L’ouverture à la concurrence dans le ferroviaire semble être une source inépuisable de débats. Après les barrières à l’entrée pour les nouveaux opérateurs, ou les conséquences de la libéralisation sur l’offre ferroviaire et les ressources dédiées à l’entretien du réseau, voici la distribution des titres de transport. Auparavant, l’opérateur intégré SNCF se chargeait de tout, et les seuls billets en vente donnaient accès à des trains opérés par le monopole national. Mais ce n’est plus le cas depuis l’ouverture à la concurrence sur les lignes à grande vitesse et l’arrivée de transporteurs alternatifs, comme Trenitalia sur Paris-Lyon ou la Renfe sur Madrid – Barcelone -Marseille et Barcelone – Lyon. Idem avec les TER en Région sud, où Transdev opérera la ligne Marseille – Nice – Toulon à partir de 2025, et peut-être en Région Grand Est avec Nancy-Contrexéville. Parallèlement, la demande croissante de solutions multimodales favorise le développement des plateformes capables de réunir l’ensemble des offres.
Or, les distributeurs indépendants reprochent aux opérateurs historiques en général, et à la SNCF en particulier, des pratiques anti-concurrentielles visant à favoriser ses propres canaux de distribution, à savoir SNCF Connect. Alliés dans cette démarche, Trainline, Omio et Kombo ont organisé une matinée de tables-rondes, le 5 décembre. En premier lieu, les plateformes se plaignent d’un accès insuffisant aux données, ce qui ne leur permet pas de développer efficacement leurs propres offres pour proposer par exemple les meilleurs prix sur une destination à une date déterminée. La dissymétrie dans la relation commerciale avec l’opérateur historique conduirait aussi à désavantager les plateformes dans la négociation concernant les taux de commissions. Une situation qui n’est pas propre à la France: Alexander Ernert, directeur des Relations gouvernementales Europe chez Trainline, se réfère d’ailleurs à une décision récente prise par le gendarme de la concurrence allemand. Ayant constaté que «les modèles économiques des plateformes de mobilité ne peuvent pas fonctionner en concurrence avec la Deutsche Bahn» et «afin d’éviter que la DB ne favorise ses propres offres ou ne fournisse des conditions moins favorables en ce qui concerne l’accès aux données prévisionnelles», le Bundeskartellamt considère «qu’une décision officielle ordonnant à la DB de cesser de se livrer à de telles pratiques est nécessaire». La DB a donc été rappelée à l’ordre, et de nouvelles discussions avec les plateformes ont abouti à la définition de meilleurs taux de commission.
Les distributeurs indépendants alertent également sur le lobbying des opérateurs historiques au niveau européen. Le projet de réglementation portant sur les services de mobilités numériques multimodaux (MDMS) a ainsi été bloqué par la Communauté européenne du rail jusqu’à la prochaine mandature, confirme Michel Quidort, président de la Fédération européenne des voyageurs. Et c’est bien le passager qui se retrouve pénalisé par l’absence de transparence dans la distribution des titres de transports. D’abord par une information insuffisante sur la réalité de l’offre ferroviaire, ensuite par la complexité des trajets multimodaux. Exemple simple à l’appui: «En Nouvelle-Aquitaine, la réduction de 30% liée à la carte Avantages SNCF s’applique sur le TER. Or, cette fonctionnalité n’est pas prise en compte par SNCF Connect!», indique-t-il, alors que le tarif réduit s’applique avec une réservation via Trainline. En facilitant l’accès aux trajets en transports publics, les outils développés par les distributeurs indépendants contribuent à soutenir la mobilité décarbonée, dans l’esprit de la LOM qui a d’ailleurs fixé le principe de l’ouverture des données pour le transport régional. La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale, présidée par Jean-Marc Zulesi, va d’ailleurs se charger l’an prochain d’une mission de contrôle et d’évaluation de la LOM. Une occasion de revenir sur la mise en œuvre de l’intermodalité, plus que jamais au cœur des politiques de mobilité avec le développement des Services express régionaux métropolitain (SERM).
Sandrine Garnier