S-Laval
Sylvain Laval 
Président du SMMAG et vice-président de Grenoble Alpes Métropole

« Nous ne pouvons pas attendre 20-25 ans la réalisation des SERM » 

Sylvain Laval déplore le temps perdu pour réaliser des projets de transport structurants comme les SERM, qu’il juge indispensables pour accompagner le déploiement des Zones à faible émission (ZFE). Il préconise la mise en place d’un cadre réglementaire qui limite dans le temps les procédures, de façon à accélérer la mise en place d’offres de mobilité alternatives à la voiture individuelle. 

Propos recueillis par Florence Guernalec

Mobily-Cités : Quel bilan tirez-vous de l’intégration des territoires de la Communauté de communes Le Grésivaudan et de la Communauté d’agglomération du Voironnais au SMMAG ?

Sylvain Laval : Travailler à l’échelle d’un bassin de mobilité est extrêmement pertinent, car cela nous oblige à nous accorder sur une vision d’ensemble. Cela entraîne une dynamique vertueuse qui est bénéfique aux usagers. Evidemment, cela implique une gouvernance partagée et une très bonne coordination. A la création du SMMAG en 2020, seules deux intercommunalités nous avaient transféré l’ensemble de la compétence mobilité. La troisième, la communauté d’agglomération du pays voironnais, vient de nous transférer la compétence vélo. Ainsi, notre service de location de longue durée Mvélo+ est désormais disponible sur l’ensemble du territoire : c’est une mesure efficace et de juste accès au service. Nous travaillons désormais sur le transfert de la compétence transport en commun… 

 

Autre application concrète de cette intégration, la réforme tarifaire engagée entre Grenoble Alpes Métropole et Le Grésivaudan…

En effet, cette réforme entrera en vigueur à compter du 1er septembre 2024. Notre service de transport sera de fait plus lisible et attractif pour les usagers avec un seul plan de lignes, une tarification et une billettique harmonisées. Les voyageurs n’auront plus besoin que d’un seul billet pour se déplacer sur les deux territoires. De son côté, la communauté d’agglomération du Voironnais a d’ores et déjà anticipé les conséquences de cette réforme en adoptant un système billettique interopérable avec le nôtre. Surtout, la fusion des réseaux MTag et MTougo va permettre de transformer le réseau existant. Il s’agit, en premier lieu, d’améliorer l’accès à la Métropole de ceux qui vivent en périphérie par une augmentation de la fréquence et de l’amplitude horaire de certaines lignes, et la création de lignes directes entre les deux territoires. Le coût supplémentaire entraîné par cette transformation (4,6 M€) sera notamment financé par la mutualisation des moyens. 

Quel est le rôle du SMMAG dans le futur SERM de Grenoble ?

C’est aujourd’hui le dossier qui nous préoccupe le plus, même si cela ne relève pas de notre compétence directe : nous sommes extrêmement impliqués dans le comité de pilotage technique et les coordinations locales. Nous prenons en charge financièrement la réalisation des PEM des futures gares. La seconde phase impliquera un investissement de 800 M€ à 1 Md€ pour réaliser notamment des travaux d’infrastructure (doublement des voies existantes en passant de deux à quatre voies). Or, il n’existe pas, à ce stade, le moindre financement. Nous sommes donc fortement en attente de l’Etat, c’est lui qui est le pilote. Sans son concours, nous ne pouvons pas démarrer cette seconde phase.

« LE TRANSPORT MÉRITERAIT UNE LÉGISLATION SPÉCIFIQUE COMME L’EXÉCUTIF A SU LE FAIRE POUR LES JEUX OLYMPIQUES POUR ACCÉLÉRER LA RÉALISATION DE PROJETS D’INFRASTRUCTURE »

Quels sont les obstacles à la mise en œuvre de ce SERM ?

