Pierre-Merten
Pierre Mertens
Directeur général de SPL Grand Est Mobilités

« La Région se dote d’un pôle de compétences ferroviaires »

La SPL Grand Est Mobilités a été imaginée et créée par la Région Grand Est afin d’apporter à celle-ci des compétences techniques dans le domaine ferroviaire. Celles-ci sont mises à profit par les services TER opérés non seulement sur le réseau ferré national, mais également sur les lignes de desserte fine du territoire dont la gestion est transférée aux AOM dans le cadre de la LOM. La SPL fournit à la Région des éclairages techniques cruciaux dans le contexte d’obligation de mise en concurrence. La Région reste toutefois décisionnaire.

Mobily-Cités : La SPL Grand Est Mobilités est-elle une structure unique en France ?

Pierre Merten : Elle est unique car elle couvre l’ensemble du domaine ferroviaire qui intéresse la Région. Cela comprend les aspects commerciaux-marketing, matériel roulant, infrastructure et toutes les procédures de mise en concurrence. Les SPL créées par la Région Hauts-de-France d’une part, et par les Régions Nouvelle Aquitaine et Occitanie (SPIIT (4)) d’autre part, ne se chargent que de piloter techniquement et de financer les investissements relatifs au matériel roulant ferroviaire.

 

Comment la relation entre la Région et sa SPL est-elle organisée ?

Un contrat annuel de prestations intégrées (contrat « in house » ou quasi-régie) est établi en fin d’année entre la SPL et la région (5). Il mentionne les travaux et objectifs à réaliser. La SPL doit rendre des comptes et des livrables. La SPL ne peut facturer à la Région que le travail effectué. C’est la Région Grand Est qui est l’actionnaire majoritaire et qui finance la société.

 

Avez-vous des concurrents ?

Nous n’avons pas de concurrent. Nous sommes une entité publique. Notre client est la région. Bien que nous soyons de droit privé, 100% des capitaux sont publics. Nous n’avons pas vocation à réaliser des bénéfices aux dépens de la région ou des autres actionnaires. Nous sommes là pour les éclairer. Vis-à-vis de la Région, nous effectuons une forme d’assistance à maîtrise d’ouvrage.

Quel est le pouvoir décisionnel de la SPL ?

La SPL lance des appels d’offres. Elle réalise des analyses techniques et financières, mais la elle ne décide pas de l’attribution des marchés. C’est la région qui prend les décisions et signe les contrats. La SPL ne se substitue pas au rôle d’AOM de la Région. Son rôle se limite à un éclairage technique. 

 

La SPL Grand Est Mobilités existe depuis plus de deux ans. Quelles sont ses réalisations ?

Outre le contrat TER et la partie commerciale et marketing, la SPL a lancé des appels d’offres de mise en concurrence pour Nancy-Contrexéville, Bruche-Piémont des Vosges et les services transfrontaliers France-Allemagne. Elle fournit des avis ou des solutions techniques sur les travaux menés par SNCF Réseau dans le cadre du financement des contrats de plan État-Région (CPER). Elle remanie le schéma directeur du matériel roulant en apportant à la Région une vision sur les acquisitions futures afin d’obtenir un parc plus homogène et plus adapté.

 

Quels sont les rôles commerciaux et marketing de la SPL ?

Après avoir travaillé sur le nouveau contrat TER signé fin 2023, la SPL suit l’exécution de ce contrat entre la Région et la SNCF pour l’exploitation du TER jusqu’en 2033. Elle analyse les offres et travaille au profit de la région en reprenant progressivement le pilotage de certaines missions jusque-là confiées à SNCF (informations voyageurs, distribution, lutte anti-fraude, etc.). Ces travaux sont menés avec des intégrateurs de services. A terme, la partie financière et commerciale (distribution, billettique, etc.) sera pilotée par la Région. Indépendamment, des contrats sont établis avec des entreprises d’exploitation ferroviaire qui se chargent de faire circuler les trains. Ces entreprises sont payées à la réalisation de la circulation. Leur rémunération est indépendante de la vente des billets ou du taux de remplissage. Après appel d’offres, la SNCF va concourir au même titre que les entreprises concurrentes pour exploiter les lignes.

 

Comment le contrat TER évolue-t-il ?

