« Ambition environnementale et partenariats locaux »
Mobily-Cités : Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est l’aventure « So Brest » ?
Philippe Bihan : « So Brest » est né en septembre 2021, au cœur de la crise du COVID, à travers une association de cinq transporteurs qui sont les Cars Bihan, les Cars des Abers, Voyages Labat, Trans Elorn Tourisme et Voyages Le Bris. Notre activité touristique était en déclin, et nous avons décidé de réinvestir dans le territoire du Pays de Brest. Aujourd’hui, « So Brest » exploite environ 170 véhicules dont 25 cars de tourisme.
Quelle est la répartition énergétique de la flotte des cars Bihan?
La gestion de notre flotte est structurée autour de nos différentes activités de transport, ce qui nous permet d’adapter l’usage de chaque type de véhicule à son secteur spécifique. Pour les Cars Bihan, notre principale activité concerne le réseau Brest Go, où nous opérons environ une cinquantaine de véhicules. En sus, une quinzaine de bus sont exclusivement dédiés au transport urbain, assurant des trajets réguliers à travers la ville et la périphérie immédiate. Ce segment est crucial pour nous, car il est au cœur de notre engagement envers les collectivités et constitue une partie importante de nos opérations quotidiennes.
En parallèle, nous avons également cinq véhicules qui sont consacrés aux services touristiques, un secteur en pleine reprise depuis la fin des restrictions liées au COVID. Ces véhicules sont souvent utilisés pour des circuits occasionnels ou des voyages longue distance, et leur rôle est de relier Brest à d’autres destinations touristiques dans la région et au-delà.
Mobily-Cités : Quelle stratégie envisagez-vous pour accélérer votre transition énergétique, tout en surmontant les défis liés à la hausse des prix ?
Aujourd’hui, notre parc de véhicules repose encore majoritairement sur le diesel, une solution qui s’impose par sa fiabilité éprouvée, son coût maîtrisé et sa capacité à répondre aux exigences des opérations interurbaines. Néanmoins, conscients des enjeux environnementaux et soucieux de contribuer à la transition énergétique, nous avons entrepris de diversifier nos sources d’énergie. C’est ainsi que nous avons intégré progressivement des véhicules hybrides fonctionnant au bioGNV, une alternative plus respectueuse de l’environnement. Ces véhicules, principalement déployés sur le réseau urbain de Brest, nous permettent de réduire significativement notre empreinte carbone tout en répondant aux objectifs ambitieux fixés par la collectivité en matière de transition énergétique.
Cette approche hybride, où nous utilisons à la fois du diesel et du bioGNV, reflète notre stratégie globale : adopter une transition progressive tout en assurant la continuité de nos services. Chaque segment de notre activité, qu’il soit urbain, interurbain ou touristique, a des besoins spécifiques, et nous devons adapter nos choix énergétiques en conséquence. À long terme, nous envisageons d’accroître notre flotte de véhicules verts, en fonction des évolutions technologiques et des soutiens que nous espérons recevoir de la part des collectivités.
Mobily-Cités : Pourquoi avez-vous limité le développement du BioGNV malgré son intérêt environnemental ?
En 2021, nous avons amorcé un virage vers le BioGNV, convaincus de son intérêt environnemental et de sa pertinence pour notre activité. Le BioGNV est en effet un carburant renouvelable, issu de la méthanisation des déchets organiques, et permet de réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre par rapport aux carburants fossiles traditionnels. Nous étions, à l’époque, pleinement engagés dans cette transition avec l’acquisition de plusieurs véhicules fonctionnant au BioGNV.
Dès janvier 2023, nous avons été confrontés à une augmentation significative des prix. Le coût du kilo de BioGNV a littéralement « explosé » puisqu’il a quintuplé en l’espace de deux ans, passant de 0,80 € à 4,21 €. Cette flambée des prix a eu un impact direct sur notre capacité à développer cette technologie dans notre flotte. Bien que la ville de Brest nous ait apporté son soutien financier, il est devenu économiquement difficile de justifier l’achat de nouveaux véhicules fonctionnant au BioGNV. Avec une telle variation des coûts. Vous comprendrez aisément qu’il est complexe de planifier des investissements à long terme, car nous ne pouvons pas nous permettre de dépendre d’une énergie aussi volatile en termes de prix.
