Officiellement créée en juillet 2023, la Société Publique Interrégionale pour les investissements dans les transports (SPIIT) commune aux Régions Nouvelle-Aquitaine et Occitanie vise à mutualiser les moyens et optimiser les coûts de maintenance et d’ingénierie en matière de matériel roulant ferroviaire. Pour les Régions, désormais propriétaires des matériels roulants ferroviaires, cette solution est la meilleure pour leur permettre d’assumer elles-mêmes certaines charges, dont la gestion patrimoniale de leur matériel sur l’ensemble du cycle de vie. Entretien croisé avec Renaud Lagrave, président de la SPIIT, Jean-Luc Gibelin, vice-président, et Cécile Bichon, directrice générale.
Propos receuillis par Sandrine Garnier
Mobily-Cités : Pourquoi avoir décidé de créer cette Société publique locale commune dédiée à la gestion et à l’entretien du matériel roulant ferroviaire ?
Renaud Lagrave : Nous avons commencé à nous poser la question il y a plusieurs années, en préparant l’ouverture à la concurrence du réseau de TER. Nous souhaitions conserver un certain nombre de missions dans le giron du service public, comme la distribution des titres de transport et la billettique, que nous avons confiés au syndicat mixte Nouvelle-Aquitaine Mobilités. De la même manière, il était logique à nos yeux que les Régions, qui achètent le matériel roulant depuis 2002 pour le compte de la SNCF, et se sont contentées pendant des années d’être, comme le dit Alain Rousset, des « cochons de payeurs », prennent enfin la gestion directe des trains.
Après examen des différentes solutions, la SPL nous est apparue comme la forme de structure la plus simple et la plus efficace, et nous avons conclu un accord avec l’Occitanie, ce qui fait sens en raison de la similarité de nos parcs ferroviaires. Le travail de préparation a été engagé il y a deux ans, pour aboutir à la création et à l’immatriculation de la SPL en juillet 2023. Cette SPL aura en charge l’acquisition des nouveaux matériels roulants, ainsi que les opérations de maintenance de niveau 4 et 5, le reste de l’entretien étant confié à l’exploitant des lignes.
Cécile Bichon assure la direction générale de la structure, avec à ses côtés un directeur administratif et financier et un directeur technique. Les deux Régions finalisent actuellement les contrats de concession qui doivent être signés cet été avec la SPL.
Jean-Luc Gibelin : Avec la Région Nouvelle-Aquitaine, nous avons concrétisé une volonté de faire pack et de travailler ensemble. Au départ, nous souhaitions initier une démarche commune à l’ensemble des Régions, mais il est apparu que cet objectif était inatteignable à court terme. Il nous aurait fallu passer un temps énorme sur des questions d’ordre théorique ou des positions de principe, et nous avons donc décidé d’avancer pour montrer que c’était possible.
Pourtant, Nouvelle-Aquitaine et Occitanie ont adopté deux stratégies différentes en matière d’ouverture à la concurrence. Ces divergences ne sont-elles pas bloquantes ?
Jean-Luc Gibelin : La différence de sensibilité entre Nouvelle-Aquitaine et Occitanie n’est pas un point de discorde. La preuve, nous travaillons ensemble au sein de la SPL commune. Et nous sommes en capacités d’accueillir de nouvelles collectivités dans cette structure, qui n’a pas non plus vocation à être un club de Régions de gauche ! Notre objectif est de réfléchir ensemble et de nous rassembler pour travailler sur l’innovation, en gardant la maîtrise de nos choix.
Concrètement, comment cela va-t-il se traduire au niveau des contrats entre chaque Région et la SPL ?
Cécile Bichon : Nous avons travaillé une trame similaire avec les deux Régions de contrats de concession sur une durée de 42 ans. Dans le détail, les missions peuvent varier puisque les deux Régions n’ont pas les mêmes besoins. La SPL va aussi permettre aux collectivités de mieux faire correspondre le financement des matériels roulants avec leur durée de vie effective, alors que les emprunts contractés auparavant étaient limités à une vingtaine d’années. Pour les Régions, il s’agit d’un ballon d’oxygène financier.
