Michèle-VULLIEN
Michèle Vullien
Maire honoraire de Dardilly, ancienne Sénatrice du Rhône et Conseillère métropolitaine de Lyon

La gratuité des transports publics à quel prix ?

Mobily-Cités : Bonjour Michèle et merci de nous recevoir. Depuis de nombreuses années, et en particulier à chaque échéance électorale ressurgit la question de la gratuité des transports publics. Pouvez-vous nous en rappeler les grandes lignes ?

Michèle Vullien : Élue depuis une trentaine d’années mon action est au cœur de la question de la mobilité des citoyens préoccupation essentielle pour tous les français mais qui se pose de manière différente selon les territoires. Avant la dernière loi d’orientation des mobilités la France comptait en 2019, 330 autorités organisatrices des transports couvrant 25% du territoire et les 3/4 de la population. L’une des ambitions de la LOM était d’ailleurs de mettre fin aux « zones blanches » de la mobilité. Sans méconnaître la situation spécifique des zones rurales et périurbaines où la problématique de la mobilité est particulièrement prégnante, la question de l’éventuelle gratuité des transports collectifs est par nature circonscrite.

En 2018, la mission d’information sénatoriale sur le thème « Gratuité des transports collectifs : fausse bonne idée ou révolution écologique et sociale des mobilités ? » a été créée à la demande du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste. Dont les rapporteurs étaient Guillaume GONTARD Sénateur (Communiste, républicain, citoyen et écologiste) de l’Isère et moi-même en tant que présidente de la commission.

Comment savez-vous appréhendé cette mission et quels en étaient vos objectifs ?

J’ai accepté cette mission avec enthousiasme tout en sachant qu’il y avait une faible demande sociale, les revendications des voyageurs étant plus fortement axées sur les fréquences, l’amplitude horaire, la régularité et le maillage multimodal, avec des tarifs raisonnables. Étant moi-même croyante et pratiquante des transports publics au quotidien (bus, métro, tramway et parc relais) j’ai plutôt une bonne compréhension des besoins des usagers avec qui je discute fréquemment. Dans nos conversations, ce n’est jamais le prix mais bien la qualité de l’offre et les ruptures de charge qui sont sur la sellette. D’ailleurs les associations citoyennes sont partagées quant à la mise en œuvre de la gratuité des transports publics. Certains collectifs la réclament au nom d’une urgence sanitaire, climatique et sociale. Les associations en faveur du revenu de base, quant à elles, n’appréhendaient pas dans leurs premières réflexions, la mobilité comme un des éléments essentiels à prendre en compte au même titre que la nourriture, le logement ou la santé.

Il faut savoir que les associations d’usagers sont fortement opposées à une telle mesure. La Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports (FNAUT) se déclare « contre la gratuité totale et pour la gratuité de ceux qui en ont besoin » et privilégie un développement de l’offre de transports. 

C’est tout à fait ce que mon expérience terrain m’a enseigné. Il faut se méfier des enquêtes en fonction du type de question ! Nous avions fait un questionnaire en ligne : êtes-vous favorables à la gratuité totale des transports collectifs ?

  • 83% oui.
  • 14% non.
  • 3% ne se prononce pas

Un peu comme si on demandait voulez-vous être riche et bien portant, ou pauvre et malade ?! Un peu comme si on demandait voulez-vous être riche et bien portant, ou pauvre et malade ?! En revanche lorsque la formulation est différente et pose la bonne problématique, les réponses ne sont plus les mêmes.

A la question : si des moyens supplémentaires étaient disponibles, préféreriez vous bénéficier de transports collectifs gratuits ? Bénéficier d’une offre de transports collectifs payante mais plus développée ? 

La réalité du quotidien vécue par les usagers des transports publics – souvent des « captifs » est très différente en fonction de la pertinence de l’offre et de sa réponse aux besoins en intégrant la multimodalité : covoiturage, vélo, marche à pied sans oublier les commerces et services à proximité des parcs relais ainsi que l’information en temps réel. « Mobility as a service », ce MAAS semble mieux répondre aux besoins du citoyen voyageur qu’une gratuité totale qui dégraderait inévitablement l’offre dans de nombreux cas.

Sérieusement, Michèle, pensez-vous que nous puissions vraiment généraliser la gratuité des transports public sur l’ensemble du territoire ?

Ne nous trompons pas de débat ! Les expériences françaises de gratuité sont plutôt sur des petits réseaux, même si des villes plus grandes se sont lancées récemment. Les objectifs sont de plusieurs natures et les arguments avancés varient selon le contexte local : optimiser le service, assurer le libre accès à tous les transports, limiter l’usage de la voiture ou encore renforcer l’attractivité du centre-ville. Ces collectivités sont en grande majorité de petites tailles, près de la moitié ayant moins de 15 000 habitants. Elles ont en commun deux spécificités : le fait de disposer de réseaux de bus sous utilisés et non de modes lourds et d’une répartition particulière du financement des transports avec de faibles recettes de billettique et un versement mobilité élevé.

