En choisissant Amsterdam pour la conférence de lancement de son think tank, The Mobility Sphere, Transdev annonçait en quelque sorte la couleur: les Pays-Bas sont à la fois pionniers dans l’instauration du ticket unique (qui existe depuis 2016) et dans l’électrification des transports urbains. L’opérateur français y opère d’ailleurs des flottes importantes de bus électriques, notamment à Amsterdam et Eindhoven. Mais pas question, pour la première journée de The Mobility Sphere, de présenter les bonnes pratiques en matière de transition énergétique et de billettique. Les intervenants (élus, d’experts, universitaires…) réunis le 4 octobre ont placé les échanges sur un niveau plus politique, au sens de l’action publique et de l’intérêt général.
Gouverner, c’est choisir ; gouverner, c’est prévoir. Mais quand on est élu, comment prendre les bonnes décisions sans susciter l’impopularité… et risquer de perdre les prochaines élections? Le réchauffement climatique et la pollution de l’air sont là, les risques sont connus, et pourtant nos gouvernants continuent à promouvoir les énergies fossiles, tout en préparant (avec plus ou moins de volontarisme) l’évolution vers une économie décarbonée. Les transports, qui génèrent en Europe entre 20 et 30% des émissions de gaz à effet de serre selon les pays, ne font pas exception à cette règle. Faut-il tout arrêter avant qu’il ne soit trop tard? Ou bien opérer une transition en douceur, au risque de ne pas atteindre les objectifs climatiques fixés par l’Accord de Paris?
François Gémenne, membre du GIEC, professeur à HEC Paris et à Sciennce-Po, conseiller scientifique du think tank, rappelle que le recours aux transports publics est la condition indispensable si l’on veut éviter, à terme, d’avoir à réduire les mobilités. Mais comment convaincre les automobilistes européens de laisser leur voiture au garage pour aller prendre le tramway ou le bus ? Pour Karima Delli, la réponse passe par un effort sans précédent pour améliorer l’offre ferroviaire, les transports urbains, les pistes cyclables… Katarina Csefalvayova, Directrice de l’Institute for Central Europe et Responsable exécutive de la Danube Tech Valley Initiative, ancienne membre du Parlement slovaque, témoigne quant à elle des mentalités en Europe centrale, où la voiture reste un symbole de statut social, particulièrement dans les anciens pays du bloc communiste. Elle attire aussi l’attention sur la montée d’un sentiment eurosceptique et anti-Green Deal, nourri par les fake news et la peur de perdre des emplois liés à l’industrie automobile… Des antagonismes que l’on retrouve également au niveau local, quand il s’agit de réduire la circulation automobile en ville pour laisser davantage de place aux bus ou aux vélos, ou créer des ilots piétons.
Des résultats sont déjà là au niveau local. Le témoignage d’Elke Van den Brandt, ministre du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, chargée de la mobilité, des travaux publics et de la sécurité routière redonne des couleurs au tableau. Elle a mis en œuvre le plan Good Move dans la capitale belge, avec la création de pistes cyclables et le passage de la ville à 30 km/h. Les oppositions n’ont pas manqué, et elle a même été placée sous protection policière après avoir fait l’objet de menaces de mort. Mais les mesures ont été prises, et les bénéfices l’emportent sur les doutes. Question de courage politique.
C’est justement à Bruxelles que The Mobility Sphere tiendra son prochain rendez-vous, au premier trimestre 2024. D’ici là, le débat se poursuit sur le site internet du think tank, à travers 50 questions qui sont autant de pistes de réflexion.
Sandrine Garnier