«Avec 200 Md€ de chiffre d’affaires en 2019, le transport de marchandises et la logistique représentent 10% du PIB mais aussi 10% des émissions GES, soit le tiers de celles issues du transport. Ses acteurs ont un mur d’investissement colossal devant eux», a rappelé Bruno Millienne le 9 novembre 2023 lors de la deuxième Journée de la filière organisée par France Logistique. Le député et vice-président de la Commission développement durable et de l’aménagement du territoire a ouvert cette journée consacrée à la planification écologique.
Les transporteurs et logisticiens misent sur une optimisation des transports pour décarboner la filière (taux de remplissage des camions, optimisation des distances parcourues, baisse du taux d’échec des livraisons), mais aussi sur le verdissement des flottes et des moyens de transport. Liem Hazoumé, directeur des achats de transports du groupe ArcelorMittal Europe, a notamment plaidé pour des infras ferroviaires compétitives: «Il est essentiel pour nous de maintenir voire de développer les wagons isolés en raison de la capillarité de nos implantations. Nous demandons aussi un développement de plateformes sur un axe Nord-Sud qui va de Dunkerque à la frontière espagnole». En France, Arcelor-Mittal produit 11 millions de tonnes d’acier par an, soit un tiers de la production européenne, sur environ 40 sites de production. Le groupe fait partie des clients les plus importants de fret avec 10 à 12 trains/jour, et des trains qui peuvent transporter jusqu’à 4.000 tonnes d’acier.
La réalisation du tunnel Lyon-Turin génère également beaucoup d’attentes: «Réussir le raccordement au tunnel international permettra de développer la compétitivité de notre activité et du transport multimodal sur l’axe Méditerranée-Rhône-Saône», a expliqué Thomas San Marco, président de Medlink Ports et délégué général du CNR. Autre défi majeur soulevé, la difficulté à anticiper les besoins: «Dans le cadre de notre PLU, je travaille actuellement sur le canal Seine-Nord. Je ne trouve personne qui puisse me renseigner sur son impact dans la logistique, notamment le report de flux vers le rail, le fluvial…», a expliqué Francis Vercamer, vice-président de la Métropole européenne de Lille (MEL).
Un TCO complexe à évaluer
Concernant la route, qui représente toujours l’essentiel du transport de marchandises, les logisticiens ne croient pas dans l’immédiat à un basculement des flottes vers les camions électriques ou à hydrogène. Ils préfèrent plaider pour un mix énergétique: «Notre parc est à 60% décarboné dont 30% roule au biogaz et 30% au biocarburant XTL. D’autres solutions que l’électrique existent…», a expliqué Noémie Feldbauer, directrice de la transition énergétique du groupe Heppner. Même écho pour la PME Noblet, qui possède une centaine de véhicules: «Nous avons des camions qui roulent au biogaz depuis 2015, cela fonctionne très bien, notamment en termes de TCO», a souligné Laurent Galle, président du groupe.
La difficulté à évaluer le TCO des camions «propres» représente un frein au verdissement des flottes. «Dans cette équation, nous maîtrisons mal la durée de vie du poids lourd et les assets», a admis Gautier Chatelus, directeur adjoint Infrastructures et mobilité à la Banque des Territoires, qui finance l’achat de véhicules à motorisation décarbonée. C’est pourquoi Noémie Feldbauer a suggéré de mettre en place un leasing sur les batteries avec un système d’opex sur la batterie et de capex sur le camion: «Il faut que le TCO revienne au niveau du thermique».
Pour lever ce frein à la conversion, l’exécutif a lancé un premier appel à projets destiné à couvrir une partie de la différence de prix entre un camion thermique et un camion électrique, trois fois plus cher (autour 300.000 €). Sur 230 dossiers déposés à fin septembre 2023, 170 ont été jugés corrects, 24 ont été acceptés. «En Allemagne, l’Etat finance au constructeur 80% du surcoût entre le thermique et l’électrique…, a expliqué Noémie Feldbauer. Nous n’achèterons pas de camions électriques tant que nous ne bénéficierons pas de subventions.»
Une réglementation difficile à suivre
De son côté, la logistique urbaine fait face au défi de la mise en place des ZFE. Agnès Grangé, directrice générale adjointe et directrice du développement de la logistique urbaine & innovation chez Geopost, a notamment appelé à une stabilité de la réglementation: «Nous étions prêts pour l’entrée en vigueur des ZFE, leur décalage dans le temps nous coûte cher et crée un désavantage concurrentiel par rapport à nos concurrents…». Les différentes parties prenantes ont ainsi souligné l’importance d’un dialogue entre élus et logisticiens pour trouver des solutions pragmatiques sur l’arrivée des ZFE dans les métropoles. C’est notamment l’objectif du programme InTerLUD qui prévoit d’élaborer en commun des chartes de logistique urbaine durable dans les différents territoires.
Dans ce contexte, les différentes parties prenantes sont convaincues que la transition énergétique passera forcément par un renchérissement du coût du transport qui devra être supporté par le client final.
Florence Guernalec