Youenn-Dupuis
Youenn Dupuis
Directeur Général Adjoint de Keolis, en charge de l'Île-de-France

« Le voyageur doit être accueilli comme dans un centre commercial premium »

Le Grand Paris Express, dont Keolis exploitera 90 km de lignes doit permettre au groupe de se distinguer dans la perspective de la mise en concurrence du réseau de métro de la RATP, explique Youenn Dupuis. Le patron de l’opérateur en Île-de-France évoque également les enjeux liés aux marchés des bus.

Mobily-Cités : Keolis a remporté l’exploitation de 3 lignes du Grand Paris Express, où en êtes-vous dans la préparation de chacun de ces contrats ?

Youenn Dupuis : Keolis a été choisi par Île-de-France Mobilités pour exploiter les lignes 16,17 et 18 du Grand Paris Express. Nous sommes depuis plusieurs mois en ordre de marche en vue d’une ouverture du service commercial programmée d’ici 2026 pour les 16 et 17. Cela se traduit par un travail commun avec la Société des Grands Projets, avec le gestionnaire d’infrastructures et avec Île-de-France Mobilités. Il faut pouvoir réceptionner les infrastructures, les équipements des systèmes, le matériel roulant et préparer ensuite les différents essais ( intégration des différents systèmes entre eux, marches à blanc etc.) Keolis a également obtenu les opérations sur la gare Saint-Denis Pleyel, rattachée aux lignes 16 et 17 et qui est la plus grande gare du Grand Paris Express. 

 

En quoi ce contrat diffère-t-il des autres lignes automatiques que vous exploitez ? 

Le Grand Paris Express, c’est un investissement très important  avoisinant les 35 milliards d’euros, c’est le métro automatique le plus moderne du monde. Keolis en exploite de très modernes, comme à Doha ou à Dubaï, là nous franchisons un pas supplémentaire en matière de modernité. Cela se voit notamment sur les systèmes automatiques, les trains ou les gares. Notre objectif est de délivrer un service à la hauteur de cette ambition, que ce soit sur l’offre de transport, la régularité, la maintenance du matériel roulant, notamment avec des outils modernes faisant appel à l’internet des objets pour favoriser la maintenance prédictive, ou que ce soit sur le service client avec une démarche proactive. La gestion de plusieurs lignes de métro obtenues à Londres nous a permis de capitaliser sur le haut niveau de service développé avec Transport for London.

 

Pourquoi comparez-vous les gares à des centres commerciaux premium ? 

Keolis va apporter une ambition nouvelle sur la qualité des espaces, l’ambiance, le sentiment de sécurité, la propreté des gares, autant de priorités ressorties de l’analyse des attentes des Franciliens. Nous voulons franchir un pas dans la qualité de service, notamment en termes d’accueil et d’ambiance, par rapport à l’existant. Nous ne parlons d’ailleurs pas d’agent mais d’Ambassadeurs et de Chefs de gare avec des personnes recrutées avec la fibre du service. On doit se trouver, à la gare Saint-Denis Pleyel comme dans les autres gares de la ligne, avec le même niveau qualitatif que dans un centre commercial premium. Des partenariats noués avec des experts nous apporteront des méthodes permettant d’établir, dans la durée, ces qualités recherchées.

 

Pour remporter le contrat de la ligne 18 qui n’a pas la même spécificité, sur quoi avez-vous mis l’accent ?

La ligne 18 présente de fortes spécificités : ce n’est pas du tout le même matériel, c’est un ouvrage aérien ayant ses propres sujets d’exploitation, de gestion des intempéries, avec la question de la prévention d’éventuels impacts soit sonores ou visuels vis-à-vis des riverains. Elle se caractérise aussi par des connexions plus fortes avec les mobilités alternatives avec des inter-gares assez longues. L’idée était de proposer un bon agencement de cette ligne 18 avec toutes les initiatives qui peuvent être prises, notamment sur les territoires traversés comme Versailles Grand Arc, Saint-Quentin en Yvelines ou la Communauté d’agglomération Paris Saclay. Autre particularité, la 18 desservira l’aéroport d’Orly avec un enjeu particulier d’accueil de voyageurs occasionnels.

 

A quoi vous servira l’expérience acquise avec ces trois lignes ?

Une fois l’ensemble du Grand Paris express en service, nous aurons la chance d’exploiter 90 km de métro automatique en Île-de-France, soit autant que l’opérateur historique. Cela nous place sur de bonnes bases pour la seconde étape de l’ouverture à la concurrence en Île-de-France, celle des lignes de métro existantes et notamment des métros automatiques.