Nous avons absolument besoin de simplifier les procédures, car nous ne pouvons pas attendre 20-25 ans la réalisation des 15 SERM annoncés par le Président de la République. Ce n’est plus acceptable. En effet, nous constatons déjà que le moindre projet de ligne de tram prend au minimum huit ans à être réalisé entre les études, les avis des différents organismes administratifs qui se contredisent et qui nourrissent les contestations et les recours… En outre, il nous paraît absurde d’évaluer la pertinence d’un projet de transport collectif en calculant son coût carbone sans prendre en compte le report modal induit et les milliers de voitures qui ne circuleront plus ! Et évidemment, ce type de projet peut impacter le milieu naturel. C’est même logique. Il faut travailler à une bonne intégration et voir le gain final. 

 En résumé, nous perdons beaucoup de temps et d’argent. Il faudrait mettre en place un cadre réglementaire qui limite les procédures à 4-5 ans. Compte tenu de l’urgence, le transport mériterait une législation spécifique comme l’exécutif a su le faire pour les JOP pour accélérer la réalisation de projets d’infrastructure. Malheureusement, l’appareil d’Etat n’est pas prêt à entendre ce discours-là et n’est pas structuré pour…

« DES RAMES DE TRAMWAY PLUS PERFORMANTES, PLUS CONFORTABLES, ET SURTOUT PLUS CAPACITAIRES VONT NOUS PERMETTRE DE DÉCONGESTIONNER NOS TRANSPORTS AUX HEURES DE POINTE »

Votre projet de téléphérique urbain de 65 M€ verra-t-il le jour malgré l’opposition de la Ville de Grenoble ?

L’enquête publique s’est achevée en décembre 2023. Il appartient désormais à la commission d’enquête de rendre son avis. Elle a dorénavant la responsabilité de faire avancer ou non ce projet. Nous espérons qu’elle entendra nos arguments : ce téléphérique urbain de 3,5 km représente un projet majeur pour notre territoire, car cette infrastructure doit notamment desservir la première zone d’emploi (la presqu’île scientifique accueille des entreprises technologiques, des organismes de recherche et un campus universitaire). 

Ce « métrocâble » sera connecté avec le réseau de transport actuel, dont trois lignes de tram, et comportera des P+R tout au long du parcours. Ce téléphérique est une ligne structurante qui va permettre d’enjamber deux rivières, une autoroute, une route nationale et une voie ferrée, et sera donc plus adapté que n’importe quelle ligne de bus. Ce projet est en développement depuis près de dix ans, et a déjà coûté des millions d’euros en études techniques et consultations ! Il est grand temps d’avancer… 

Le SMMAG a prévu de renouveler son parc de tramways mis en service en 1986… Quels sont les enjeux de cet investissement ?

Tout d’abord, nous sommes contraints de changer nos rames au bout de 40 ans en raison de la réglementation française et de leur obsolescence. Nous allons acquérir des rames plus performantes, plus confortables, et surtout plus capacitaires qui vont nous permettre de décongestionner nos transports aux heures de pointe et de réaliser des économies de fonctionnement sur les coûts d’exploitation. L’appel d’offres en cours porte sur l’acquisition de près de 40 rames pour un montant estimatif à ce jour d’environ 180 M€ : nous espérons que ce sera l’occasion d’une concurrence réelle et loyale entre les candidats… 

 

Quelle est la place du covoiturage et des cars express sur le territoire du SMMAG ?

Notre réseau de covoiturage M covoit’ Lignes+ continue de se développer. C’est un réseau à haut niveau de service avec des arrêts matérialisés qui bénéficie de liaisons rapides sur les trois grands axes d’entrée de la Métropole de Grenoble grâce à un tronçon réservé aux covoitureurs : cette expérimentation se déroule actuellement sur la base du volontariat, et nous constatons que l’interdiction de circuler sur cette voie réservée n’est pas respectée sur l’autoroute. Le contrôle sanction automatisé porté par l’Etat devrait être mis en service dans quelques mois… 

Par ailleurs, les cars express ne relèvent pas du SMMAG. Cependant, nous sommes actuellement en discussion avec la Région Auvergne-Rhône-Alpes pour récupérer cette compétence pour les cars express qui circulent sur notre territoire.

Quel premier bilan tirez-vous de la mise en œuvre de la ZFE en juillet 2023 ?

