Cyrille Moreau
Cyrille Moreau
Vice-président de la Métropole de Rouen en charge de l’Environnement

« Nous voulons passer d’un réseau en étoile à une grille »

Développer l’offre de transport public, soutenir le covoiturage et les modes doux : la Métropole de Rouen construit les alternatives à la mobilité individuelle, alors que la zone à faibles émissions se met en place. Comment fixer les arbitrages entre modes lourds et solutions complémentaires, avec quelle base budgétaire ? Cyrille Moreau, vice-président en charge de l’Environnement, détaille la politique de mobilité menée la Métropole de Rouen.

Propos recueillis par Sandrine Garnier

 

Quels sont les objectifs de votre politique de mobilité ? 

Notre projet trouve son origine dans la COP 2015 et les Accords de Paris, qui ont fixé des objectifs climatiques et des exigences en matière de mobilité, puisque les transports représentent environ un tiers des émissions de GES. Ces mesures se sont traduites notamment par la mise en œuvre des PCAET, avec une évolution des parts modales projetée à l’horizon 2050, et des étapes intermédiaires. A Rouen, nos objectifs sont fixés pour 2050 à 20% de TC, 20% de vélo, 30% de marche et 30% de voiture particulière. 

A titre de comparaison, l’enquête ménages déplacements réalisée en 2017 sur le périmètre métropolitain a mis en évidence la répartition suivante :  11% de TC, 1% de vélo, 30% de marche et 57,5% de voiture particulière. Et cela concerne seulement 500 000 habitants sur un bassin de vie de 750 000… on imagine sans peine que depuis cette enquête, les problèmes rencontrés par les habitants des zones grises de la mobilité ne se sont pas arrangés. 

Pour autant, vous n’êtes pas opposé au mode routier ?

Notre politique de mobilité repose sur trois piliers : social (droit à la mobilité), climatique (lutte contre le réchauffement), santé publique (baisse de la pollution, encouragement aux modes actifs). Sur cette base, nous avons cherché à construire une offre sans opposer les modes entre eux. Le territoire de la métropole réunit à la fois des zones urbaines, rurales, et des espaces naturels, pour lesquels les réponses seront forcément différentes. Nous devons donc maintenir une place pour la voiture, tout en luttant contre l’autosolisme. Là encore, les résultats de l’EMD ont montré que le taux d’occupation par véhicule est de 1,3 en moyenne, et de 1,01 seulement sur le domicile-travail. 

Vous êtes donc convaincu par la pertinence du covoiturage ?

Oui, et c’est assez paradoxal. Les politiques publiques sont plutôt faibles en matière de covoiturage, et c’est pourtant là que le potentiel est le plus important. On recense 1,9 million de déplacements quotidiens sur la métropole de Rouen, dont 950 000 en voiture. Organiser du covoiturage pour 1% de ces déplacements reviendrait à trouver une solution pour 4500 personnes. C’est à la fois très peu et beaucoup, si l’on part du principe qu’il faudrait leur garantir un parking de covoiturage. Dans les faits, le covoiturage ne fonctionne pas grâce aux infrastructures, comme on a pu le croire dans le passé, mais grâce à la mise en relation, comme l’a démontré BlaBlaCar. 

Nous avons décidé de soutenir le covoiturage domicile-travail, que nous développons avec Klaxit, et que nous subventionnons pour le rendre gratuit depuis le début de l’année 2022. Les entreprises engagées dans des PDE et des PDA ont été associées à la démarche, de manière à atteindre rapidement une masse critique de 3000 conducteurs, indispensable pour lancer le service. Nous enregistrons aujourd’hui 50 000 utilisateurs quotidiens. Il reste de la marge de progression, mais cela démontre que le covoiturage constitue un complément indispensable à l’offre de mobilité. 

Et le ferroviaire ? Même si la métropole n’a pas de compétence directe, que pensez-vous du développement d’un RER métropolitain ?

Sur le ferroviaire, il faut reconnaître que la situation de Rouen est mauvaise du fait de la saturation des infrastructures liée à l’étoile ferro-logistique. La construction d’une nouvelle gare est indispensable au développement d’un projet de RER métropolitain. Dans la situation actuelle, le réservoir de capacité est limité à 8 trains par jour. 

En revanche, nous pouvons agir sur le transport routier de voyageurs. C’est ce qui a été fait sur la liaison Elbeuf-Rouen, où nous avons doublé la fréquence depuis la rentrée de septembre. 

Comment souhaitez-vous voir évoluer le réseau urbain Astuce ?

