Benjamin-Beaudet
Benjamin Beaudet
Directeur de l’innovation de Bertolami

« L’autocar doit renouer avec le transport de marchandises »

Pour l’entreprise familiale, l’une des voies d’avenir du transport routier de voyageurs réside dans… le transport de colis. Si le déploiement dans la Drôme d’une navette automatisée mixte prend du retard, l’entreprise devait lancer cet automne 2022 un service de messagerie sur une ligne de cars SLO entre Paris et la Drôme. Objectif : faire évoluer le modèle économique de l’autocar. 

Propos recueillis par Marc Fressoz

 

Mobily-Cités : Pourquoi pensez-vous que l’autocar peut se régénérer en revenant au transport de marchandises ?

Benjamin Beaudet : L’un des fruits de nos réflexions internes sur l’évolution du métier d’autocariste, avec mes frères Fabien et Yannick, c’est qu’il faut renouer avec le transport routier de marchandises à travers la messagerie, c’est à-dire le transport de moins de 3,5 t. Il s’agit de revenir au modèle de notre grand-père qui, en 1950, ouvrait la soute, prenait la veste de Madame Roche qui devait descendre chez la couturière, prenait des fruits et légumes destinés au restaurant Pic, prenait deux ou trois colis qu’il allait devoir amener à un transitaire de Valence, etc. Sauf que l’évolution réglementaire, depuis les années 1950, a cloisonné la mobilité des personnes et la mobilité des marchandises, alors qu’en Suisse par exemple, CarPostal est encore un acteur puissant de la messagerie, au même titre qu’il est un acteur des transports de passagers. Nous avons une capacité de transport qui nous donne la possibilité de devenir un opérateur de marchandise. Notre démarche est de faire la démonstration, notamment auprès des collectivités, que ce modèle économique peut être pertinent dans un contexte de baisse des subventions des collectivités. 

Expliquez-nous votre projet. 

Nous allons nous lancer cet automne avec un logisticien en faisant un premier test entre la Drôme et Paris, avec pratiquement 3 m3 de marchandises, un volume qui commence à être relativement intéressant. Il s’agit de faire en sorte que l’espace qui roule soit le mieux rempli et le plus efficient possible, et que la recette au kilomètre permette à un autocariste de mieux gagner sa vie. Et si on peut appliquer ce modèle aux lignes conventionnées, permettre à l’autorité organisatrice de payer moins cher son transport principal. L’autocar a encore l’avantage de pouvoir accéder aux centres villes, où des vélos cargos qui viennent récupérer les colis effectuent le dernier kilomètre. 

 

Quel est le rôle des autocars Bertolami ?

L’important, c’est que chacun reste dans son métier. Le logisticien Skipper source la marchandise et la groupe sur ses plateformes. Nous sommes en train de mettre en place des outils spécifiques pour faciliter la prise des marchandises par Skipper ou par le transporteur du dernier kilomètre qui manipule les marchandises et pour lui transmettre notre plan de transport, de manière à avoir un maximum d’agilité et de fluidité. Comme il ne s’agit pas de gros volumes, les opérations ne nécessitent pas la mise à disposition d’un quai dans un entrepôt. Ce sont des colis que Skipper aurait fait transporter par une fourgonnette dédiée. Dans ce modèle, il rémunère l’autocariste qui pourra rétrocéder une partie de ses gains à son donneur d’ordre, quel qu’il soit.

 

Avez-vous fait des chiffrages ? 

Nous pensons qu’on peut diminuer la note des collectivités entre 5 et 8%, et augmenter le revenu des autocaristes entre 2 et 5%.  

 

Pour pouvoir transporter des voyageurs et des marchandises dans le même véhicule, avez-vous obtenu une dérogation ? 

Nous allons opérer ce service dans le cadre d’une expérimentation sur laquelle nous avons beaucoup travaillé ces derniers mois, avec la FNTV et la FNTR. Il n’y a pas de durée précise, mais on ira au moins jusqu’à l’été prochain. Ce régime nous permet de nous affranchir de certaines barrières réglementaires. Notre initiative concerne tous les territoires, et particulièrement les territoires ruraux où la logistique dernier kilomètre n’a rien à voir avec celle des grandes agglomérations. A mes yeux, l’autocar est particulièrement bien placé pour répondre aux besoins du dernier kilomètre, car le transport scolaire est le réseau de mobilité le plus structuré de France. 

