SERM : le laboureur et ses enfants
Le 27 juin 2024, à la suite de la loi du 27 décembre 2023, 15 projets de services express régionaux métropolitains (SERM) ont été labellisés. Bordeaux, Chambéry, Clermont Ferrand, Grenoble, Lille, Lyon, Montpellier, Mulhouse, Nantes, Rouen, Saint Etienne, Strasbourg, Toulouse, et Tours ainsi que Lorraine-Luxembourg sont invités à poursuivre les travaux d’élaboration de leur projet en vue de l’obtention du statut par arrêté. Mais beaucoup de questions demeurent, que Jean de La Fontaine va nous aider à traiter
Petit résumé pour les lecteurs qui auraient oublié leurs classiques¹. Un riche laboureur, sentant sa fin prochaine, fait venir ses enfants et leur dit qu’un trésor est caché dans un champ. Les héritiers creusent, fouillent et bêchent, mais point de trésor. Pourtant comme la terre a été bien retournée, la récolte qui suit est excellente. J. Elster a résumé cette fable par la formule suivante : « En se trompant sur de grandes choses, on en réussit de petites ».
Le temps des promesses ambiguës
Les SERM sont désormais au sommet de l’agenda des politiques de mobilité dans de nombreux territoires. Mais nous n’en sommes qu’au début du processus. De nombreuses questions restent en suspens car les promesses sont ambiguës.
La première interrogation concerne le calendrier politique. Les SERM auraient dû logiquement voir le jour en 2017, juste après le discours du nouveau Président de la République indiquant l’arrêt des projets de LGV et la priorité donnée à la mobilité quotidienne. Or l’idée de SERM n’est officiellement lancée qu’en 2023, après une relance des LGV en 2020. Un peu comme si le pouvoir, sentant sa fin prochaine, faisait feu de tout bois.
Avant que la terminologie SERM soit retenue, il était question de RER métropolitains², un abus de langage. Les RER d’Ile-de-France utilisent des voies et des gares dédiées, avec des fréquences très élevées. Rien de commun avec les TER des villes de Province. Demain comme hier, ils emprunteront le réseau classique et leur fréquence sera au mieux de quatre trains par heure.
Cette insistance sur la dimension ferroviaire des SERM résulte de la croyance dans la possibilité d’un puissant report modal. Cette idée est à la mode dans les politiques publiques nationales et européennes depuis plus de 20 ans. Mais les promesses ne se sont pas concrétisées car elles étaient fondées sur une hypothèse erronée : la substitution. Tout voyageur gagné par le rail serait pris à la route ou à l’avion réduisant d’autant les émissions de CO2. Or pour les mobilités, c’est le principe d’addition qui prévaut. De 1990 à 2022, le trafic ferroviaire en France a progressé de 56% mais, dans le même temps, la fréquentation des aéroports a été multipliée par 2 et le trafic automobile a crû de 36%. Le report modal existe dans certains cas particuliers, mais ce n’est pas un principe général.
La loi du 27 décembre 2023, et son promoteur, J.M. Zulesi, ont justement cherché à éviter le traditionnel tropisme ferroviaire. Les premiers articles insistent sur le caractère multimodal des SERM et sur les services routiers (autocars, covoiturage, deux-roues…) qui seront les principales innovations dans de nombreuses agglomérations. Mais les derniers articles de la loi, détaillent néanmoins les possibilités de créer de nouvelles infrastructures ferroviaires. Pour cela la SGP, Société du Grand Paris devient Société des Grands Projets.
On ne pouvait imaginer signal plus habile et plus ambigu. Habileté car parler de grand projet permet d’entretenir le fétichisme des infrastructures, un biais cognitif très répandu chez les élus locaux. Ambiguïté car cela laisse accroire que les milliards de la SGP pourraient se répandre en Province par simple transfert ou par l’application d’une introuvable martingale financière.