Renaud Lagrave : La SPL va passer des marchés sur les grosses opérations, comme la révision à mi-vie qui concernera les rames arrivées en 2015-16 aux environs de 2035. Pour être prêts, nous devrons avoir bouclé les appels d’offres en 2030. Ces opérations pourront être effectuées dans les technicentres, comme c’est le cas aujourd’hui, ou bien dans les locaux des constructeurs, ou bien encore chez d’autres opérateurs. Les possibilités ne manquent pas.
D’autres opérations sont susceptibles d’être menées via la SPL, comme par exemple le rétrofit d’une partie des matériels pour en « verdir » la motorisation.
Jean-Luc Gibelin : Notre convention TER précise que la maintenance de nos matériels roulants est assurée par la SNCF jusqu’en 2032. Cette convention prévoit également la construction d’un nouveau technicentre à Narbonne, en plus de ceux de Toulouse et Nîmes. Par la suite, même si la maintenance reste effectuée au sein des mêmes technicentres par les mêmes équipes, nous aurons à redéfinir le cadre dans lequel ces missions seront réalisées, qui sera différent de celui du marché historique.
Avez-vous réussi à obtenir les informations nécessaires concernant la maintenance de la part de la SNCF ?
Renaud Lagrave : Il faut bien souligner que la SNCF ne fait preuve d’aucune transparence en ce qui concerne les opérations de maintenance. Nous avons dû patienter deux ans pour obtenir les carnets d’entretien des matériels. Mais nous continuons à avancer.
Les relations des Régions avec la SNCF évoluent, mais aussi avec les constructeurs…
Jean-Luc Gibelin : La mise en place de cette SPL envoie également des signaux aux constructeurs. Avec la fin du système où le marché des matériels roulants TER était coordonné par la SNCF, nous avons la possibilité de mettre en place de nouvelles relations commerciales et industrielles, dans le respect mutuel. Les industriels savent qu’ils ont en face d’eux des interlocuteurs responsables. Et la mise en oeuvre de l’offre régionale ferroviaire reste de la compétence stricte et totale de chaque collectivité.
Renaud Lagrave : L’accueil des constructeurs est très positif. Ils attendaient des signes pour l’avenir, sachant que l’accord-cadre avec la SNCF se termine en 2025. Mais les contraintes liées à la sécurité et à l’homologation des matériels roulants ferroviaires demeurent ce qu’elles sont, avec Alstom comme seul fournisseur de certains équipements de sécurité. Et c’est toujours le processus d’homologation auprès de l’établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF) qui prend le plus de temps.
Avec cette nouvelle structure, les Régions pourront-elles mieux définir leurs besoins en nouveaux matériels roulants ?
Jean-Luc Gibelin : Nous devons innover à la fois sur le matériel, sur les carburants et sur la dimension servicielle. Si nous voulons réussir les projets de Services express régionaux métropolitains (SERM), nous allons avoir besoin de rames de moyenne capacité. Le travail effectué au Parlement a très justement fait évoluer le concept initial, en constatant que calquer le modèle de RER francilien dans l’ensemble des métropoles françaises n’aurait aucun sens. Le terme de SERM illustre très justement la complémentarité des modes et des niveaux de collectivités, y compris au niveau du financement de ces services.
Renaud Lagrave : Nous souhaitons en effet pouvoir acheter des matériels qui correspondent mieux à nos besoins. Mais il faut souligner que la liberté des Régions dans le choix des constructeurs de matériel roulant reste encadrée par les normes et règlementations en vigueur dans notre pays. C’est un sujet fondamental, qui nous empêche par exemple d’adopter sans adaptations techniques des séries existant ailleurs en Europe, ce qui nous permettrait de faire baisser les coûts et de réduire les délais. Ou bien, il faut que l’Etat reconnaisse qu’il existe un monopole en France.