Pour la préparation de notre Plan des Mobilités, nous sommes encore en phase d’études. Nous devons réfléchir à la fois sur les transports lourds, sur les zones périphériques, et sur la construction d’une offre transversale. Et nous avons lancé une démarche de concertation citoyenne, qui se poursuit jusqu’à la fin de l’année 2022. Faut-il par exemple renforcer l’offre sur les modes lourds, là où le réseau est déjà très efficace, ou développer plutôt les transports en 2e couronne ? Actuellement, comme dans la plupart des villes, notre réseau est en étoile, avec des trajets qui passent quasi systématiquement par le centre. Nous voulons passer d’une étoile à une grille. Et le fait de densifier cette grille conduira au renforcement du cœur du réseau. 

Nous intervenons aussi sur les amplitudes et sur le cadencement. Toutes nos lignes Fast affichent une fréquence inférieure à 10 minutes en heures de pointe, et terminent leur service à minuit. C’est un effort de lisibilité pour les usagers. Dans les zones périphériques, nous étudions la mise en place de navettes rapides, avec des lignes de bus au départ des centres-bourgs en rabattement vers le réseau structurant. Une étude est en cours pour évaluer le renfort d’offre nécessaire, sans attendre le Plan de Mobilité. 

Nous avons d’ores et déjà augmenté l’offre de 10% à la rentrée 2022. Et nous intervenons sur la hiérarchie des lignes, en upgradant l’ensemble. 

Et sur le plan de transition énergétique des véhicules, où en êtes-vous ? 

Quand nous avons été élus, il y avait seulement 4 bus électriques sur une flotte de 300 véhicules. Nous avons opté pour l’électrique de préférence au bioGNV, car il n’existait pas de système de collecte des déchets méthanisables. De plus, les bus au gaz émettent à peu près autant de particules que les diesel Euro 6. Toutefois, nous n’écartons pas la solution du biogaz pour les zones rurales. 

Nous avons passé une première commande pour un maximum de 80 bus articulés Ebusco, qui affichent une autonomie de 345 km. Nous allons continuant tout en diversifiant nos modèles de bus, pour atteindre 50% de véhicules à faible émission d’ici à 2026, y compris avec du rétrofit sur les cars urbains et scolaires.  

Vous souhaitez multiplier par 20 la part modale du vélo. Quels sont vos leviers d’action ? 

Le vélo constitue une alternative sérieuse, sachant que 25% des déplacements effectués en voiture sont inférieurs à 2 km, et 60% font moins de 5 km. Nous avons pris la décision d’aménager un réseau structurant avec des flux séparés, des pistes numérotées et matérialisées par un enrobé spécifique, sur le modèle des véloroutes grenobloises. A terme, nous prévoyons un réseau de 200 km de voies cyclables. Nous soutenons également les services de location de vélos, et le stationnement sécurisé à proximité des équipements publics, en pied d’immeuble ou dans les parkings en ouvrage. 

Quelle est votre position au sujet de la gratuité ? 

Je ne suis pas favorable à la gratuité totale, sans renfort préalable de l’offre. A défaut, ce genre de mesure conduirait à la saturation du réseau. 

 Nous avons décidé, à la sortie des confinements, de rendre le réseau gratuit es samedis, afin de relancer le commerce de centre-ville. Si l’on en croit les valideurs, la fréquentation décroit au fil du temps. Mais il suffit de voir les bus le samedi pour constater qu’ils sont toujours pleins. En réalité, les passagers ne voient plus l’intérêt de valider. Nous allons donc nous tourner vers d’autres systèmes de comptage des voyageurs. 

Nous sommes encore en pleine réflexion sur l’évolution de la tarification et des réductions relatives au statut ou au niveau de revenu, et de la place de la gratuité, qui pourrait être étendue au dimanche, ou aux jeunes. Nos recettes commerciales s’élèvent à 25 M€. En comparaison, la recomposition du réseau a déjà coûté 10 M€, et la tarification sociale représente un manque de 20 M€ par an. Ce sont des décisions politiques, qui dépassent la pure logique d’équilibre des coûts de fonctionnement. 

Le déploiement de la ZFE est en cours à Rouen. Aurez-vous les moyens de faire respecter les mesures ?

La ZFE est une réponse au constat d’échec des politiques publiques. Ce dispositif nous est imposé par l’Etat. Nous ne l’avons pas choisi. Nous allons consacrer 40 M€ à l’aide au renouvellement des véhicules pour accompagner les ménages les plus modestes. Nous avons réussi à mettre en place des dispositifs efficaces, mais nous sommes conscients des difficultés rencontrées par les classes moyennes. Est-ce que cet argent n’aurait pas été plus utile pour le développement des transports publics ? De plus, nous n’avons pas la possibilité de contrôler efficacement les véhicules sur l’ensemble du périmètre de la ZFE. La réglementation exige qu’un agent de police municipale valide les PV qui pourraient être dressés en cas de non-respect. Or, certaines communes ne disposant pas de police municipale, il faudrait que le maire valide lui-même les PV. Nous avons décidé de ne pas mener de contrôles-sanction jusqu’au printemps 2023, mais uniquement des actions pédagogiques sur le périmètre de la ZFE. 

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