Youenn-Dupuis
Youenn Dupuis
Directeur général adjoint en charge de l’Ile-de-France, Keolis

Grande couronne : « Le modèle économique des contrats est pénalisé par le contexte inflationniste post-Covid »

Tramways, trams-trains, lignes 16 et 17 du Grand Paris Express, lignes de bus en grande couronne… la filiale de la SNCF dédiée au transport urbain accroît ses parts de marché en Ile-de-France. Retour sur une stratégie gagnante avec Youenn Dupuis.

Propos recueillis par Sandrine Garnier

Mobily-Cités : L’ouverture à la concurrence des réseaux de bus de grande couronne est à présent terminée. Quel bilan en tirez-vous ? 

Youenn Dupuis : Keolis a toujours soutenu l’ouverture à la concurrence. Cette forme de contractualisation garantit le libre choix de l’autorité organisatrice.

Avant même le redécoupage des réseaux de grande couronne, nous avons participé à plusieurs ouvertures de marché, concernant des créations de lignes. Cela fait maintenant trois ans que nous exploitons le tramway T9, avec de très bons résultats puisque nous enregistrons une fréquentation supérieure aux prévisions, avec plus de 100 000 validations certains jours. Nous avons également été retenus en groupement avec SNCF Voyageurs pour l’exploitation des lignes de tram-train T4, T11, ainsi que de la branche Esbly-Crécy de la ligne P. Et depuis 2017, nous travaillons pour préparer la mise en service de la liaison CDG express entre Paris gare de l’Est et l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle, prévue pour 2027. Enfin, Keolis a remporté le contrat pour l’exploitation des lignes 16 et 17 du Grand Paris Express. Ce contrat comprend également la gestion, dès le mois de juin 2024, de la gare de Saint-Denis Pleyel, qui va devenir l’équivalent de la station Châtelet pour le GPE, avec le passage des lignes 14, 15, 16 et 17. 

Nous avons remporté 11 lots sur 37 en grande couronne, ce qui nous a permis d’accroître notre part de marché de 10 points, pour atteindre 30%.

Les transferts de marchés ne se sont pas toujours déroulés dans la fluidité. Comment l’expliquez-vous ? 

Le processus d’ouverture à la concurrence en grande couronne très complexe. Il faut rappeler qu’il y avait auparavant 120 réseaux, qui ont été redimensionnés par l’autorité organisatrice pour constituer 37 réseaux cohérents avec les bassins de vie, dans une logique de développement de long terme. Au total, 5 000 agents ont été transférés, et les nouvelles entités accueillent parfois des salariés issus de 4 ou 5 sociétés différentes. Même si l’on a pu constater des dysfonctionnements ici ou là, l’ensemble s’est plutôt bien déroulé. Nous constatons déjà sur certaines lignes des gains de régularité allant jusqu’à 8 points. La qualité de service devrait donc logiquement s’améliorer globalement. 

En complément des réseaux locaux, nous avons mis en place un centre régional nommé KORRIVA, doté de 40 régulateurs, ainsi qu’une structure spécialisée dans le contrôle et la sécurité, Keolis contrôle et humanisation, avec 300 salariés chargés de procéder à 300 000 contrôles de titres par mois. 

« Les incitations à privilégier le télétravail sont pour le moment trop générales et en même temps assez floues »

Vous êtes également président d’Optile, qui regroupe les opérateurs de grande couronne. A ce titre, vous avez attiré l’attention d’Ile-de-France Mobilités sur le manque de rentabilité des contrats. Pourquoi ?

Le modèle économique des contrats de grande couronne est pénalisé par le contexte inflationniste post-Covid, renforcé par les tensions internationales liées à la guerre en Ukraine et à la crise au Moyen-Orient. Les conditions de pénalité fixées par Ile-de-France Mobilités doivent être revues. De plus, les prix des pièces détachées et des outils industriels ont eux aussi fortement augmenté. D’autre part, les coûts liés aux nouvelles énergies ne sont pas suffisamment pris en compte. Les indices existants pris en compte dans les révisions suivent l’évolution des prix du gazole, mais reflètent imparfaitement ceux de l’électricité. 

 

T12_Trams

Face à la pénurie de conducteurs, quelles mesures avez-vous mises en place ?

Cette situation nous a permis d’évoluer, et nous sommes passés d’un recrutement de la sélection à recrutement de la séduction. Pour cela, nous avons noué des partenariats fructueux avec les acteurs de l’emploi et de la formation professionnelle, afin de toucher différents publics : des femmes, des jeunes éloignés de l’emploi, des salariés en reconversion professionnelle… 30% des salariés que nous avons recrutés en 2023 avaient plus de 45 ans. Nous développons aussi de nouvelles méthodes de recrutement, par cooptation ou via l’intégration par le sport, sans oublier le cumul emploi-retraite et le partenariat avec la Défense nationale pour intégrer d’anciens militaires en reconversion. Après le trou d’air de la rentrée 2022, la crise des recrutements est maintenant derrière nous. Nous avons, chez Keolis Ile-de-France, recruté 700 conducteurs en 2023.

Vous êtes donc serein, y compris pour la période des Jeux olympiques et paralympiques de Paris ?

Nous avons remporté le contrat du transport des athlètes, et nous avons besoin de 900 conducteurs par jour pour assurer ces missions. Nous avons lancé un appel à volontariat auprès de l’ensemble de nos filiales, avec un package qui va jusqu’à 1000€ de prime. Les volontaires peuvent s’inscrire pour 1 à 4 semaines. Cela nous a permis de réunir 70% de l’effectif nécessaire. Nous complétons en nous tournant vers des PME ou encore vers des conducteurs venus de Belgique.

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