Jusqu’à fin 2023, il s’agissait d’un contrat de gré à gré entre la SNCF et la Région. Ce contrat était direct et unique pour l’ensemble de l’exploitation des TER principalement ferroviaires, complétés par des lignes routières. L’objectif était de reconduire ce contrat jusqu’en 2033 en le faisant évoluer. En 2033, la Région, comme toutes les autres AOM, a l’obligation d’ouvrir l’ensemble des lignes à la concurrence.

 

La SPL GEM a-t-elle un rôle vis-à-vis des solutions billettique, de la carte Fluo ou d’une appli MaaS destinée à faciliter le report modal ?

Oui, la SPL va reprendre tout le pilotage de la billettique et de la distribution pour le compte de la Région. Nous travaillons également avec les différents services de la Région sur l’ensemble de la mobilité. La SPL GEM est au service de la Région pour la mise en œuvre technique des décisions qu’elle prendra.

 

Hors services administratifs et généraux, quels sont les apports techniques de la SPL GEM ?

Il s’agit d’une compétence ferroviaire dans les domaines de l’infrastructure, du matériel roulant ou de la construction d’ateliers de maintenance. Entre autres, la SPL aide et éclaire la région dans le cadre de l’acquisition de nouveaux matériels roulants. L’objectif est d’acheter le meilleur produit pour le montant le mieux maîtrisé.

Quel est votre périmètre d’exploitation ferroviaire ?

A ce jour, nous nous limitons au contrat TER. Nous pouvons toutefois être amenés à produire des analyses qui débordent du cadre TER. Il peut par exemple s’agir du rétablissement du train intercités Metz-Nancy-Lyon en décembre 2024 pour lequel la Région travaille avec les services de l’Etat. Pour ce genre de problèmes, nous pouvons faire le point sur le type de matériels roulants que nous pourrions mettre à disposition. Notre rôle se concentre sur l’activité régionale. Cela comprend les TER, les dessertes autour des métropoles régionales comme Metz-Nancy, Mulhouse, Reims et Strasbourg ainsi que le sillon lorrain vers le Luxembourg et des relations comme Mulhouse-Belfort, Chaumont-Troyes-Paris et Paris-Epernay-Châlons-Nancy-Strasbourg.

 

Quel est votre rôle vis-à-vis du matériel roulant déjà financé par la Région ?

Pour le compte de la Région, nous sommes concessionnaires du matériel roulant. En pratique, la Région récupère la propriété du matériel qu’elle a financé. La SPL va le gérer en concession et le mettre à la disposition des entreprises ferroviaires dans le cadre de l’exploitation du TER Grand Est. Ces concessions couvrent des durées assez longues. Les emprunts bancaires qui financent le matériel roulant (renouvellement et maintenance) ont des durées de remboursement de l’ordre de 40 ans.

 

Où en est la mise en concurrence ?

A terme, toutes les lignes seront mises en concurrence. Le premier lot mis en concurrence est Nancy-Contrexeville. D’autres appels d’offres sont en cours ou seront lancés. Ils couvrent l’ensemble de l’exploitation. Pour chaque ligne, la Région détermine la qualité de l’offre (fréquence, capacité, etc.). Nous voulons augmenter le nombre de voyageurs par l’amélioration de l’offre et de la qualité de services.

 

Quels sont les projets de la Région à propos des LDFT ?

La Région souhaite devenir propriétaire des LDFT. Elle finance déjà leur régénération. Dans le cas de la ligne Nancy-Contrexeville (Ligne 14), la Région va devenir propriétaire de l’infrastructure entre Jarville-la-Malgrange et Vittel. C’est en tant que propriétaire de la ligne que la Région a lancé les appels d’offres pour la régénération et l’entretien de la ligne. L’intégration verticale réunit en un seul contrat le groupement d’entreprises retenu pour la régénération de l’infrastructure, l’exploitation et la maintenance. L’objectif est de faire le juste investissement pour rajeunir les lignes et les mettre en conformité avec l’offre à mettre en place. Pour les lignes dont la Région deviendra propriétaire, le cahier des charges appliquera les mêmes normes du RFN. Notre rôle consistera à vérifier que le contrat est respecté par les entreprises attributaires. Douze lignes sont concernées par ce transfert de propriété au profit de la région. Il s’agit principalement de lignes à voie unique, mais il y a aussi des portions à double voie.

 

Comment assurez-vous la gestion des dépenses publiques ?

Nous effectuons un suivi rigoureux des travaux à réaliser et des montants d’investissements. Nous tentons d’être le plus objectifs possible.

 

Quelles relations avez-vous avec les autres SPL ?

