Rien ne va plus chez les principaux acteurs de la mobilité autonome. Face à une législation rigide et au manque d’enthousiasme des opérateurs, les navettes sans conducteurs peinent à s’imposer sur le marché du transport. Sauf peut-être pour les modes guidés…
Les ambitions autour des navettes autonomes peinent à se concrétiser. Entre une législation stricte et un manque d’enthousiasme des opérateurs, ces véhicules sans conducteur peinent à trouver leur place sur le marché. Un échec relatif qui épargne, pour l’instant, les modes guidés.
Malgré des avancées techniques indéniables, une question fondamentale persiste : à quoi servent véritablement les navettes autonomes, et quelles sont leurs perspectives commerciales ? Si l’idée du « dernier kilomètre » est souvent mise en avant, constructeurs, opérateurs et autorités organisatrices de transport (AOT) affichent des visions divergentes. Les expérimentations se multiplient, mais la transition vers une industrialisation à grande échelle reste un mirage. Les chiffres de production flatteurs avancés par certains constructeurs masquent une réalité plus complexe.
En effet, les exploitants et les AOT peinent à se laisser convaincre. Que peuvent accomplir ces navettes que ne pourrait faire un minibus piloté par un chauffeur ? Sur le papier, un véhicule autonome peut assurer un service fréquent à moindre coût. Remplacer un minibus circulant toutes les 30 minutes par une navette passant toutes les cinq minutes pourrait séduire. Mais, en pratique, les limites apparaissent rapidement.
Aujourd’hui, les navettes autonomes souffrent de nombreuses restrictions. Elles ne peuvent circuler sans opérateur, contourner un obstacle imprévu, ni s’adapter de manière fluide au flux de la circulation. Pire, leur incapacité à distinguer avec précision les obstacles critiques — un enfant courant après un ballon ou une simple feuille morte, par exemple — limite leur fiabilité. Ces faiblesses, soulignées notamment par la RATP, qui s’inquiète aussi des dangers liés aux erreurs des autres usagers de la route, remettent en cause leur sécurité en milieu ouvert.
Législation et technologie constituent deux autres freins majeurs. Les cinq niveaux d’automatisation définis au niveau international plafonnent actuellement à un niveau 3 dans l’Union européenne, soit un mode autonome avec surveillance humaine obligatoire. Aller au-delà nécessiterait une réforme législative, sans laquelle il semble plus logique de maintenir un conducteur derrière un volant.
Pour l’heure, les navettes autonomes trouvent refuge dans des applications spécifiques : sites fermés, zones industrielles ou complexes touristiques. Ces environnements contrôlés permettent de contourner les contraintes législatives et sécuritaires. Mais l’acceptation sociale reste un défi : les voyageurs se sentent-ils prêts à monter à bord d’un véhicule sans conducteur ? Les assureurs, eux aussi, sont encore frileux face aux risques potentiels pour la sécurité des personnes.
Face aux difficultés sur voie ouverte, certains acteurs misent sur des infrastructures dédiées, comme les systèmes guidés automatiques. Urbanloop, par exemple, teste un transport sur rail avec des cabines compactes pour deux adultes ou une famille avec enfants. Si ces systèmes rappellent les PRT (Personal Rapid Transit) des années 1970, le contexte actuel — avec des préoccupations environnementales et des technologies avancées — leur donne un nouveau souffle. Ces solutions légères et économiques, comme Urbanloop à Nancy, pourraient se montrer pertinentes pour des trajets courts et peu fréquentés, avec un amortissement rapide.
De même, des innovations rail-route émergent, inspirées des autorails des années 1930. Des projets comme Draizy de Lohr ou des véhicules de Milla testent la réutilisation de 10 000 km de voies SNCF abandonnées, une option peu coûteuse pour des dessertes locales automatisées.
L’avenir des navettes sans conducteur reste flou. EasyMile, en difficulté financière, et Lohr, qui a abandonné son projet Cristal en mode autonome, témoignent des obstacles rencontrés. Navya, autre pionnier, se recentre sur les marchés étrangers et les applications logistiques.
Pour surmonter ces limites, des avancées technologiques majeures et des réformes législatives sont indispensables. Si ces conditions ne sont pas réunies, l’avenir des navettes semble compromis. Les perspectives en milieu rural, pour des zones peu denses ou comme complément à une offre existante, resteront marginales sans un cadre légal et technique adapté.
Malgré les échecs et les incertitudes, la mobilité autonome n’a pas dit son dernier mot. Les recherches se poursuivent pour dépasser les obstacles actuels, et les navettes autonomes pourraient encore trouver leur place. Mais pour cela, elles devront démontrer leur pertinence dans un paysage où les besoins en transport évoluent rapidement.
Par Philippe-Enrico Attal