« Les professionnels attendent avant tout une stratégie lisible et réaliste »
Les acteurs du transport ont remis fin mai au Gouvernement une actualisation de la feuille de route de décarbonation des véhicules lourds. Constructeurs, énergéticiens, et transporteurs ont contribué à cette réflexion, qui doit permettre de définir des objectifs partagés. L’exercice est aussi l’occasion de chiffrer les besoins de financement liés à la transition. Des besoins qui dépassent 50 Md€ d’ici à 2040 pour le seul transport de marchandises, et 6 Md€ côté voyageurs.
Propos recueillis par Sandrine Garnier
Mobily-Cités : Quelle est votre vision de la décarbonation des transports, et du rôle que vous avez à y jouer ?
Jean-Marc Rivera : Nous nous inscrivons pleinement dans l’objectif global de décarbonation des transports, traduit dans les dispositions réglementaires issues de la LOM et de la loi Climat Résilience, avec notamment le déploiement des ZFE. Ces outils législatifs doivent être complétés par la loi Energie Climat, qui a vocation à définir les scénarios de baisse par secteur d’activité pour atteindre la neutralité carbone à horizon 2050. Ces objectifs seront à leur tour déclinés dans la révision de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). Nous prenons part à la réflexion en cours dans le cadre de la task force sur la feuille de route de décarbonation des véhicules lourds, initiée par le Gouvernement pour mettre en place une concertation avec les transporteurs, les constructeurs et les énergéticiens.
A quoi ont abouti les travaux de la task force sur les véhicules lourds ?
Dans le cadre la task force, nous sommes partis des parts de marché de chaque énergie pour décrire l’évolution des différentes motorisations et des infrastructures de charge attendue d’ici à 2050. Une trajectoire énergie par énergie est ainsi établie avec des étapes tous les cinq ans à partir de 2025, avec ses conséquences sur la disponibilité des véhicules et de l’avitaillement, mais aussi avec les répercussions économiques pour les entreprises. Les transporteurs ne pourront pas financer seuls les surcoûts liés à la conversion de leur flotte, et il faudra prévoir des soutiens aussi bien au niveau national qu’au niveau européen.
Vos demandes ont donc été entendues par le Gouvernement ?
Ce travail de concertation était indispensable pour dépasser les incompréhensions nées avec le démarrage des ZFE. Les suites données à la mission Flash des députés Millienne et Leseul nous semblent également aller dans la bonne direction, avec la mission confiée à Philippe Barbier, président de la Confédération des grossistes de France (CGF) sur la préfiguration du Comité technique de la livraison urbaine, et la mise en place du Comité de concertation des ZFE, coordonnée par Edouard Manini. Une autre mission de réflexion sur les ZFE est en cours au Sénat… Tout cela devrait nous permettre d’avancer sur la coordination des calendriers des différentes agglos concernées par les ZFE, et sur l’harmonisation des mesures.
Nous apprécions ces espaces de discussion, mais nous attendons de la part des pouvoirs publics une véritable prise en compte des recommandations énoncées par la task force dans la révision de la SNBC et dans l’application de la loi Energie Climat.
Avez-vous chiffré les besoins ?
Le surcoût lié au renouvellement des véhicules et aux infrastructures d’avitaillement a été évalué à 52,6 Md€ d’ici à 2040. Ce sont des investissements considérables pour des entreprises déjà malmenées par la crise sanitaire, la guerre en Ukraine et les tensions sociales, autant de difficultés conjoncturelles survenues quelques mois après la crise des Gilets jaunes. La hausse des coûts de production, la fluctuation de l’activité, la baisse des volumes liée à l’inflation, le recours à l’emprunt devenu plus difficile avec la hausse des taux, et le remboursement des PGE écornent les capacités d’investissement. Dans le TRM, l’effectif moyen des entreprises est de 25 salariés : on n’a pas à faire à de grosses entreprises, mais à une majorité de PME, voire de TPE. Aujourd’hui, la priorité des chefs d’entreprise est de réussir à équilibrer leurs comptes pour maintenir leur activité et les emplois qu’elle génère. Les professionnels du transport sont tous convaincus de la nécessité de décarboner, mais ils ont besoin avant tout d’une stratégie de verdissement lisible et basée sur des hypothèses crédibles et réalistes.
La décarbonation dépend-elle seulement des motorisations ?
Non, la décarbonation du transport routier de marchandises ne reposera pas uniquement sur la conversion des véhicules, mais sur l’évolution de l’ensemble des processus. Le verdissement du fret nécessite le report modal, l’optimisation accrue des transports pour éviter les trajets à vide, et la relocalisation des entrepôts logistiques.