Romain Borini
Romain Borini
Président des Autocars Borini

« Recruter des conducteurs étrangers parlant français pourrait être une solution »

Basée à Combloux, dans la vallée de Chamonix, la PME vient d’étendre son aire de jeu vers le lac Léman après un rocambolesque transfert de contrat avec la SAT. Son président, Romain Borini, évoque aussi ses recettes pour trouver des chauffeurs. Autres thèmes abordés : le changement de modèle économique entrainé par la crise, ou encore les contradictions de la transition énergétique.

Propos recueillis par Marc Fressoz

 

Mobily-Cités : Quel est votre degré d’avancement en termes de transition énergétique ?

Romain Borini : Sur le parc de notre société historique, nous avons 60% des véhicules en transition énergétique. Sur ces 60%, 44 véhicules roulent au GNV et 5 sont électriques. Nous les utilisons tous dans le cadre de DSP ou de marchés. Les bus électriques nous servent pour des services de ski-bus sur la commune de Saint-Gervais, et nous avons deux petits cars en 22 places et trois véhicules de 9 places à usage urbain également.


Quid des contraintes de la montagne sur l’utilisation des bus électriques ? 

Nous savions que les performances en termes d’autonomie sont moindres l’hiver. Pour les deux véhicules qui ont un format de petit bus, ce n’est pas gênant. En revanche, pour les 9 places, il faut veiller à les mettre sur des lignes avec un faible kilométrage car l’hiver, il nous est arrivé de ne pas pouvoir terminer la journée à cause de l’utilisation du chauffage.


Qu’est-ce qui a motivé le passage au GNV ?

A l’origine, c’est une impulsion donnée par la région Auvergne Rhône-Alpes, qui voulait utiliser du GNV sur les services scolaires. Nous avons donc construit une première station GNV, ce qui nous a ensuite permis de proposer le GNV à des mairies pour passer leur service urbain au GNV. Nous avons mis en place 7 autobus GNV à Megève en 2019, et à Saint-Gervais nous avons fait un mix GNV-électrique. Comme nous maîtrisions cette technologie, nous avons répondu à une consultation de la Région sur toutes les lignes interurbaines dans la vallée du Mont-Blanc. Nous avons alors construit une seconde station et nous avons remporté l’appel d’offre sur un nouveau marché. La conversion au GNV nous a fait gagner des marchés.


Comment faites-vous face à la hausse des prix du prix du gaz ?

Cela devient catastrophique car la révision des taux contractuels ne compense pas du tout la très forte augmentation du prix de la molécule. Il faut que nos autorités organisatrices prennent en charge le surcoût au-delà des formules de révision, et que le rythme de révision soit plus rapide que le rythme actuel. 

Mais ce contexte ne remet absolument pas en cause nos efforts de transition énergétique. Je reste persuadé qu’elle est nécessaire. La nouvelle génération a compris que l’on devait moins consommer et je suis également convaincu que l’on doit produire nos propres énergies, comme le bio GNV, ou l’électricité en installant des panneaux photovoltaïques sur son toit ou son parking. 

 

Avez-vous des projets de station de bio GNV ? 

Aujourd’hui, d’après la règlementation, le bioGNV peut contenir seulement 30% de biogaz, avec un certificat de d’origine. C’est le gaz que nous utilisons, mais nous voulons produire notre propre biogaz. Nous travaillons sur un projet depuis 2014, mais il y a des freins politiques locaux pour des raisons de supposées nuisances. C’est très tendu pour le foncier, et quand on a du foncier, on a ensuite des voisins.

De quelle façon avez-vous élargi votre périmètre géographique ?

Nous sommes historiquement implantés au Pays du Mont-Blanc, sur un territoire assez contraint. Depuis début 2022, nous avons pris pied dans le Chablais, qui s’étend de la frontière genevoise jusqu’à Thonon, avec le gain du transport scolaire et du transport interurbain sur Thonon agglomération. Nous avons créé pour cela une structure dédiée avec 45 véhicules. 

Pourquoi le démarrage du contrat a-t-il été si compliqué ?

Normalement, nous aurions dû récupérer les chauffeurs du précédent exploitant, mais celui-ci ne nous a transmis qu’un seul conducteur, qui est resté deux semaines. En principe, ce transfert est automatique, mais nous n’avons aucun moyen de contraindre les salariés. Le démarrage du contrat a donc été très difficile. Il a fallu recruter une trentaine de conducteurs du jour au lendemain. En fait, il aurait même fallu trouver des chauffeurs en 3 jours.

