électromobilité nécessite de réaménager les parkings pour proposer des emplacements traversant, avec des bornes de charge en ilot central, ce qui revient à perdre environ une place de stationnement sur trois», détaille Louis Du Pasquier, directeur des Mobilités décarbonées chez Vinci Autoroutes. A moyen terme, les poids lourds électriques occuperont donc davantage de place sur les aires de repos que leur part dans le parc roulant. Les auteurs de l’étude en appellent donc aux pouvoirs publics afin d’arbitrer et de prioriser. Ne pas le faire reviendrait in fine à retarder ou bloquer l’électrification des mobilités lourdes, et donc la décarbonation du secteur, responsable de 30% des émissions de gaz à effet de serre dans notre pays, et dans lequel le transport de marchandises pèse pour un quart.
Reste que la recharge en itinérance ne suffira pas, et doit être complétée par le déploiement d’infrastructures de recharge pour véhicules électriques (IRVE) aux dépôts ou sur les plateformes logistiques. TotalEnergies a d’ailleurs présenté à Solutrans son offre dédiée aux transporteurs et aux logisticiens. Pour préparer leur projet, ces derniers pourront se reporter au guide élaboré par TLF, en partenariat avec l’Avere, l’Union française des électriciens (UFE) et l’Ademe. Mais au-delà des aspects techniques, les obstacles les plus difficiles à lever demeurent le manque de visibilité sur les soutiens gouvernementaux à l’acquisition des véhicules, et sur les prix de l’électricité, des paramètres essentiels à la maîtrise du TCO, et donc à l’équilibre économique de l’activité. Patrick Cholton, président de la FFC et de Solutrans, n’a pas manqué de rappeler ces préoccupations au ministre des Transports, Clément Beaune, venu pour l’inauguration du salon, le 21 novembre.
Sandrine Garnier