 

En matière de bus, le démarrage des nouveaux lots en grande couronne a été assez compliqué, avec le recul, y a-t-il des points à revoir ? 

Le projet mené par Île-de-France Mobilités a été d’une ampleur inédite, avec un redécoupage complet des contrats, passant de 140 à 37 lots pour aboutir à des réseaux de bus collant à la réalité des bassins de vie et évitant les doublons. Cela a été très complexe à mettre en œuvre du point de vue technique et du point de vue social, et globalement cette transition s’est bien passée malgré quelques difficultés sur certains réseaux. Nous sommes satisfaits puisque Keolis est passé de 20 à 30% de parts de marché. Cela dit, le sujet à présent c’est qu’entre le moment où on a répondu aux appels d’offres et aujourd’hui, un certain nombre d’éléments sont intervenus : le COVID avec un changement des comportements notamment en grande couronne, l’inflation, la crise du recrutement apparue en 2022. Nous avons entamé un dialogue avec Île-de-France Mobilités pour revoir un certain nombre de curseurs dans les contrats. En parallèle, la réorganisation des réseaux ou encore la mise en place de nouveaux outils nous ont permis de faire un saut qualitatif en termes de régularité, avec 4 à 13 points de hausse selon les réseaux.

 

Un nouveau cycle d’attribution de contrats Optile s’ouvre, comment allez-vous vous positionner ? 

Nous arrivons en effet à la saison 2, les premiers cahiers des charges parus ne concernant pas les lots où nous sommes sortants. Notre politique sera de comprendre l’environnement contractuel avant de définir notre stratégie de réponse. Si le niveau de risque reste celui de la saison 1, cela pourrait clairement nous freiner dans la volonté de participer à tous les appels d’offres.

 

Passons aux lignes de bus de la petite couronne où vous êtes candidat, sur quels points se jouera la compétition à votre avis ?

Il s’agit ici d’allotir un réseau pour en faire plusieurs réseaux locaux, avec une dimension à la fois technique et sociale, et non de ré-agencer des réseaux comme en grande couronne. L’enjeu est de donner un nouveau souffle à un réseau en perte d’attractivité. Alors que la fréquentation des bus de grande couronne croît de 3 à 5% par an, à Paris, le réseau perd 1% de voyageurs par an et sa vitesse commerciale a baissé de 25% sur les 20 dernières années. Elle est tombée à moins de 10 km/h aux heures de pointe. Il est donc nécessaire de gagner en réactivité, d’être à l’écoute des différents territoires, avec une gestion peut-être un peu plus locale et décentralisée. Beaucoup de choses méritent d’être revisitées car la dernière restructuration du réseau, intervenue avant le Covid en 2019, n’a pas du tout donné les résultats escomptés, malgré plusieurs dizaines de millions d’euros qui lui ont été consacrés.

 

A Paris, l’amélioration de la vitesse commerciale n’est-elle pas plus difficile à obtenir dans la mesure où le gestionnaire de la voirie n’est pas l’autorité organisatrice mais la Ville de Paris ? 

Oui mais c’est déjà le cas en grande couronne où les gestionnaires de voirie sont nos interlocuteurs, comme en province ou à l’international d’ailleurs. Il est nécessaire de mener un travail collaboratif sans doute à renforcer à Paris. Nous sommes extrêmement attentifs à la vitesse commerciale, qui dépend également du fonctionnement des feux de signalisation, du respect des voies réservées par les autres usagers. C’est en mettant tout cela ensemble que d’autres grandes capitales en Europe sont parvenues à rétablir une croissance du trafic qui s’était érodée comme à Paris.

 

Le groupe SNCF fait jouer les synergies entre ses différentes activités dans le cadre de l’ouverture à la concurrence. Vous êtes associés à Transilien via Transkeo pour exploiter des trams-trains, pourriez-vous faire de même pour les trains de banlieue qu’IDFM commence à mettre en jeu ?

Nous ne participons pas aux appels d’offres ferroviaires en-dehors des trams-trains. Nous travaillons en commun avec Transilien via Transkeo. Transilien a apporté à Keolis son expertise en termes d’exploitation ferroviaire et de maintenance, inversement Keolis a apporté ses compétences en matière de gestion d’appel d’offres notamment. Nous allons capitaliser sur nos savoir-faire respectifs. Répondre à un appel d’offres, c’est le métier de Keolis. C’est sans doute un savoir-faire précieux pour la SNCF et nous sommes heureux de pouvoir lui en faire bénéficier.

 

Propos recueillis par Marc Fressoz

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