Pourquoi un tel délai ? 

Après l’attribution du marché, les entreprises sortantes ont engagé un recours. Passés les référés précontractuels, nous avons été déclarés attributaire le 27 décembre 2021 pour un marché qui démarrait au 1er janvier 2022. Il a été impossible d’assurer tous les services, nous sommes montés en charge progressivement, avec une dizaine de véhicules sur la route le 1er janvier. Et finalement, nous avons pu reprendre tout le marché au 1er mai. Il a fallu acheter 40 véhicules et tenter de trouver 40 conducteurs au total.

Quelle est votre recette pour embaucher ?

C’est un peu notre secret… Certitude, la première chose à faire c’est d’investir beaucoup dans le service des ressources humaines. Ça, ce n’est pas un secret ! Et il faut repenser notre manière de recruter. Aujourd’hui, nous recrutons davantage de personnes sans permis et notre communication s’appuie non pas sur le fait que nous recrutons des conducteurs, mais que nous recrutons des personnes qui n’ont pas le permis, pour qu’elles deviennent des conducteurs. Je ne dis pas que c’est une recette miracle, mais avec 17% des effectifs manquants, nous ne sommes pas à plaindre, comparé à certains confrères.
 

Étant frontalier avec la Suisse, c’est encore plus compliqué. Comment faites-vous ?

Forcément, on ne peut pas s’aligner sur la Suisse, mais nous sommes au-dessus des minimas nationaux de la profession. Nous avons la chance d’être dans une région très attractive, de plein emploi, mais le revers de la médaille, c’est un niveau de vie élevé avec des loyers onéreux. On a beau proposer 13€ de l’heure au lieu des 11€ de la convention collective, cela ne suffit pas toujours aux chauffeurs pour trouver un logement.

Comment régler ce problème de pénurie ?

Ce qu’on demande à un conducteur, c’est de conduire et de parler français. Des gens qui parlent français et qui ont leur permis de transport en commun dans leur pays, il y en a qui sont prêts à travailler en France.  Mais il est très difficile de les faire venir surtout du Maroc, et globalement de tout le Maghreb. Leur permis de conduire n’est pas reconnu en France et il est nécessaire d’avoir des permis de travail, des titres de séjour. 

Comment avez-vous digéré la crise du Covid dans le tourisme ?

L’activité n’est pas du tout revenue à la normale. En hiver, nous avons retrouvé nos clients (anglais et scandinaves), mais au printemps et à l’automne, pas du tout. En été, on travaillait énormément avec les Asiatiques, qui représentaient environ 15% de notre chiffre d’affaires et qui ne sont pas revenus. La crise économique qui a suivi la crise sanitaire est toujours présente, même si la pénurie de main-d’œuvre est également un frein à la reprise de l’activité touristique. Nous ne sommes pas en mesure d’accueillir autant de touristes qu’en 2019. Avant la crise, la répartition de notre activité était 50% avec les collectivités, 50% avec le tourisme. Le tourisme, c’est aujourd’hui 20%, sachant que pour compenser, on s’est beaucoup développé sur les marchés publics.
 

Quelle est votre stratégie de développement ?

Aujourd’hui, elle passe par de la croissance externe. Nous savons qu’énormément de nos confrères sont à vendre. Le bruit court qu’un d’entre eux, la SAT, avait été approché par une entreprise importante de notre secteur. Étant très attaché au tissu des PME locales, nous nous étions positionnés à plusieurs reprises depuis 2017 pour l’acquérir, mais nos mains tendues sont restées sans suite. Avec notre stratégie actuelle de croissance offensive, nous sommes passés de 60 à 200 véhicules en seulement 1 an. 

Vous venez de reprendre l’entreprise familiale avec une organisation particulière. Laquelle ? 

C’est mon grand-père et mon grand-oncle qui ont créé l’entreprise en 1969. Mon père l’a dirigée pendant une quarantaine d’années et aujourd’hui, nous avons repris l’entreprise avec mon frère et ma sœur.  Nous sommes une fratrie copropriétaire et dirigeant de la société. S’il y a beaucoup de frères et sœurs actifs dans les entreprises familiales, il est assez rare que des fratries complètes reprennent les rênes.

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