Les fluctuations du marché du gaz, exacerbées par les tensions géopolitiques et la demande croissante de carburants alternatifs, ont ajouté une incertitude que nous ne pouvions pas ignorer. Même avec les subventions et l’aide de la collectivité, les coûts opérationnels liés à l’utilisation du BioGNV ont dépassé nos attentes initiales, rendant difficile l’expansion de cette solution à l’ensemble de notre flotte pour l’instant.
Nous avons donc pris la décision de geler temporairement toute nouvelle acquisition de véhicules roulant au BioGNV, dans l’attente d’une stabilisation des prix. Cette décision n’a pas été prise à la légère, car nous restons convaincus que ce carburant a un rôle clé à jouer dans la transition énergétique, notamment pour les réseaux urbains et les trajets réguliers. Nous devons trouver un équilibre entre nos ambitions environnementales et la viabilité économique de nos opérations.
Nous surveillons de près l’évolution du marché et espérons que la situation se normalisera à moyen terme. En attendant, nous explorons d’autres options, telles que la méthanisation locale avec des partenaires agricoles, ce qui pourrait nous permettre de produire notre propre BioGNV à des coûts maîtrisés, mais également l’achat d’ombrières photovoltaïques afin de produire notre électricité et couvrir nos besoins au moindre coût. Cette approche contribuerait à réduire notre dépendance aux fluctuations des prix du marché mondial et à sécuriser notre approvisionnement énergétique de manière plus durable et prévisible.
Comment la collectivité a-t-elle réagi face à ces fluctuations des coûts énergétiques ?
La Métropole Brestoise a fait preuve d’une grande réactivité et d’une réelle compréhension face aux difficultés que nous avons rencontrées, notamment concernant l’augmentation soudaine et significative des coûts du BioGNV. Lorsque nous avons commencé à introduire cette technologie dans notre flotte, les prix étaient relativement stables et encourageants. Avec la flambée des prix en seulement deux ans, la situation est devenue économiquement intenable pour nous. Face à cela, la collectivité n’a pas hésité à intervenir pour compenser ces surcoûts et nous permettre de continuer à exploiter nos véhicules sans mettre en péril notre équilibre financier.
Ce soutien a pris plusieurs formes. D’une part, il y a eu une prise en charge budgétaire directe des surcoûts liés à l’achat du carburant, ce qui a été vital pour maintenir nos activités. La collectivité a pleinement conscience que la transition énergétique ne se fera pas sans des investissements lourds à court terme, tant pour les transporteurs que pour les collectivités elles-mêmes.
D’autre part, nous collaborons étroitement avec les autorités locales pour trouver des solutions durables. Nous avons entamé des discussions sur la possibilité de développer des infrastructures locales de production ou de distribution de BioGNV, ce qui nous permettrait de stabiliser les prix à long terme et de réduire notre dépendance vis-à-vis des fluctuations du marché global. Pour l’instant, nous dépendons encore d’une station publique pour l’approvisionnement en BioGNV, ce qui n’est pas l’idéal, car les tarifs ne sont pas toujours avantageux. Il est donc primordial de travailler sur des alternatives, notamment la création de stations dédiées qui pourraient garantir un meilleur contrôle sur les prix et l’approvisionnement.
Quelle est votre opinion sur la fin annoncée des moteurs thermiques en 2035 ?
Je pense sincèrement que c’est une décision précipitée et, d’une certaine manière, contre-productive. Il est important de comprendre que tous les moteurs thermiques ne sont pas mauvais par nature. Nos véhicules Euro 6, sont déjà très performants en matière de réduction des émissions polluantes. Ces moteurs sont beaucoup plus propres que les anciennes générations et respectent des normes environnementales très strictes. Nous avons investi massivement dans ces technologies et il serait regrettable de devoir les abandonner prématurément alors qu’ils peuvent encore rouler de nombreuses années sans causer de dommages environnementaux significatifs. L’idée que tous les moteurs thermiques doivent être éliminés d’ici 2035 ne prend pas suffisamment en compte les progrès réalisés dans ce domaine.
