Mobily-Cités : Bonjour Pauline et merci de nous recevoir. Tout d’abord, pouvez-vous nous rappeler rapidement les missions et la raison d’être de l’ART ?
Pauline Henriot : L’Autorité de Régulation des Transports (ART) œuvre au développement de mobilités de qualité, au meilleur prix, en vue de servir au mieux les besoins de déplacements des citoyens et des entreprises, en concourant au bon fonctionnement économique de six secteurs des transports : le transport ferroviaire, les autoroutes concédées, le transport routier de voyageurs, les principaux aéroports nationaux, les transports publics urbains en Ile-de-France et les services numériques de mobilité. Elle a ainsi pour mission, en tant que régulateur économique, de garantir un accès équitable aux infrastructures essentielles de transport et de contribuer à une gestion efficiente de celles-ci, afin de favoriser le développement des services qui les utilisent. Plus largement, elle est amenée à superviser et accompagner l’ouverture de secteurs qui n’étaient pas ouverts à la concurrence préalablement, comme le secteur ferroviaire ou le transport par autocar.
Mobily-Cités : Pouvez-vous faire un zoom sur ces missions dans le secteur du transport routier de voyageurs ?
La régulation du marché des services interurbains de transport public routier de personnes librement organisés (SLO) s’articule autour de trois grands volets. En premier lieu, l’ART a pour mission de garantir un accès équitable, transparent, objectif et non discriminatoire aux gares routières, qui sont des infrastructures essentielles pour proposer des services d’autocars à longue distance. En deuxième lieu, l’ART s’assure que le développement de services librement organisés ne se fait pas au détriment des services conventionnés dans leur rôle d’aménagement du territoire, en examinant les projets des autorités organisatrices d’interdiction ou de limitation des services routiers pour les liaisons de moins de 100 km. Enfin, l’ART veille à l’information de l’ensemble des parties prenantes sur le fonctionnement du marché des services librement organisés de transport routier de voyageurs, ce qui se traduit notamment par la publication d’un rapport annuel d’observation de ce marché.
Mobily-Cités : Au fond, les gares routières sont-elles utiles ou nuisent-elles à l’organisation des transports ?
Pauline Henriot : Les gares routières jouent un rôle crucial dans le système de transport par autocar. Les gares les plus plébiscitées par les services librement organisés et leurs usagers sont les gares situées dans les centres-villes et bien desservies par les transports en commun, facilitant ainsi l’accessibilité pour les passagers. En 2023, la gare routière de Bercy à Paris restait la plus fréquentée, avec plus de 4 millions de passagers et près de 500 destinations. Au regard de son rôle majeur pour le marché, l’ART a engagé une étude, en lien avec l’ensemble des parties prenantes, pour faire émerger des solutions alternatives viables à sa fermeture annoncée : son rapport devrait être publié dans les toutes prochaines semaines. Les autres gares majeures pour le marché des services librement organisés sont celles de Lyon, Toulouse, Grenoble, et Lille.
Mobily-Cités : Les services offerts en gare et leur l’environnement ne sont-ils pas insuffisants et ne sont-ils pas des freins à la fréquentation des SLO ?
Pauline Henriot: La qualité de service offerte en gare constitue un frein pour le développement des services librement organisés. Le rapport sur le marché du transport par autocar en 2023, que l’Autorité vient de publier, montre que de grandes gares routières manquent d’équipements essentiels tels que des salles d’attente pour les passagers et des salles de repos pour les conducteurs. Par exemple, la gare routière de Lille, la cinquième d’Europe en termes de fréquentation, est dépourvue d’abri pour les voyageurs. Des améliorations dans ces domaines sont indispensables pour répondre aux besoins croissants des usagers et soutenir le développement du secteur.
Mobily-Cités : Évidemment, le sujet de la tarification et de leur accessibilité est aussi au centre du débat ?
Pauline Henriot: Il le reste en effet, même si environ 75 % des gares desservies par les SLO sont accessibles gratuitement. Le tarif moyen pour l’utilisation des quais dans les gares routières s’établit à 4,91 € HT en 2023, en baisse de 7 % par rapport à 2022. Parmi les gares payantes, la plupart pratiquent des tarifs inférieurs à 10 €, bien que certaines gares très fréquentées, comme Paris‑Bercy et Marseille Saint-Charles, pratiquent des tarifs plus élevés. L’ART veille à ce que les tarifs soient proportionnés aux coûts, et donc aux services rendus aux usagers.
Mobily-Cités : Pour finir, Pauline, pouvez-vous nous parler du bilan socio-économique et environnemental du SLO ?
Pauline Henriot: Une liaison SLO offre des bénéfices aux territoires qu’elle dessert en offrant une solution de déplacement durable et à bas coûts à ses habitants : cela se traduit par des économies pour les usagers et des réductions de gaz à effet de serre. Concrètement les usagers réalisent une économie moyenne de 3,75 euros par kilomètre (soit 10,50 euros sur un trajet moyen) en utilisant un SLO plutôt que d’autres modes de transport. Cumulé sur l’ensemble des usagers, c’est environ 100 millions d’euros par an que font économiser les autocars SLO. En permettant à de nombreux usagers de se passer d’un déplacement en voiture, le développement des SLO a par ailleurs permis d’éviter des émissions de CO2 de 15 milliers de tonnes par an, soit l’équivalent de plus de quatre cent mille trajets Paris-Lille en voiture.
Certes, les SLO sont parfois en concurrence avec les transports conventionnés par les collectivités locales et sont donc susceptibles de réduire les recettes perçues par la collectivité : c’est pour prévenir ce risque que le législateur a mis en place la régulation des liaisons de moins de 100 km que j’évoquais tout à l’heure. Toutefois, dans l’immense majorité des cas, l’ouverture d’une nouvelle ligne SLO a un bilan social, économique et environnemental très positif, c’est-à-dire que les bénéfices socio-économiques compensent largement les pertes de recettes pour les autorités organisatrices. Par exemple, dans son rapport sur le marché du transport par autocars en 2023, l’ART conclut que l’ouverture d’une ligne Paris-Aéroport de Beauvais, interdite eu égard à son impact sur les recettes du service public, aurait eu des effets socio-économiques bénéfiques au global.
Je terminerais en disant que, si le secteur du transport routier de voyageurs a montré une résilience et une capacité de développement post-crise, il reste cependant confronté à des défis majeurs en termes de la qualité de service offerte en gares routières. Des efforts considérables sont indispensables pour répondre aux attentes des usagers et pour soutenir la croissance durable d’un secteur qui a démontré sa capacité à offrir des mobilités facilitées, moins chères et moins carbonées pour les usagers.
Propos recueillis par Pierre Lancien