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Nicolas Joyau
Vice-président Transport de Caen la Mer

« La transition énergétique nous pénalise »

Entre projets d’investissement et incertitudes financières, la communauté urbaine de Caen la Mer avance avec détermination mais inquiétude. Si le planning d’extension du réseau de tramway, qui a remplacé le TVR en 2019, ne change pas, en revanche, la crise énergétique pourrait remettre en cause le rythme de conversion des bus GNV. Nicolas Joyau, le vice-président chargé des Transport de Caen la mer, détaille les enjeux de la mobilité de cette agglomération normande. 

Propos recueillis par Marc Fressoz

 

Mobily-Cités : Comment s’est déroulée l’extension de la communauté urbaine ? 

Caen la Mer forme depuis le 1er janvier 2017 une communauté urbaine de 275 000 habitants sur une superficie de 363 km². Nous avons intégré deux communautés de communes, l’une au sud, l’autre à l’ouest. Nous avons évidemment eu des discussions avec ces ex-communautés de communes, avec les maires de ces territoires pour optimiser les dessertes et étendre l’offre, ainsi qu’avec les acteurs économiques assujettis au versement mobilité, fixé à 2%. Les discussions avec la Région Normandie ont permis d’intégrer des lignes interurbaines à notre réseau, tous ces changements ayant fait l’objet d’avenants au contrat avec notre délégataire Keolis.

Vous commencez à réfléchir à la prochaine délégation de service publique (DSP). Quelles orientations voudriez-vous donner à votre politique de mobilité ?

La prochaine DSP débutera le 1er janvier 2025, nous sommes d’ores et déjà en phase de réflexion sur les éléments du cahier des charge qui sera lancé au printemps prochain. Il y a trois enjeux majeurs : compétitivité, efficacité et multimodalité. Nous misons sur deux leviers principaux pour augmenter l’utilisation du réseau en favorisant le report modal : la rapidité et la praticité.  Sur les territoires bénéficiant d’une offre dense (le centre, notamment) dont les lignes se caractérisent par un kilométrage important, il s’agit d’augmenter la vitesse commerciale pour rendre les transports urbains plus performants face à la voiture. Et pour les territoires périurbains, l’enjeu est de rendre la desserte efficace et facile à utiliser tout en tenant compte du fait que nous n’avons pas la capacité financière d’y faire circuler un bus toutes les 10 minutes. Par exemple, nous sommes en phase test d’un nouveau transport à la demande plus souple et adapté aux déplacements périurbains. Enfin, multimodalité parce que lorsque quelqu’un veut se déplacer sans sa voiture, il n’utilise pas qu’un seul mode. Selon ses déplacements, il a besoin de vélo, de transport en commun, de l’autopartage, des TER.

 

Par rapport au problème de la vitesse commerciale, voulez-vous dire qu’il y a trop d’arrêts ?

Non, dans un centre relativement dense, le problème de la vitesse commerciale n’est pas lié au temps qu’on passe à l’arrêt, il est lié à la congestion qui retarde le bus. D’où l’importance d’accroître notre réseau en site propre, de développer les couloirs bus, de développer les priorités aux feux.

 

Quelle est la vitesse commerciale aujourd’hui ? 

Elle est de 15,6 km/h pour le tramway et de 19,2 km/h en moyenne, bus et tram confondus. Mais ces chiffres doivent être nuancés, car les bus circulent majoritairement dans les zones périurbaines. En zone urbaine, en revanche, ils circulent à moins de 15 km/h, c’est-à-dire bien moins vite que le tramway.

 

Il y a 20 ans, vous étiez avec Nancy, les deux villes à avoir misé sur le TVR. Après une série de déboires, vous l’avez abandonné au profit d’un tramway classique, mis en service en 2019. Quel est le bilan aujourd’hui ? 