Nous n’avons pas encore de données précises à ce stade. Cependant, nous ne nous attendons pas à une modification fondamentale des comportements dans la mesure où cette ZFE s’applique sur une échelle limitée : en effet, les véhicules non classés et les Crit’Air 5 sont interdits depuis le mois de juillet 2023 et les Crit’Air 4 depuis le 1er janvier 2024. Or, ce n’est pas la majorité des véhicules en circulation. En outre, l’interdiction des véhicules Crit’Air 3 n’est pas encore en application à ce jour. Nous considérons que cette question a été prise à l’envers : en effet, les ZFE concernent, en premier lieu, les personnes qui vivent en périphérie de la métropole et qui aujourd’hui n’ont pas d’autres choix que d’utiliser leur voiture pour rejoindre le centre urbain faute d’offre de transport adaptée : même si nous avons anticipé l’arrivée de la ZFE par la réalisation de PEM et P+R connectés à nos lignes de transport, nous avons absolument besoin du ferroviaire pour répondre à ces habitants. Or, les projets de SERM ne verront pas le jour avant vingt ans ! Enfin, nous ne pouvons pas porter seuls le coût financier de cette adaptation qui représente des centaines de millions d’euros sans un soutien fort de l’Etat ou de nouvelles recettes fiscales…

« Nous avons mis en place un dispositif de conseil de mobilité individualisé sur mesure pour trouver aux ménages des solutions alternatives à la voiture »

Quels sont les accompagnements et aides prévues pour les ménages dans le cadre de cette ZFE ?

Notre philosophie n’est pas de sanctionner, mais davantage de faire de la pédagogie, de la sensibilisation et d’accompagner nos habitants. Ainsi, nous avons mis en place un dispositif de conseil de mobilité individualisé sur mesure pour trouver aux ménages des solutions alternatives à la voiture. De plus, nous aidons, sous conditions de ressources, les habitants à acheter des services de mobilité (transport en commun, vélo, train, cars régionaux…). En l’absence de solution de transport, nous avons aussi prévu, en dernier ressort, une aide partielle au renouvellement de véhicule afin de permettre aux ménages d’acheter un véhicule d’occasion (en excluant le diesel). Le budget métropolitain de l’aide au renouvellement de véhicule est de 2 M€.

Le SMMAG a acté la mise en place d’une aide à l’achat de vélos en octobre 2023. Quel est le public visé ?

Tout d’abord, nous ne pouvions pas répondre à la demande uniquement avec notre service de location de vélos de longue durée. En outre, cette aide fait partie de l’accompagnement des ménages à la mise en service de la ZFE. Pour sa mise en œuvre, nous nous appuyons sur le revenu fiscal de référence et sur le barème de l’Etat. En outre, nous avons décidé de prendre en compte une tranche supplémentaire jusqu’à 1,2-1,3 Smic afin d’y inclure les classes moyennes comme nous l’avons fait pour l’aide à l’achat d’un véhicule d’occasion. Le budget métropolitain prévisionnel des aides à l’achat de vélo pour 2024 est de 2 M€. Ces aides sont cumulables avec celles mises en place par l’Etat.

À lire également

Jean-Claude Bailly
Entretien avec Jean-Claude Bailly, PDG de Navya Mobility Quelle la situation actuelle de Navya Mobility ?  JCB : A la suite de différentes opérations, l’actionnariat a changé. Désormais la société est détenue par le japonais Macnica qui vient d’ouvrir le capital à NTT...
Alexis Gibergues
Mobily-Cités :  l'OTRE joue un rôle actif dans le domaine des transports de voyageurs. Quelle est votre vision du secteur et des enjeux actuels ? Alexis Gibergues : L'OTRE défend une vision ambitieuse d’une mobilité collective structurée et à la hauteur des défis du...
François Durovray
« Je serai le Ministre des Transports de ceux qui n’en ont pas » Le secteur des transports en France est à un tournant crucial. Face aux défis contemporains de mobilité, il est impératif de redéfinir nos approches pour garantir un système de transport accessible et...
Fabrice Pannekoucke
« Objectif 2035 : 300 000 voyageurs par jour »   Interview avec Fabrice Pannekoucke Président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes Mobily-Cités : La Région Auvergne-Rhône-Alpes s’affirme comme un acteur clé des mobilités. Comment décririez-vous votre ambition en...