Laurent-Briant
Laurent Briant 
CEO - Mobily-Metrix

Transition énergétique : l’indispensable rôle des données de mobilité

 

Alors que la transition énergétique s’impose comme une priorité d’action, les données de mobilité émergent comme le compas indispensable pour guider nos territoires vers un futur plus durable et énergétiquement efficient. Cette analyse met en relief l’urgence de revoir nos méthodes actuelles de collecte de données et de bien saisir l’importance cruciale des technologies numériques dans ce contexte de mutation.

 

POUR AGIR IL FAUT SAVOIR ET COMPRENDRE

La mobilité est en France le plus gros émetteur de gaz à effet de serre (GES) avec 31% des émissions totales. Et malgré l’urgence climatique nous ne parvenons pas encore à en faire baisser significativement le niveau. Alors que l’objectif est une réduction de ces émissions de 55% d’ici 2030, elles sont relativement stables depuis 1990 dans le secteur des transports, avec une augmentation de 1,9% entre 1990 et 2021 (source : Service des données et études statistiques du Ministère de la transition écologique1 ). Entre 2019 et 2022 (avant et après confinements Covid), elles ont baissé de 2,1% (source CITEPA² ).

Et alors que le transport routier est à l’origine de près de 95 % des émissions du secteur des transports, l’enquête mobilité des personnes 2018-2019³ nous apprend que 70% des km parcourus en voiture sont effectués sur des trajets locaux (inférieurs à 80 km). La mobilité du quotidien pèse donc lourd dans nos émissions de GES. Alors que peut-on faire ?

De nombreuses solutions existent et des projets se déploient petit à petit : augmentation de l’offre de transport en commun, encouragement au covoiturage, fin des ventes de voitures à moteur thermique, construction de pistes cyclables, aide à l’achat de vélo à assistance électrique… Ce sont toutes de bonnes solutions. Mais aucune n’est parfaite ni suffisante prise isolément pour atteindre l’objectif. Alors comment les articuler entre elles ? Où les déployer ? A quel rythme ? Quid de la livraison de marchandises en ville ?

Autant de questions pour lesquelles nous devons et pouvons apporter des instruments de mesure. Et la mesure en la matière peut être réalisée par la remontée de données en provenance de systèmes numériques. Parmi ces données, les flux origines-destinations (OD) sont fondamentaux pour comprendre les déplacements. Ils répondent à la question d’où à où vont les individus (ou les marchandises), à quelle heure, et si possible par quel mode de transport.

 

L’ÈRE DES DONNÉES NUMÉRIQUES

Avec l’essor des smartphones, des véhicules connectés, des systèmes embarqués et de l’IOT (internet des objets), des données précieuses pour la compréhension de la mobilité sont générées en continu. Et ces nouvelles données ont de nombreuses sources. Correctement extraites, traitées et analysées, elles permettent un regard sans précédent sur les dynamiques de mobilité locale. Notamment sur les flux origines-destinations. Mais l’utilisation des données numériques n’est pas exempte de défis. Les jeux de données sont nombreux mais comportent tous initialement des biais. Les données brutes nécessitent un traitement scientifique robuste avant de pouvoir être utilisées de manière fiable.

Listons les principales sources de données, leurs principales qualités et leurs principaux défauts.

Les données smartphones 

  • Les traces GSM : Nos téléphones portables « bornent » à des antennes GSM. Ces bornages successifs fournissent des traces, qui permettent d’évaluer un volume global des déplacements. Ces données nous fournissent une estimation relativement précise du nombre de déplacements sur un territoire. Elles sont accessibles auprès des opérateurs télécom. Différents travaux démontrent leurs deux grandes limites : ces données ne permettent pas de détecter ni de déduire le mode de transport (la connaissance de la vitesse de déplacement ne suffit pas à déterminer le mode, particulièrement en milieu urbain), et la détection des trajets de très courte distance, en l’absence de changement de borne GSM d’accrochage, ne sont pas détectés (on se prive donc de la plupart des trajets piétons).

