Jean-Jérôme-Lebel
Jean Jérôme Lebel
Directeur activités Conseil & exploitation

Depuis les progrès remarquables de l’intelligence artificielle générative ces deux dernières années, tous les secteurs s’interrogent. Pourra-t-on se passer de l’IA ? Comment s’acculturer et implémenter ces technologies ? Y a-t-il des risques ? Parmi les secteurs, les mobilités ne sont pas en reste. À l’intersection d’un monde d’infrastructures physiques et de données numériques, elles doivent créer du sens pour les utilisateurs et permettre la décarbonation des déplacements.

Carte blanche à Jean-Jérôme Lebel, Directeur activités Conseil & Exploitation chez Kisio. Spécialiste du conseil en mobilités responsables, Kisio accompagne les entreprises et les collectivités, entre-autres, dans leurs réflexions et les aide à définir leur stratégie IA. 

Dans un livre blanc à paraître à la rentrée, la direction conseil analyse les enjeux liés à l’arrivée de l’IAG dans les mobilités. Pour le monde de la tech, c’est l’événement principal de ces dernières années. Fin 2022, l’assistant conversationnel ChatGPT arrive sur le marché. En seulement cinq jours, il parvient à rassembler plus d’un million d’utilisateurs. Capable de répondre avec aplomb à des questions complexes, il devient une preuve tangible des avancées de l’intelligence artificielle et de son potentiel. Par sa facilité de prise en main et sa polyvalence, il propulse les technologies génératives et les grands modèles de langage (LLM) dans les mains du grand public et des dirigeants d’entreprises. Ce faisant, il démocratise l’intelligence artificielle et ouvre un vaste champ d’opportunités.

 

Le train en marche

L’onde de choc se propage. Amazon, Microsoft, Google et Meta investissent 186 milliards d’euros en 2024, principalement en centres de données qui leur permettent d’entraîner et de faire fonctionner les IA. Des investissements d’environ 1 000 milliards de dollars sont attendus sur les prochaines années. Presque du jour au lendemain, Nvidia devient leader mondial des microprocesseurs pour l’intelligence artificielle. Les ventes de ses puces surpuissantes ont quadruplé en un an et sa capitalisation boursière a dépassé les 3000 milliards de dollars, soit plus que toutes les entreprises du CAC 40 réunies. 

Partout dans le monde, les brevets pleuvent, les masters spécialisés sont pris d’assaut et les articles de recherche se multiplient. Un rapport de la Commission de l’intelligence artificielle rendu au gouvernement le 13 mars dernier surfe sur cet élan avec un certain enthousiasme. L’IA est présentée comme une « révolution technologique incontournable » comparable à l’électricité ou l’automobile. Elle serait un gisement potentiel de croissance et d’emploi, mais aussi de « déclassement économique » si le rendez-vous est manqué. Le plan propose d’investir 5 milliards d’euros par an pendant cinq ans dans l’écosystème tricolore.

 

Horizon de possibles

Aujourd’hui, les perspectives se précisent et elles sont tout simplement vertigineuses. Les outils d’IA générative peuvent être appliqués à pratiquement tous les métiers et toutes les activités opérationnelles. Ils vont de l’optimisation de la chaîne d’approvisionnement, à l’automatisation, la gestion des risques, en passant par la relation client et le développement de nouvelles activités. Comme les autres, le secteur des mobilités s’embarque dans l’aventure par le prisme de ses enjeux spécifiques : la complexité technique, la sécurité et la fiabilité des solutions. 

Des débouchés innovants apparaissent, notamment en matière de personnalisation de l’expérience voyageur et d’efficacité opérationnelle. Que ce soit dans la prédiction de la demande de transport, dans la maintenance prédictive des flottes et du matériel, le développement des véhicules autonomes, la surveillance en temps réel du trafic ou l’optimisation des itinéraires. Grâce au LLM et au technologies génératives plus spécifiquement, il serait possible de synthétiser des documentations techniques et juridiques, de produire des reportings ou d’améliorer l’expérience client avec des outils conversationnels perfectionnés. De fait, le rôle des collaborateurs sera aussi amené à évoluer. Déjà, dans ces différents domaines, Kisio et ses partenaires expérimentent des cas d’usages et trouvent des solutions sur mesure. 

 

Terrain miné ?

