« Cette crise est l’occasion de s’interroger sur la pertinence des services mis en place ! »
Figure de la gestion directe et pilier d’AGIR, Marc Delayer anticipe la manière dont la crise des finances publiques risque d’impacter tous les réseaux en plaçant les élus au pied du mur quant à leur stratégie de financement. A Cholet, la baisse du VM liée à une fermeture d’usine constitue un des enjeux, tout comme la transition énergétique opérée en douceur.
Mobily-Cités : Vous incarnez avec les Transports du choletais la gestion directe depuis 22 ans, n’avez-vous jamais eu l’intention de changer de de statut ?
Marc Delayer : À l’époque, l’agglomération venant d’être créée, il s’agissait de transférer les transports du niveau municipal au niveau intercommunal, cela correspondait à la fin de la DSP en place. Par ailleurs, il y a eu un mouvement social assez surprenant pour la région si bien que les maires ruraux qui arrivaient étaient inquiets de voir un seul opérateur prendre la place de transporteurs locaux. Troisièmement, il y avait aussi un enjeu financier : au niveau de la délégation en place les résultats semblaient aller au-delà de ce qui pouvait être considéré comme normal. J’avais connu la période précédente, on m’a appelé pour un an, finalement j’y suis depuis plus de 20 ans. Nous n’avons jamais songé à passer du statut d’Epic à celui de SPL car plus difficile quand on fait travailler, comme nous, d’autres transporteurs Certaines collectivités ont adopté ce statut, d’autres comme La Rochelle, un historique de la gestion directe, vient d’opter pour la SEMOP, ce qui a eu pour effet de faire entrer Transdev à 49 % malgré la performance de la régie existante. Globalement, la tendance sur ces 25 dernières années est à un retour de la gestion directe après le mouvement de balancier opéré dans les années 70 avec l’arrivée des groupes.
Hormis chez de rares réseaux comme celui d’Annecy qui a réduit son offre, étrangement, la crise financière ne semble pas encore se faire sentir, comment l’expliquez-vous ?
Le versement mobilité dont disposent les élus est une ressource importante mais qui, dans la plupart des cas, ne suffit pas et nécessite une contribution du budget général. C’est par ce biais directement concerné par la baisse les dotations de l’Etat que la crise va se faire sentir. Et plus largement, tout le monde va être impacté, d’autant qu’avec la crise économique qui commence à poindre, le versement mobilité sera également concerné. Ce renversement s’opère après quelques années de plein emploi ou presque et sera plus ou moins sensible selon les endroits. Si on ne trouve pas une façon différente de gérer les choses, l’offre sera réduite. En parallèle, nous sommes dans une logique de transition énergétique où les transports collectifs constituent une solution et il faut que ces contributions du budget général puissent continuer.
Pour le réseau de Cholet, comment envisagez-vous 2026 ?
Nous avons d’abord à gérer un événement conjoncturel qui est la fermeture de l’usine Michelin. Ce sont 250 000€ de versement mobilité qui s’arrêtent. Parallèlement, nous avons heureusement l’ouverture d’une usine Thales, qui emploiera cependant moins de personnes. Mais ce montant sera compensé au final. La situation de PME qui commencent à voir leur activité ralentir m’inquiète davantage. Pour 2026, nous commençons à regarder dans quelle mesure maintenir ou pas l’état du réseau, mais je pense que dans la plupart des cas en France les décisions seront prises après les municipales de 2026, dans le budget 2027.
Faut-il s’inquiéter ?
Tout n’est pas forcément négatif, c’est l’occasion de se réinterroger sur la pertinence de l’offre et sur celle des services mis en place. C’est une saine gestion, on essaie de le faire régulièrement mais poussés par la nécessité nous allons faire sans doute plus vite. Pour autant, au moment où le transport public doit jouer un vrai rôle dans la lutte contre le changement climatique, c’est un vrai défi.
La question de la gratuité existe-t-elle à Cholet ?
Ce débat va forcément avoir lieu aux municipales. Si on se prive des 2,5 millions d’euros de recettes tarifaires, il faut bien les prendre quelque part. Nous pouvons augmenter le VM bien sûr mais on touche l’économie locale. Cela reste le choix des élus mais techniquement, rien n’a prouvé la pertinence d’une gratuité sur le transfert modal. Le seul objectif que l’on doit avoir aujourd’hui c’est le transfert modal. Il y a plus de pertinence à garder de l’argent pour développer l’offre que de rendre les choses gratuites.
Comment conduisez-vous la transition énergétique ?
Nous n’avons pas encore franchi le pas de l’électrique même si le lancement du marché pour acquérir un premier bus est en cours. Dans une optique purement économique, nous nous sommes orientés au milieu des années 2010 vers un allongement de durée de vie des bus, ils étaient en bon état et leur maintenance ne posait pas de souci. Mais dans les années 2015, nous sommes revenus en arrière car d’un point de vue des émissions, c’était catastrophique. Aujourd’hui la quasi-totalité de nos véhicules sont en Euro 6 mis à part quelques-uns encore en Euro 5. Cela nous a permis de baisser fortement les émissions locales. N’étant pas contraints par l’obligation d’abandonner les bus diesel puisque nous sommes en dessous du seuil de
250 000 habitants, nous réalisons tranquillement et de façon pragmatique notre transition énergétique en continuant d’acheter des véhicules thermiques en même temps que quelques véhicules électriques pour amorcer la pompe.
Le biogaz ne vous a jamais tenté ?
On peut se poser des questions du réel impact car pratiquement aucun réseau ne roule avec du biogaz, c’est-à-dire avec de la biométhanisation injectée directement dans leur bus. La plupart des réseaux achètent du gaz classique avec des certificats d’origine pour du biogaz, mais qui n’a pas d’effet sur la réduction d’émission localement.
Pour terminer, vous êtes impliqué depuis l’origine dans la Centrale d’achat du transport public (CATP) qui a été lancée dans l’orbite d’AGIR, en quoi cette structure s’est-elle imposée ?
Elle offre une expertise indépendante aux collectivités dont elles ne disposent pas forcément par leurs propres moyens ou parce que l’AMO à laquelle elles recourent n’est pas totalement indépendante. C’est pour cela que nous avons référencé des AMO qui ne dépendent d’aucun intérêt particulier. Ce service s’adresse à tous, et pas seulement aux réseaux AGIR à tel point que 9 des 10 plus grandes agglomérations françaises à commencer par Île-de-France Mobilités font appel à nous. L’avantage est d’offrir des procédures allégées. Toute la partie marché public ayant été faite préalablement, les procédures sont donc plus légères. Deuxièmement, il y a l’avantage économique liée aux achats massifiés. Il y a en outre un intérêt technique car la Centrale offre la garantie que le choix des véhicules ou des logiciels répond précisément aux besoins. J’ajoute le point juridique, pas négligeable car la centrale d’achat supporte le risque. Nos procédures sont irréprochables et les collectivités se reposent sur nous en la matière.
Propos recueillis par Marc Fressoz