« Une montée en maturité des fournisseurs serait un atout pour mieux accompagner nos entreprises dans la transition énergétique »
Grégoire Inglard, co-directeur d’Inglard Entreprises avec Rodolphe de Bretagne, revient sur la mise en service du tout premier autocar rétrofité en Hauts-de-France. Il plaide pour des contrats plus longs avec les AOM et des aides pérennisées afin d’avoir une meilleure visibilité sur les investissements engagés dans la transition énergétique.
Mobily-Cités : Quelles sont les spécificités d’Inglard Entreprises ?
Grégoire Inglard : C’est une entreprise familiale fondée en 1956 par mon grand-père dans le Pas-de-Calais. Aujourd’hui, Inglard entreprises compte environ 300 autocars dont 35-40 de tourisme, et plus de 340 collaborateurs. Nous sommes à la fois transporteur de voyageurs et agent de voyages, adhérent Selectour. Nous sommes positionnés à la fois sur le transport occasionnel et régulier – transport scolaire et lignes urbaines et interurbaines. Nos principaux clients pour le transport régulier sont la région Hauts-de-France, les Communautés d’Agglomérations telles que la CA2BM (Berck-sur-Mer), la CAPSO (Saint- Omer), la CAB (Boulogne-sur-Mer), la CAC (Calais) et Coeur de Flandre Agglo (Hazebrouck) qui vient d’ailleurs de récupérer la compétence transport et avec qui nous avons inauguré, en juin 2025, un nouveau réseau de transport gratuit intégrant de l’urbain et de l’interurbain.
Comment se répartit votre parc d’autocars entre les différentes motorisations ?
La grande majorité de nos véhicules roulent au diesel, une dizaine à l’HVO et 3 au gaz. En 2025, nous avons franchi une étape majeure en menant le tout premier rétrofit électrique d’un car dans la Région : un modèle Iveco Crossway dont le moteur thermique a été remplacé par une motorisation électrique. L’objectif était clair : tester concrètement cette solution innovante en partenariat avec la société Retrofleet (groupe CBM), qui propose un kit de conversion homologué par l’État. Le véhicule, un modèle de 2015 affichant 330 000 km au compteur, avait connu une panne moteur importante. Plutôt que de le réformer, nous avons saisi l’opportunité de lui offrir une seconde vie. Coût total de l’opération : 150 000 €, dont environ 30 000 € ont été couverts grâce au mécanisme des CEE. En plus de l’investissement véhicule, il y a bien évidemment la borne électrique et le besoin de mise aux normes de notre infrastructure électrique. Cet autocar, qui dispose de 200 km d’autonomie, est adapté pour réaliser du transport scolaire. Depuis sa mise en service au mois de mai 2025, les retours de nos conducteurs et des usagers sont très positifs : les élèves sont ravis de monter à bord de ce véhicule silencieux !
Quels sont les leviers qui inciteraient Inglard Entreprises à « rétrofiter » d’autres véhicules ?
Tout d’abord, il est important que les AOM modifient les appels d’offres afin de permettre aux transporteurs de proposer des véhicules rétrofités. Il serait bénéfique également que les collectivités allongent la durée de vie de ces autocars pour nous permettre d’amortir l’investissement. Aujourd’hui, les contrats stipulent que les véhicules ne doivent pas avoir été mis en circulation depuis plus de quinze ans : notre véhicule rétrofité de 2015 ne pourrait pas rouler plus de cinq ans. Economiquement ce n’est donc pas rentable. Plusieurs Régions ont déjà engagé une révision de la durée de vie des autocars rétrofités afin d’en améliorer la viabilité…
Comment opérez-vous vos choix d’investissement en matière de transition énergétique ?
Aujourd’hui, nos décisions sont fortement liées aux demandes des autorités organisatrices : par exemple, en 2021, la région des Hauts-de-France demandait dans ses contrats d’investir dans des véhicules à énergie alternative. Nous avons donc acheté 3 véhicules gaz car nous avions deux stations de ravitaillement à proximité de nos dépôts. Nous avons eu la chance d’avoir ces stations à proximité, car sinon nous n’aurions pas pu porter un tel investissement et nous n’aurions pas pu tester cette technologie.
