« Le transport public joue donc un rôle essentiel dans l’équilibre socio-économique des territoires »
Préserver l’environnement, lutter contre le réchauffement climatique tout en garantissant à chacun la liberté de se déplacer au meilleur coût : le rôle des transports publics rejoint les enjeux majeurs d’équité sociale et territoriale. Pour Edouard Hénaut, directeur général France de Transdev, les solutions passent par une offre multimodale, attractive et décarbonée, mais aussi par l’accompagnement dans les choix de déplacements.
Propos recueillis par Camille Valentin
Mobily-Cités : En tant que dirigeant d’une entreprise de transports publics française et mondiale, quel regard portez-vous aujourd’hui sur la mobilité en France ?
Edouard Hénaut : En 70 ans, nous avons changé de paradigme. La voiture, qui a longtemps été un symbole de liberté individuelle, est aujourd’hui synonyme de multiples difficultés : coûts, congestion urbaine, perte de temps, pollution… Nous connaissons tous ces contraintes liées aux déplacements quotidiens ; pour autant, nous ne sommes pas égaux face à la mobilité.
Si on regarde le territoire français, des inégalités se jouent entre les villes-centres et les zones périurbaines. Les premières foisonnent d’emplois, de services et de solutions de transport public ; quand dans les secondes, où l’étalement urbain est fort, les habitants multiplient leurs déplacements par 3 pour avoir accès aux mêmes services. Ces inégalités territoriales sont aussi sociales. Les habitants les plus modestes – dépendants de leur voiture – consacrent environ 15% de leurs revenus disponibles à leurs déplacements, essentiellement par nécessité : pour se nourrir, se soigner, étudier et travailler.
C’est à ceux qui seront le plus fortement impactés par le coût nécessaire de la transition écologique que nous voulons apporter des solutions en premier lieu. Préserver la capacité de tous à se déplacer, c’est garantir le « droit à la mobilité » de tous, un marqueur social déterminant. C’est notre raison d’être chez Transdev : permettre à chacun de se déplacer chaque jour grâce à des solutions sûres, efficaces et innovantes, au service du bien commun. Selon l’Insee, les déplacements en transports en commun coûtent en moyenne trois fois moins cher aux passagers que la voiture personnelle : 0,22 €/passager.km contre 0,07 € ; et quatre fois moins pour les abonnés (0,05€).
Selon vous, l’équation entre transition écologique et pouvoir d’achat est-elle solvable ?
J’en suis convaincu. La transition écologique est indispensable et doit s’accompagner d’alternatives de transport pour ne pas limiter la mobilité du quotidien. Les solutions de transports publics protègent le pouvoir d’achat des Français dépendants de la voiture individuelle ; elles limitent la fracture sociale et territoriale liée aux inégalités d’accès à la mobilité ; elles réduisent les phénomènes de congestion urbaine et elles soutiennent efficacement la transition énergétique en permettant le report modal de la voiture vers les modes partagés. Le transport public joue donc un rôle essentiel dans l’équilibre socio-économique des territoires. C’est un enjeu d’équité sociale et territoriale.
Le développement des Zones à faibles émissions de mobilité (ZFE-m) amène un nouveau défi. Le transport public pourra-t-il répondre ?
Ce n’est pas simplement des ZFE-m dont il est question. Le grand défi de notre secteur pour les 20 prochaines années est de tripler l’offre de transports publics sur les liens entre les grandes villes et le périurbain. C’est donc en dehors du périmètre des ZFE-m que va se jouer la transition énergétique des mobilités. Et pour cause, dans les centres-villes, la décarbonation a déjà eu lieu. Grâce aux nombreuses solutions de transport public qui y ont été déployées et à la proximité des services, le report modal a bien fonctionné. Les zones périurbaines, qui ont été laissées pour compte jusqu’ici, manquent encore d’alternatives efficaces à la voiture. Or, 90% de la population Française se trouve économiquement dans l’aire d’attraction d’une ville, la moitié vit en périphérie et se déplace essentiellement en voiture.