Avec plus de 200 000 habitants Dunkerque est la première collectivité de cette importance à avoir fait ce choix, suivie il y a peu de temps par Montpellier qui elle dispose de tramways. Mais aucune Métropole disposant de métros ne s’est lancée dans l’aventure au vue des études techniques et financières.

Il faut admettre qu’en l’état actuel des financements, c’est une solution difficile à mettre en œuvre dans les métropoles dotées de modes de transports lourds.

La gratuité totale n’est pas envisageable actuellement dans des agglomérations telles que Paris, Lyon ou Bordeaux. Pour ces réseaux dont la fréquentation qui a repris doucement après la séquence Covid est d’ores et déjà très élevée, l’importance des recettes issues de la billettique serait difficile à remplacer (245 millions d’euros soit 25% des recettes totales du SYTRAL à Lyon en 2016. En 2023 265,2 millions d’euros malgré les effets de la crise sanitaire qui se font encore sentir sur la fréquentation. ) Il serait problématique d’accroître l’offre en se privant de cette recette.

Pourtant certaines métropoles européennes comme Tallinn en Estonie, ont, elles, réussi se tour de force, même si elles sont rares ?

Vous avez raison, à l’étranger, les expérimentations sont peu nombreuses. Elles concernent en priorité des villes moyennes ou petites. A Tallinn, la capitale de l’Estonie, le financement de la gratuité, dans un premier temps réservé aux résidents, présente une originalité car les collectivités estoniennes perçoivent une part de l’impôt sur le revenu. Au Luxembourg, premier pays à instituer la gratuité des transports collectifs, celle-ci est présentée comme « la cerise sur le gâteau de l’intermodalité ».

Comment évaluez-vous le bilan global de la gratuité est-il plutôt positif ?

S’il faut reconnaître un mérite spécifique à la gratuité totale des transports c’est la simplicité qu’elle introduit : elle constitue le seul système qui permet de bénéficier de l’offre sans aucune démarche. Ce qui n’est pas le cas des tarifications solidaires. Les gratuités partielles telles que celles de certaines grandes collectivités nécessitent des formalités et dans certains cas une avance de frais. En ce sens, la gratuité totale est une révolution sociale des mobilités.

Mais sur le plan écologique, le bilan de la gratuité est plus mitigé. Certains observateurs insistent sur le report modal de la voiture, d’autres sur l’échec relatif résultant du report des modes actifs pour le bus. Les parts modales de la voiture, du vélo et de la marche sont trop dissemblables pour qu’on puisse en tirer de conclusions définitives. Dans la Métropole Lyonnaise, je ne connais pas d’automobilistes qui renoncent aux transports collectifs à cause du prix, mais tout simplement parce que cela ne correspond pas à leur pratique en particulier pour les retours tardifs. Cependant, la gratuité partielle s’applique déjà dans de nombreux réseaux sous des formes diverses : à destination de certaines catégories (jeunes, seniors, invalides, militaires, personnes sans emploi…), lors d’événements particuliers (Saint Sylvestre, pics de pollution), utilisation de certaines lignes ou suivant certains créneaux horaires. Cela démontre la nécessité de trouver des financements alternatifs pérennes sujet qui mobilise l’ensemble de la profession et des élus de différentes collectivités. A noter la mission d’information sénatoriale sur le financement des autorités organisatrices de la mobilité présentée en juillet 2023 : Transports du quotidien, comment résoudre l’équation financière ? Un document riche de 20 recommandations pour résoudre cette équation à plusieurs inconnues ! sans oublier les travaux du GART sur cet épineux sujet

Plus modestement, un groupe de travail auquel j’ai participé sur le financement des transports en commun a été créé en mars 2023 à la Métropole de Lyon et est toujours en cours d’analyse.

Pour conclure, Michèle, pouvez-vous nous donner votre sentiment réel sur la gratuité. 

Je partage les recommandations que nous avons faites au Sénat en 2019 mais qui me semblent toujours d’actualité. Dépassionner le débat qui souffre trop souvent de positions de principe et d’idées préconçues Intégrer les territoires ruraux et périurbains dans la réflexion pour ne pas créer une sensation de rupture et de distorsion entre les territoires, et pour ça nous avons proposé plusieurs points cruciaux.

  1. Créer un observatoire de la tarification des transports
  2. Penser la gratuité totale comme un outil d’une politique globale et veiller à sa soutenabilité à long terme
  3. Sortir de l’opposition entre gratuité et développement de l’offre de transports
  4. Revenir à un taux de TVA à 5,50% pour les transports terrestres de voyageurs
  5. Poursuivre et élargir la réflexion sur les modes de financement de la mobilité écologique de demain
  6. Penser la mobilité à long terme y compris la dé-mobilité

 

Propos recueillis par Pierre Lancien

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