  • Les traces GPS : Ce sont encore des données produites par les smartphones, mais il convient de ne pas les confondre avec les données GSM. Des apps spécialisées peuvent fournir des données sur les déplacements concernant un mode de transport (par exemple l’app GéoVélo pour le vélo, ou Coyote, pour les voitures). Des modules peuvent être intégrés dans des app « généralistes » et en utilisant les GPS intégrés dans nos téléphones, en complément des autres capteurs des smartphones (accéléromètre, gyroscope…), peuvent également détecter le mode de transport avec une assez grande fiabilité. Sauf obtention de données de Google (qui ne sont ni librement accessibles ni commercialisées), la principale limite des données GPS est leur représentativité.
  • Les données des systèmes embarqués dans nos voitures ou « Floating Car Data » (FCD) : Ces données sont celles des traces des GPS intégrés dans les voitures. Elles présentent une grande richesse et précision d’information : les origines-destinations, les vitesses, les trajectoires, les temps de parcours, …. Mais un faible pourcentage de véhicule est équipé et la limite atteinte ici est à nouveau la représentativité des données. A ce jour, la plupart des constructeurs automobiles commercialisent ce type de données, mais d’une part, moins de 5% des véhicules sont équipés, et d’autres part ces véhicules sont les plus récents, et ne couvrent pas toutes les catégories de population de façon homogène.

 

Les données des stations de comptage (véhicules, vélos, piétons) 

Les stations de comptage mesurent les passages de véhicules/vélos/piétons à un point donné. La mesure est relativement exhaustive mais ne permet pas d’obtenir les origines-destinations. Et pour que le croisement des deux sources FCD/comptage soit fiable, une plus grande représentativité des sources FCD est nécessaire.

Les données transports en commun : les validations billettiques 

Elles peuvent être utilisées pour analyser la mobilité des usagers. Deux principaux défis se présentent : l’amélioration de la qualité des données et la modélisation des habitudes temporelles des usagers. En effet, dans les transports en commun urbains, les validations des titres de transport ne sont effectuées qu’à la montée. Comment reconstituer les origines-destinations (OD) à partir de cette seule information ? Une méthodologie en deux étapes est développée pour détecter les anomalies et reconstituer les OD. La société Flowly(4) par exemple propose des traitements des données des réseaux de transport en commun particulièrement poussés et riches d’indicateurs précieux pour l’exploitation des réseaux. 

De très nombreuses autres sources de données mobilité existent, comme celles des différents services de freefloating agrégées par la société Fluctuo(5), ou encore celles de Wever(6) offrant des informations provenant d’enquêtes numériques sur les comportements et leurs changements.

Les données en Open Data 

Cette liste (forcément incomplète) doit être enrichie en mentionnant quelques sources Open Data :

  • transport.data.gouv.fr : description des offres de transport en commun, ou encore celles du registre de preuve de covoiturage …
  • les données INSEE : elles sont singulièrement utiles, précises et riches : revenus, nombre de chômeurs, de retraités, d’étudiants par quartier (IRIS) … ainsi que des bases sur les déplacements domicile-travail et domicile-étude… 
  • la cartographie OpenStreetMap comprenant toutes les informations sur la voirie, les points d’intérêts…

Et encore… la mobilité est un écosystème complexe, et de très nombreuses autres données, ne concernant pas directement les déplacements, mais nous permettent aussi d’éclairer notre compréhension de la mobilité ; météo ; pollution ; les app santé, les achats par CB… 

DES DONNÉES EXPONENTIELLES, POURTANT PEU EXPLOITÉES

En résumé, la quantité de données produites croit de façon exponentielle ! Certaines sont gratuites, comme nous l’avons vu, mais la plupart ont un prix : même l’état vend des données, les immatriculations de véhicules, par exemple. Le montant à l’achat de certaines données reste encore déraisonnable, et le rapport qualité prix discutable.

En dehors de l’aspect économique, et même s’ils comportent des biais, les jeux de données identifiés nous apportent tous des informations clés pour la compréhension globale de la mobilité. Si tous ces jeux pouvaient être consolidés et croisés entre eux, ils nous apporteraient des informations bien plus riches. Mais ces données n’ont pas de lien entre elles.