Notre challenge est double : accélérer la décarbonation des déplacements quotidiens fortement émetteurs de CO2, et accompagner cette transition pour ne pas limiter la mobilité. Seul un niveau et une qualité de service importants permettront le choc d’offre attendu pour favoriser le report modal. Une des solutions d’avenir pour résoudre ce défi est déjà devant nous avec les cars express.
Pourquoi ne pas faire ce choc d’offres sur tout le territoire et ainsi permettre à tous de se déplacer de plus façon plus durable grâce aux transports publics ?
Le transport public ne peut pas tout, tout seul et partout : il faut mettre le bon niveau d’offre au bon endroit et favoriser l’intermodalité pour les voyageurs. En zones peu denses par exemple, déployer des solutions de transports fréquentes et régulières serait à la fois coûteux pour les collectivités et peu efficace. La voiture – électrique si possible – et les services de transports en commun à la demande, pour ceux qui n’en possèdent pas, sont plus adaptés pour parcourir les premiers et derniers kilomètres. Ces solutions spécifiques aux territoires de faible densité sont à associer avec d’autres modes de transports, dans une logique de complémentarité des services.
Créer des chaines de mobilité efficaces sera vertueux. Cela signifie combiner des offres structurantes en pénétrantes d’agglomérations (lignes express de trains, de cars et de covoiturage) ; des solutions de rabattement vers ces lignes structurantes pour les zones de moyenne et faible densité (lignes régulières, transport à la demande ou voiture individuelle électrique) ; et des services et aménagements urbains pour faciliter l’intermodalité des voyageurs (pôles d’échanges multimodaux avec parkings voitures ou vélos sécurisés, services digitaux en temps réel, tarification intégrée).
Chaque jour, Transdev s’engage pour mettre en œuvre ces solutions de transports collectifs efficaces et souples, qui s’adaptent aux spécificités des territoires et aux besoins de leurs habitants. Disposer d’une offre de transport qui soit suffisamment qualitative et attractive est le facteur qui aura le plus d’impact pour la transition des mobilités, accompagnée de flottes de véhicules respectueuses de l’environnement.
A côté des offres, la décarbonation passe aussi par l’évolution des pratiques de la mobilité. Comment les opérateurs peuvent-ils s’engager sur cette piste ?
L’enjeu dépasse la création de nouvelles offres de services ; il faut aussi agir pour faire évoluer les comportements, accompagner les choix de mobilité des passagers et lever les freins persistants qui empêchent certains de se déplacer. L’apprentissage de la mobilité est un premier levier sur lequel Transdev travaille particulièrement, en déployant des actions pédagogiques pour toutes les populations. Parmi ces solutions, le S’Cool bus, le vélo-bus électrique de l’agglomération Seine-Eure : il permet aux enfants d’être les propres acteurs de leurs déplacements scolaires, dès le plus jeune âge ! Nos actions dédiées aux quartiers prioritaires de la ville, autour de Lens, facilitent par exemple l’apprentissage de la mobilité des collégiens au moyen de casques de réalité virtuelle. Pour réduire la fracture numérique des seniors, nous menons dans le Cotentin avec le Gérontopôle de Normandie un travail sur une application de transport à la demande destinée à faciliter l’utilisation des services digitaux et ainsi lever les obstacles à la mobilité des plus âgés.
Je crois aussi aux actions de sensibilisation, comme avec l’atelier collaboratif la Fresque des mobilités, que nous proposons à nos collaborateurs ; à conjuguer avec des actions d’incitation – par les prix par exemple – en augmentant le Forfait mobilité durable ou en subventionnant le covoiturage. C’est aussi le sens de notre rôle d’opérateur, d’accélérer la prise de conscience collective sur l’écologie et la sobriété énergétique, pour accompagner les changements de comportements en matière de mobilité.