 

A ce stade, les autorités organisatrices ne sont pas encore vraiment parties prenantes…

Elles sont associées à des travaux amont. Nous travaillons notamment avec la Région Auvergne Rhône-Alpes pour explorer assez rapidement ce champ des possibles à partir des enseignements de l’expérimentation. 

 

Où en est votre projet de navette autonome mixte destinée à transporter des personnes et des colis du côté de Crest ? Pourquoi prend-il du retard ? 

Nous avons sollicité des financements français ou européens et les dossiers sont en cours de finalisation, avec des processus qui s’inscrivent dans un temps long administratif, car on parle de plusieurs millions d’euros d’accompagnement. Pendant ce temps, nous continuons de travailler sur notre démonstrateur du Val de Drôme pour des circulations qui vont reprendre cet automne et s’amplifier à partir de de l’année prochaine, avec une logique de mise en réseau du véhicule. Notre métier c’est moins de déployer une navette autonome que d’être opérateur d’un réseau de mobilité automatisée. On va travailler notamment prochainement aux premières associations entre mobilité des marchandises et mobilité des personnes sur un même territoire, sur un même réseau automatique pour savoir s’il n’y a pas d’interférence entre les deux systèmes. 

 

Concrètement, comment comptez-vous faire pour transporter des colis et des personnes dans une navette ?  

Nous reprenons le schéma que la poste coréenne a mené en 2021 avec Navya, en divisant en deux la navette avec une partie pour les passagers, une autre pour les marchandises. Nous testons aussi la circulation de robots livreurs construits par TwinsWheel, qui peuvent transporter jusqu’à 300 kilos de marchandises. Notre ambition est d’avoir les mêmes outils de monitoring et de pilotage pour gérer la mobilité automatisée des personnes et celle des marchandises. 

Pourquoi dites-vous que l’autocar ce n’est pas que du « transport sec » ?

La mobilité en autocar ce n’est pas que du « transport sec », comme on dit dans le jargon, ce sont aussi des expériences et des services, comme le transport de marchandise mais pas seulement. On a mené une expérimentation avec la région Auvergne Rhône-Alpes pour améliorer l’ambiance sonore à partir des podcasts de 30 minutes mis au point par Auvergne Rhône Tourisme, qui font la présentation de certaines pépites touristiques de la Région et que nous choisissons de diffuser sur nos lignes régionales. On a ainsi mis en place une opération chez Bertolami qui s’appelle « filet garni », qui joue sur le mimétisme avec l’aérien, où la première chose qu’on fait quand on monte d’un un avion c’est de regarder ce qu’il y a dans le petit filet qu’on a devant soi.

 

Plusieurs de vos confrères estiment que les conditions contractuelles en Auvergne Rhône-Alpes sont difficiles pour ce qui est de la prise en compte de l’inflation. Est-aussi votre avis ?

Le modèle d’autocars Bertolami nous expose moins à cette logique. J’aurais mauvaise grâce d’oublier que la Région a largement contribué économiquement à l’expérimentation de la navette du Val de Drôme. Bien sûr, les crises nous secouent mais faire partie de la petite dizaine d’autocaristes qui font tous les métiers de l’autocar nous protège : c’est le transport urbain de la ville de Romans en délégation avec Transdev, c’est une des plus importantes lignes Flixbus d’Europe entre Toulon et Bruxelles, c’est la ligne TER entre Grenoble et Valence, c’est des lignes scolaires et bien entendu des lignes régionales, du transport occasionnel. Notre grand-père et notre père ont toujours voulu qu’on garde la diversité.

 

Sur l’interurbain, avez-vous retrouvé le trafic d’avant Covid ? 

Oui, mais nous sommes complètement atypiques. Dans la Drôme et dans les vallées du diois, l’autocar a toujours été utilisé, parce n’y a pas de routes alternatives, de train, donc on retrouve des niveaux intéressants. Sociologiquement, il y a un certain nombre de professions qui nécessitent le déplacement, au bureau à l’usine, sur des terres agricoles. 

 

Quid de la pénurie de conducteurs chez vous ? 

On n’a pas de recette secrète mais je pense que la PME familiale a des atouts. Aujourd’hui, beaucoup de gens candidatent spontanément dans l’entreprise, qui dispose d’une image d’innovation, de bienveillance. Dans le microcosme, cela se sait. A notre échelle, ce n’est pas sur la rémunération que ça se joue. Donc on s’en sort un petit peu mieux que d’autres. 

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