C’est clairement une réussite. Le nombre de voyages réalisés sur le réseau Twisto s’élève à environ 100 000 par jour, avec un peu plus de la moitié effectués par le tramway. Il tient toutes ses promesses, quand bien même la période du Covid est venue casser la dynamique de mise en route de ce tramway. Mais nous avons retrouvé une bonne trajectoire. Depuis quelques mois, la fréquentation sur le réseau a dépassé celle de 2019. La fluidité d’exploitation est bien meilleure qu’avec le TVR, tout comme la capacité d’emport de voyageurs en heure de pointe, ce qui est important pour desservir les campus. Nous ne sommes plus focalisés comme avant sur l’exploitation, à nous demander quelle panne nous arrivera demain. Cela permet de nous projeter sur les extensions de ce réseau de tram vers des quartiers nord-ouest de la ville de Caen. Avec une vitesse commerciale supérieure à celle des bus, le réseau y sera plus compétitif pour gagner le centre.

 

Quels seront la longueur de cette ligne de tram et le montant de l’investissement ?

Elle mesurera environ 10 km, trois scénarios sont à l’étude et le budget oscille pour l’instant entre 255 et 290 M€. La concertation préalable avec la Commission nationale du débat public bat son plein, et nous désignerons un maître d’œuvre l’année prochaine pour gérer la construction sur le tracé que nous retiendrons fin février 2023 au plus tard, pour une mise en service envisagée en 2028. L’idée est de débuter les travaux avant la fin de mandat, au second semestre 2025, avec le cœur des travaux en 2026 et 2027, quelques finitions début 2028 avant la marche à blanc au printemps et la mise en service à la rentrée.

 

Ce projet a été lancé avant la flambée de l’inflation et la crise budgétaire qui pourraient l’impacter, êtes-vous êtes inquiet ?

Je dirais plutôt très attentif, c’est certain. Crise financière ou pas, le financement d’un projet à 290 M€ invite à l’être car le moindre dérapage se chiffre en plusieurs millions d’euros. Nous sommes toujours en recherche de recettes pour financer l’exploitation de notre réseau et pour nos investissements. Caen la Mer a été lauréat de l’appel à projet de l’Etat pour 40 M€, mais la maquette financière nécessite d’être mise à jour régulièrement en surveillant l’évolution du versement mobilité sur le territoire. Nous ne sommes pas la seule collectivité dans ce cas. Ce sont des projets essentiels pour les habitants, pour les territoires, pour les acteurs économiques. Dans contexte de changement climatique et de forte inflation, on sent une demande de toutes parts pour le développement des transports collectifs. J’ai du mal à imaginer qu’il n’y ait pas un accompagnement financier de l’Etat adapté pour soutenir ces projets. 

 

Comment allez-vous faire face à la flambée du prix de l’énergie en 2023 ?

Nous sommes en discussion avec le délégataire, qui achète le gazole et l’électricité et nous en répercute le coût. Pour l’instant, nous n’avons pas de chiffres sur les conséquences sur le fonctionnement des transports. Parallèlement, nous sommes en pleine transition énergétique de notre parc de bus. Sur 200 véhicules, l’an prochain, 50 bus rouleront au biogaz. Nous avons été volontaristes dans le renouvellement de cette flotte, le paradoxe, c’est que cet effort va nous coûter cher. Nous risquons d’avoir un coût de revient du bioGNV bien supérieur à celui du gazole. Alors que le bus diesel va émettre 75 tonnes de CO2 par an contre 14 tonnes pour un bus GNV, le coût de fonctionnement d’un bus au GNV va être de 5000 € plus important ! Pour 50 bus, ce sont donc 250 000 € supplémentaires. Quid de la cohérence de l’équilibre entre taxes et boucliers fiscaux sur différentes énergies ?

 

Pourriez-vous mettre la pédale douce sur l’achat de bus au gaz ?

La question se pose, malgré tous les avantages du point de vue environnemental et du confort entre termes de bruit et d’expérience olfactive. Cela dépendra en partie de la politique de l’Etat.  

Êtes-vous satisfait de votre délégataire Keolis ? 

Quand on fait du contrôle de délégataire, on dit que le délégataire peut toujours faire mieux. Nous sommes en discussions permanentes, dans un esprit partenarial et bien sûr contractuel avec notre délégataire. C’est un équilibre entre contrôle et impulsion politique.

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