Prenons le BioGNV, par exemple. C’est un carburant qui, bien qu’étant d’origine thermique, est extrêmement vertueux. Il est produit à partir de matières organiques renouvelables, notamment issues de l’agriculture et des déchets, ce qui en fait une solution locale et durable pour beaucoup de territoires. De plus, il permet de recycler des ressources qui seraient autrement perdues, tout en réduisant les émissions de CO2 par rapport aux carburants fossiles classiques. Si nous interdisons tous les moteurs thermiques, nous risquons d’exclure des solutions comme le BioGNV, qui ont pourtant un rôle à jouer dans la transition énergétique.
Selon vous quelles sont les énergies les plus pertinentes pour répondre aux besoins variés des territoires ?
Je suis plutôt favorable à un mix énergétique, qui doit être adapté aux spécificités géographiques et aux besoins locaux. Chaque territoire a ses propres contraintes et opportunités. Par exemple, dans une région agricole comme la nôtre, le BioGNV a tout son sens car il peut être produit localement, en circuit court, et utilisé de manière efficace pour alimenter les véhicules. En revanche, dans une grande métropole, où l’accès à ce type de carburant est plus compliqué, des solutions comme l’électricité ou l’hydrogène pourraient être plus pertinentes.
Ce que je défends, c’est une approche pragmatique qui ne se fonde pas sur une interdiction pure et simple d’une technologie mais sur un équilibre entre différentes sources d’énergie, en fonction des besoins. L’électrification est une voie intéressante, mais elle n’est pas la solution universelle. Il existe encore des défis importants, notamment en termes d’autonomie, de coût des batteries et d’infrastructures de recharge, qui ne seront pas résolus du jour au lendemain.
Quels sont les principaux axes de votre stratégie en matière de transition énergétique pour vos différents véhicules ?
Nous sommes actuellement dans une période charnière. Pour les véhicules de moins de 20 tonnes, nous nous orienterons clairement vers l’électrique. Les progrès récents dans la technologie des batteries sont encourageants, avec des autonomies en constante augmentation et des coûts qui tendent à diminuer. Cela nous ouvre des perspectives pour équiper notre flotte de véhicules légers avec des modèles électriques dans un futur proche. Nous pensons que dans les cinq à dix prochaines années, cette technologie sera non seulement plus accessible financièrement, mais aussi plus performante en termes de durée de vie et de capacité de charge.
En ce qui concerne les véhicules plus lourds, comme les cars ou les autobus interurbains, l’hydrogène pourrait-être une solution la plus adaptée. Ces véhicules nécessitent une autonomie plus grande et des cycles d’utilisation intensifs, notamment pour des trajets quotidiens de longue distance. L’hydrogène pourrait répondre à ces exigences tout en réduisant considérablement notre empreinte carbone. Cependant, il y a encore des défis à relever, notamment en termes d’infrastructures, mais nous suivons de près les avancées dans ce domaine.
Comment voyez-vous l’avenir de votre partenariat avec les collectivités ?
Notre entreprise se trouve à un tournant décisif dans son engagement vers la transition énergétique. Grâce à l’étroite collaboration avec la collectivité, nous avons pu entamer des projets ambitieux et innovants, comme l’intégration du bioGNV. C’est cette synergie entre les acteurs publics et privés qui nous permet d’avancer dans la bonne direction, malgré les défis économiques et technologiques auxquels nous faisons face. Ensemble, nous avons démontré que l’ambition environnementale peut être conciliée avec les réalités locales, et je suis convaincu que, main dans la main avec nos partenaires, nous continuerons à construire une mobilité plus durable, adaptée aux spécificités de notre territoire. C’est cette dynamique collective qui fait la force de notre région et qui nous donne les moyens de faire face aux enjeux de demain. »
Propos recueillis par Pierre Lancien