Entre SPL, il y a un intérêt public à partager les bonnes pratiques. Nous échangeons afin de bénéficier du travail des uns et des autres dans l’intérêt commun.

 

Comment procèdent les Régions qui ne se sont pas dotées d’une SPL pour leurs services ferroviaires ?

Ces Régions travaillent différemment sur les sujets techniques en faisant appel à des AMO (assistant à maîtrise d’ouvrage). A la différence des AMO, la SPL Grand Est Mobilités ne vend pas une prestation à la Région pour en tirer un bénéfice.

 

Comment améliorez-vous la qualité de service ? 

Pour l’exploitation du TER, nous essayons d’avoir autant que possible une vision client. Pour que les gens aient confiance dans le train, il faut que les trains circulent et soient à l’heure. Le nouveau contrat TER avec la SNCF renforce les objectifs en termes de régularité et de conformité. Avec le précédent contrat, le défaut de régularité ne concernait pas les trains ayant jusqu’à 5 min 59 s de retard. D’autre part, un train qui ne circulait pas n’était pas considéré comme en retard. Le nouveau contrat comprend un indicateur de conformité. Désormais, un train qui ne circule pas parce qu’il est supprimé est aussi considéré comme en retard. D’autre part, le délai à partir duquel un train est considéré comme en retard a été réduit à 2 min 59 s (hors grandes lignes comme Paris-Mulhouse ou Paris-Strasbourg restées à 5 min 59). Des pénalités sont prévues si la qualité de production du TER n’est pas satisfaisante. Entre le précédent contrat et le contrat actuel, le montant des pénalités est passé de 3 à 20 M€. Ces pénalités peuvent concerner une réduction de la capacité d’emport par rapport à celle prévue. La recherche de qualité de service comprend l’évaluation de multiples critères comme la propreté des rames ou celle des gares. La Région paye, mais elle demande un retour sur investissement et une qualité de service.

 

Quels sont les axes d’amélioration de l’offre ?

Nous cherchons à augmenter à la fois le nombre de circulations et le nombre de dessertes. Dans le ferroviaire, les contraintes sont multiples. Le matériel roulant et sa maintenance imposent leurs limitations. La principale limite est toutefois celle liée à l’infrastructure ferroviaire. La Région n’a pas la main sur toute l’infrastructure ferroviaire. C’est SNCF Réseau qui est chargée de l’infrastructure du RFN.

 

Envisagez-vous le remplacement des rames réversibles Corail utilisées pour le TER 200 en plaine d’Alsace ?

Il n’y a pas encore d’appels d’offres pour remplacer les rames Corail utilisées par le TER 200 et les liaisons Grand Express. Les rames Corail sont confortables et ont une capacité d’emport intéressante. Leur principal défaut est leur accès. Leurs portes sont étroites et ont des marches, ce qui a une influence sur les temps de montée ou de descente des voyageurs. Nous allons définir un cahier des charges pour un nouveau matériel. L’objectif est de remplacer la rame complète (locomotives SyBic et voitures Corail 200) à l’horizon 2031-2032 en raison du réaménagement de la gare de Bâle. La formule automotrice et la formule rame remorquée ont l’une et l’autre des avantages et des inconvénients. Nous avons un cahier des charges en termes de fonctionnalités. Nous regardons également le coût complet (acquisition, maintenance) et l’offre des industriels. Le matériel acheté sur catalogue est évidemment moins cher qu’un matériel développé spécifiquement.

 

Le périmètre d’action de la SPL GEM va-t-il s’accroître ?

Oui, notamment pour la part infrastructure avec le transfert de propriété des LDFT vers la Région Grand Est.

 

Comment la charge de travail de la SPL GEM va-t-elle évoluer ?

Elle va augmenter. Nous sommes au début d’une nouvelle organisation du ferroviaire dans la Région Grand Est. Nous préparons notamment les procédures de mises en concurrence, mais dès les attributions, nous devrons réaliser le pilotage et le suivi des différents contrats, aussi bien pour l’exploitation du TER que pour la partie infrastructure. A cela s’ajoute la mise en œuvre de la concession pour le matériel roulant. De grands défis nous attendent également en termes de transition énergétique, de verdissement de parc et d’innovations.

 

Les missions de la SPL GEM vont-elles évoluer ?

Rien n’est encore décidé à ce sujet, mais des évolutions seront bien évidemment possibles.

 

Propos recueillis par Loïc Fieux.

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