Avez-vous reçu une aide de la Région pour l’acquisition de ces trois véhicules au gaz ?
Les surcoûts liés à ces investissements ont été pris en charge par la région.
Quels sont les principaux freins à la transition de votre flotte ?
Le premier est clairement financier. Une meilleure visibilité sur les investissements est essentielle, notamment à travers des contrats plus longs avec les agglomérations, afin de pouvoir amortir les dépenses engagées. Il est également important d’avoir une vision claire des dispositifs d’aides à l’acquisition de ces véhicules.
Ainsi, nous avons prévu d’acquérir un autocar électrique Iveco en 2026. Nous nous sommes engagés sur la base des aides actuelles, si celles-ci changent, nous serons dans l’obligation de rediscuter de cette commande avec notre fournisseur.
La stabilité des choix techniques constitue également un autre défi. Il y a quelques années, la solution privilégiée était le gaz, aujourd’hui cette option est moins mise en avant. Les informations sur les biocarburants sont contradictoires, et bien que l’électrique européen ait été attendu pendant longtemps, les constructeurs proposent désormais des solutions fiables. Cependant, vu l’ampleur des investissements nécessaires et le temps requis pour les amortir, nous devons pouvoir compter sur une continuité dans nos choix techniques.
Rencontrez-vous des difficultés auprès des banques pour faire financer ces investissements ?
Non, les banques sont de plus en plus ouvertes et à l’écoute sur ces thématiques. Elles proposent des crédits à des taux intéressants ou des prêts spécifiquement liés à la décarbonation.
L’autre frein à cette transition énergétique est d’ordre technique…
En effet. C’est pourquoi nous pensons qu’une montée en maturité des fournisseurs serait un atout pour mieux accompagner nos entreprises dans la transition énergétique. Nous avons notamment besoin d’une meilleure information sur l’exploitation de véhicules complexes et sur les adaptations structurelles de nos dépôts afin qu’ils soient certifiés et homologués, mais aussi pour disposer de la puissance électrique suffisante et des transformateurs adaptés. Nous avons apprécié notre collaboration avec Retrofleet qui nous a aidés sur ces aspects techniques : un ingénieur est venu sur place pour visiter nos installations, regarder les tableaux électriques, les transformateurs et a analysé nos factures d’électricité. Cette collaboration s’est dirigée vers une installation pérenne du projet. C’est toute une planification, une gestion de l’autonomie, des recharges et de la formation spécifique de chaque acteur qui a été pensé autour de ce véhicule électrique.
Quels sont les prochains projets d’Inglard Entreprises ?
Nous comptons investir davantage dans l’électrique : nous prévoyons notamment d’installer des panneaux photovoltaïques sur nos dépôts, notamment les plus anciens qui sont en cours de désamiantage. Cette électricité produite servirait en autoconsommation et potentiellement pour alimenter de futurs véhicules électriques. Mais nous restons prudents : notre état d’esprit est d’avancer vers une transition raisonnée et progressive, en continuant à travailler main dans la main avec les AOM et les fournisseurs afin d’assurer la viabilité économique et technique des projets.
Le groupe est-il engagé dans le processus de labellisation Réunir RSE ?
Oui, nous sommes engagés dans le processus de labellisation Réunir RSE. Nous avons d’ailleurs lancé cette démarche suite à une réunion avec les équipes de Réunir RSE et les responsables de nos différents sites. L’objectif de cette labellisation s’inscrit dans une démarche de transversalité entre nos entités, afin de garantir une approche cohérente et unifiée dans notre engagement en matière de responsabilité sociétale.
Cependant, il est important de souligner que nous manquons actuellement de ressources humaines dédiées à ce sujet pour avancer à la vitesse et au niveau que nous souhaiterions. Le soutien de Réunir est précieux dans ce processus. Leur accompagnement nous aide à structurer notre démarche, à identifier les priorités et à mettre en place des actions concrètes adaptées à la spécificité de nos enjeux. Cela nous permet de faire progresser la labellisation de manière efficace, même si certaines étapes nécessitent encore du temps et des ressources pour être pleinement intégrées.
Propos recueillis par Florence Guernalec