Des trajets peuvent être en doublon (pour un voyageur en voiture, possédant un téléphone portable, un même trajet peut être détecté par FCD et par app par exemple). Les jeux de données n’ont pas d’autres liens entre eux que des paramètres géographiques, parfois imprécis, et presque jamais « synchronisés » entre eux. La fusion s’avère donc une première étape particulièrement complexe.

Et ce n’est pas le seul problème. Malgré la quantité de plus en plus grande de données générées, certains trajets ne sont pas détectés. Ce n’est pas parce que nous n’avons pas de données que les trajets n’existent pas. Manquent souvent à l’appel : les « faibles flux » en raison de la représentativité des systèmes, et les flux des modes vélos et marche en raison du manque d’équipement.

Enfin, nous ne pouvons pas rédiger un article sur la data mobilité sans parler de RGDP. Ce sujet mériterait un article en soi. Les données de mobilité sont des données personnelles qui doivent respecter les contraintes CNIL et RGPD pour protéger nos vies privées. Des principes de finalité, de minimisation, de transparence, de sécurité, de responsabilité s’imposent. Les données de mobilité doivent être collectées et traitées avec le consentement des personnes concernées, être conservées de façon sécurisée et sur des durées limitées. Les personnes doivent être informées de façon claire et complète. Et la plupart du temps dans le domaine de la mobilité, les données sont totalement anonymisées apportant un flou et un biais supplémentaire à tous les jeux de données. 

Le machine learning peut-il nous permettre de reconstituer ces données manquantes pour nous permettre d’obtenir une connaissance suffisamment fiable pour être exploitable pour l’élaboration de politiques de mobilité ? 

C’est la tâche pharaonique à laquelle s’attaque Mobility Metrix(7) 

Reconstituer une vision claire des déplacements pour mieux les comprendre. 

CAP SUR UN FUTUR DURABLE 

Vision éclairée, décision éclairée : l’acquisition et l’analyse experte des données de mobilité sont vitales. Des initiatives telles que celle de Mobility Metrix sont en train de bâtir des outils puissants qui rendront possible une vision plus claire et détaillée des mouvements. Ces outils faciliteront ainsi l’élaboration de politiques de transport plus intelligentes et plus durables. 

Le potentiel des données : en exploitant le plein potentiel des données numériques, il est possible non seulement de comprendre les habitudes actuelles mais aussi d’anticiper les tendances futures de mobilité. Cette connaissance approfondie sera cruciale pour guider les investissements et innovations nécessaires dans les infrastructures de transport, favorisant ainsi une transition énergétique réussie.

CONCLUSION 

Les territoires, à la croisée des chemins énergétiques, doivent impérativement adopter une stratégie axée sur les données pour naviguer vers un futur de mobilité durable. En dépit des défis, les données numériques offrent une opportunité inégalée d’affiner notre compréhension de la mobilité locale, jetant ainsi les bases pour des villes plus intelligentes, réactives et respectueuses de l’environnement. Le voyage vers la transition énergétique est complexe, mais avec un cap clairement défini par les données, la destination est non seulement visible, mais atteignable. 

Les données permettront aux collectivités locales d’entrer à leur tour dans l’ère du « data driven » en matière de mobilité. 

Montpellier Méditerranée Métropole se lance dans cette démarche expérimentale : comprendre en profondeur la mobilité grâce à la data. Elle a recensé une cinquantaine de sources de données représentant des dizaines de millions de trajets par mois. L’enjeu pour la métropole est de réaliser un observatoire numérique de la mobilité lui permettant de : 

  • Comprendre la mobilité sur son territoire,
  • Suivre « en temps réel » l’impact de ses décisions sur le report modal, pour être réactif sur les ajustements nécessaires,
  • Et à terme mieux planifier les aménagements et les évolutions de services de mobilité.
  • Et ainsi décarboner la mobilité locale.

 

 

¹ https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-transports-2023/20-emissions-de-gaz-a-effet 

² https://www.citepa.org/wp-content/uploads/CP-Citepa_Barometre_Emissions_GES_mars2023_VF.pdf 

³ https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/enquete-sur-la-mobilite-des-personnes-2018-2019 

4 https://www.flowly.re 

5 https://fluctuo.com 

6 https://www.wever.fr 

7 https://mobility-metrix.fr

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