Mais comme toute technologie émergente, elle suscite beaucoup de questions. Dans la dixième édition de son Future Risks Report (2023), AXA observe que l’IA est de plus en plus identifiée comme un risque, au même titre que le changement climatique ou l’instabilité géopolitique. Selon le rapport, la majorité des experts (64 %) et de la population générale (70 %) estime qu’il serait nécessaire d’interrompre la recherche sur l’IA. 

La première crainte – qui ne date pas d’hier – est la destruction d’emplois. Elle est en partie fondée, mais ne correspond pas exactement aux transformations en cours. Les études s’accordent en effet à dire que les emplois de bureaux les moins complexes sont les plus menacés par l’IA générative, mais elles observent aussi que dans la plupart des cas, l’emploi pourrait être « augmenté ». C’est-à-dire que la technologie viendrait soulager l’individu sur les tâches les plus simples et chronophages, pour libérer du temps ailleurs. À vrai dire, peu d’emplois seraient intégralement automatisables.

D’autres inquiétudes très sérieuses existent, que ce soit concernant la protection des données personnelles, la cybersécurité ou même les « hallucinations ». Ces dernières sont des réponses générées par l’IA qui ne sont pas factuelles. Ces erreurs sont intrinsèques à la nature probabiliste de la technologie. Elles exigent de les utiliser avec un œil critique : en veillant à la qualité des bases de données, à la précision des requêtes et en mettant en place des contrôles. 

 

Une certaine fébrilité

Alors que l’acceptabilité du grand public traîne encore la patte, des problématiques de durabilité subsistent au cœur du fonctionnement de l’IA générative. En effet, celle-ci est très énergivore : une requête sur un assistant IA comme ChatGPT consomme environ 10 fois plus d’énergie qu’une requête sur un moteur de recherche classique. Les très fortes puissances de calcul sollicitées entraînent une surconsommation de ressources (électricité, métaux rares, eau) et le bilan carbone du secteur va en s’aggravant. Des constats qui appellent à une forme de mesure et de responsabilité dans l’adoption des IA génératives.

Aujourd’hui, d’après l’étude annuelle de Verian auprès de responsables des activités digitales et responsables RH de grandes entreprises en France, 70% des interrogés indiquent s’être emparés des problématiques de l’IA générative ou ont commencé à mettre des actions en place. Par ailleurs, un quart de ces entreprises estiment être en avance dans ce domaine par rapport à leurs concurrents. Ces chiffres révèlent à la fois les mutations rapides qui se mettent en place dans les métiers de la data, mais aussi de forts enjeux de compétitivité. 

Que ce soit par intérêt réel pour la technologie, ou pour éviter de se faire distancer par la concurrence, tout le monde se lance. Et faute de compétence et de vision, les stratégies tâtonnent parfois. Toujours selon l’étude, alors que les entreprises se disent très majoritairement sensibilisées aux enjeux, 50% ne parviennent pas à avoir une vision claire sur leurs besoins de recrutement. 

Garder la tête froide

Depuis son arrivée sur le marché, l’IA générative a imposé un rythme très soutenu. Que ce soit dans l’implémentation technologique, la conduite du changement, l’innovation et la recherche de valeur, tout va très vite et il est difficile de se tenir à jour. Comment rester acteur de ces changements ? Comment les intégrer en les orientant toujours dans la bonne direction ? Mais surtout, pourquoi les opérer ? L’adaptabilité nécessaire ne doit pas se muer en fébrilité. Pour Kisio, l’IA générative n’est pas une fin en soi. Elle n’est là que pour accélérer, faciliter ou assister. La peur d’être disqualifié ne doit pas écarter les acteurs de la mobilité de leur priorité : l’utilisateur, qu’il soit agent ou voyageur. 

Dans la conclusion de son rapport sur l’IA générative, l’Organisation Internationale du Travail estime que « les résultats de la transition technologique ne sont pas prédéterminés. Ce sont les êtres humains qui sont à l’origine de la décision d’incorporer ces technologies et ce sont eux qui doivent guider le processus de transition ». Elle poursuit : « de telles observations peuvent encourager les gouvernements et les partenaires sociaux à designer pro-activement les politiques qui porteront une transition équitable, ordonnée et inclusive, plutôt que de subir le changement ».

Nous sommes donc tous acteurs de ce changement. L’intelligence artificielle générative est porteuse d’un très fort potentiel, pour les voyageurs, les agents et les structures. À nous la responsabilité de rechercher les cas d’usage pertinents et de trouver les équilibres que nous souhaitons voir advenir.

 

Propos recueillis par Camille Valentin

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