Le financement des SERM reste la principale inconnue. E. Borne a promis 100 mds € pour le ferroviaire, mais cette promesse n’avait rien de concret. Dans son dernier rapport le COI constatait que les transports collectifs étaient confrontés à un double mur financier : celui des infrastructures et celui de l’exploitation. Penchons-nous sur ce dernier point, généralement oublié.
Le temps des récoltes inattendues
Le cas du Grand Paris Express (GPE) illustre bien le problème. Il a fallu non seulement trouver des ressources fiscales nouvelles, et affectées, pour construire les 200 km du nouveau métro. Mais on s’est rendu compte ensuite qu’il fallait aussi trouver 2mds € par an pour en financer l’exploitation. Il en va de même pour les TER. Les chiffres publiés par l’Autorité de Régulation des Transports (ART) nous rappellent que le coût d’exploitation d’un TER est d’environ 35 € par train.km, couvert à moins du tiers par les recettes commerciales. Tout développement de l’offre TER suppose donc, même sans infrastructure nouvelle de trouver des financements pérennes.
La rareté de l’argent public, qui risque de s’aggraver dans les années qui viennent, incite donc les autorités organisatrices à trouver des solutions moins coûteuses. Ainsi, les autocars express ont un coût d’exploitation 7 fois inférieur à celui du train et une souplesse dans le dimensionnement de l’offre plus adaptée aux relations où la demande potentielle est trop faible pour atteindre un taux de remplissage minimal (en 2022, il était de 29% pour les TER).
Le Secrétariat général à la Planification Ecologique (SGPE) ne dit pas autre chose. Dans son « baromètre de la planification écologique », l’onglet « Transport » présente la figure suivante. La part modale des transports en commun routier, qui a baissé de 2017 à 2022, malgré les « cars Macron », est censée rebondir fortement d’ici à 2030.
De 2022 à 2030, le SGPE voit le trafic ferroviaire de passagers progresser de « seulement » 17% (de 109 à 127,5 mds de p.km) alors que le trafic par autocar augmenterait de 52% (de 44,5 à 67,7 mds de p.km). Il ne s’agit bien sûr que d’hypothèses, mais elle révèle une évidence. En Province, à quelques rares exceptions près, les principaux changements dans les mobilités quotidiennes ne passeront pas par le rail mais par la route.
La loi du 27 décembre le dit clairement dans ses premiers articles. La route va rester le principal vecteur des mobilités, tant pour les déplacements radiaux (périphéries-métropoles) que pour les trajets plus diffus, ou concentriques. Pour éviter que cela ne se fasse que par la voiture individuelle, il faudra partager différemment la voirie. Faire de la place aux piétons, aux deux-roues, aux autocars, au covoiturage. Cela suppose une étroite coopération entre les régions, les métropoles, mais aussi les départements et le bloc communal en charge des voiries.
Avec les SERM, les collectivités territoriales vont, comme les héritiers du laboureur, découvrir deux réalités à affronter sereinement.
Il n’y a pas de trésor caché. La SGP ne sera pas une corne d’abondance. L’argent public ne permettra pas de faire tout ce qui était envisagé, surtout si les dotations de l’Etat passent par les traditionnels CPER dont l’expérience nous a appris qu’ils prenaient du retard et n’étaient finalement honorés que partiellement. Il faudra donc trouver des ressources nouvelles (emprunt, fiscalité…) sans se faire d’illusion sur les montants potentiels³. Les projets de SERM doivent se pencher sur la question des financements avant de faire miroiter telle ou telle réalisation.
Les SERM ne relèvent pas des grands projets comme le sont les LGV ou même le GPE. Il ne s’agit pas principalement de construire une nouvelle infrastructure mais de créer une nouvelle gouvernance des services de mobilité. Une tâche qui ne peut être assurée par une autorité organisatrice unique et toute puissante. La coordination entre les collectivités est donc l’enjeu principal de l’organisation de ces nouveaux services qui se feront principalement par la route.