Aymeric-Dessus-de-Cérou
Aymeric Dessus de Cérou
Directeur chez Circle Strategy

“C’est très difficile de dire qui sera la premiere à affronter Eurostar »

Fort d’une riche expérience acquise chez Keolis, à la SNCF et chez RATP Dev, Aymeric Dessus de Cérou conseille depuis 2022 des acteurs du transport au sein du cabinet Circle, qu’il s’agisse d’opérateurs historiques ou nouveaux acteurs, que les gestionnaires d’infrastructures. Il livre son analyse sur le marché de la grande vitesse transmanche, qui suscite sans doute le plus de convoitise en Europe sans qu’aucune nouvelle compagnie n’ait réussi à se lancer sur les rails.

 

Vers qui sont tournés les conseils de Circle Strategy ?

Circle Strategy accompagne les directions générales sur des problématiques de stratégie de croissance, de modèle économique responsable et de transformation digitale et opérationnelle. Nous accompagnons les opérateurs qu’il s’agisse d’acteurs historiques ou de nouveaux acteurs, ainsi que les gestionnaires d’infrastructures dans les transformations nécessaires dans le contexte de la transition écologique. Les 

 

Pourquoi y a-t-il autant de candidats à l’exploitation de liaisons ferroviaires transmanche ?

J’y vois plusieurs raisons. C’est un marché très lucratif, car le train relie de grandes capitales européennes et il y n’existe pas d’alternative routière facile. Traverser la Manche demande du temps, de l’argent. En outre avec la transition écologique, l’avion risque d’être de plus en plus contesté sur des trajets de 3 à 4 heures. Le train occupe donc une position concurrentielle favorable. Je pense aussi que Getlink joue un rôle très important en tant que promoteur du trafic transmanche. Même si le tunnel accueille le passage des navettes d’Eurotunnel, de trains de fret et de TGV Eurostar, le gestionnaire du tunnel dispose de réserves de capacité pour faire passer davantage de trains de voyageurs. C’est une activité très rentable qui ne nécessite pas d’avoir des terminaux de chaque côté, les péages sont élevés et les trains grande vitesse utilisent l’infrastructure pendant un temps très court. Getlink a par nature intérêt à développer la concurrence ferroviaire pour que le trafic transmanche se développe. Il s’y emploie en lien avec les autres gestionnaires d’infrastructure. 

 

Il y a pléthore de candidatures mais dans les faits, personne n’est parti à l’assaut d’Eurostar qui reste l’unique compagnie transmanche, pourquoi ? 

Une des difficultés rencontrées par ces compagnies est de trouver le financement pour acquérir du matériel roulant parce que c’est un investissement important dans un business risqué. Il faut du temps pour pouvoir s’installer, éprouver le business model, et face à cela, les investisseurs sont plutôt frileux. Proxima, la compagnie lancée par Rachel Picard et Tim Jackson est l’exception qui confirme la règle puisqu’ils ont trouvé un financement. C’est le syndrome du survivant. Ils ouvrent une voie dont le futur nous dira ce qu’elle est exactement. On note que le gestionnaire d’infrastructure LISEA a joué un rôle très important puisqu’il va héberger la maintenance de Proxima. Financer le matériel roulant ne suffit pas, il faut aussi pouvoir accéder à un centre de maintenance. Sur la LGV Tours-Bordeaux, le gestionnaire d’infrastructures qui est privé a intérêt à avoir du trafic pour avoir des revenus. Il aide l’opérateur en disant : si tu veux, tu pourras utiliser un centre de maintenance, je te ferai un accès, je te fais payer le service et je prends à ma charge l’investissement. On observe des similitudes dans la démarche de gestionnaires d’infrastructures nouvelle génération que sont LISEAet Getlink

 

Le fait d’avoir affaire à une multitude d’interlocuteurs pour s’installer sur le marché transmanche n’explique-t-il pas aussi ces difficultés ?

Cela peut être un facteur mais ce n’est pas un frein éternel. Avoir des trains conformes apporte de la complexité mais les techniciens sont en mesure de parler aux différents acteurs des trois pays. L’enjeu consiste plutôt à aligner les différents pays autour de la volonté de développer du trafic transmanche sachant qu’une grande partie de l’investissement d’infrastructures dépend des Etats. Getlink qui a des sillons disponibles joue un rôle moteur. Cela suppose côté anglais, qu’on augmente les capacités d’infrastructure, en particulier de maintenance et de réception de voyageurs et de trains à Saint-Pancras. Les travaux sont lancés et je pense que c’est un bon accélérateur pour développer le trafic transmanche.  Côté belge et côté français, il faut également des capacités disponibles. Je pense qu’elles existent pour faire des retournements à Bruxelles ou sur d’autres gares européennes comme Amsterdam par exemple. En revanche, sur la LGV nord et sur la gare du Nord, c’est assez saturé. On peut faire passer 13 trains par heure et par sens sur la LGV nord en heure de pointe. Or, en heure de pointe c’est déjà saturé. Les lignes LGV ont une capacité limitée. La LGV nord ne bénéficie pas de projet similaire à celui de Paris-Lyon où la capacité va passer de 13 à 16 trains par heure. Pour faire du transmanche, il faudrait plutôt aller vers d’autres pays que la France.

 

Pendant ce temps-là, Eurostar s’est transformé en absorbant Thalys, en quoi cela conforte-t-il cette filiale SNCF ?

Le projet Greenspeed qui était le nom de code de la fusion Thalys-Eurostar touche aussi bien les coûts que les recettes. La mutualisation des systèmes informatiques, des systèmes de planification et de tout ce qui est maintenance du matériel roulant a permis des synergies industrielles importantes. Sur le plan commercial, cette fusion est un très bon moyen justement pour aller développer le trafic transmanche vers des pays du Benelux, puisque Thalys était déjà présent sur ces destinations où existe la capacité résiduelle à exploiter. Avoir une seule marque, c’est très puissant. 

 

Parmi les toutes les néo compagnies qui ont déclaré leurs ambitions, sur laquelle pariez-vous ? 

C’est très compliqué de choisir un nom ! Sur le marché français Kevin Speed et Le Train sont présents depuis un moment, puis est apparu Proxima qui est celle qui finalement réussi son financement. Peut-être vaut-il mieux ne pas se découvrir tout de suite pour l’emporter. Sur le transmanche, si le gagnant est celui qui réussit à lever des fonds, alors on peut parier sur Virgin Trains qui a des assises financières importantes et un leadership d’entrepreneur solide. Son fondateur Richard Branson a réalisé depuis longtemps ce saut dans l’aérien, et il jouit d’une crédibilité dans le rail étant présent sur le marché ferroviaire britannique depuis longtemps avec Virgin trains. Je miserai soit sur quelqu’un comme lui qui a déjà l’expérience soit sur une compagnie ayant est un très bon sachant et qui va rester en sous-marin comme Proxima jusqu’au moment où il aura sécurisé les financements.

 

Gemini Trains s’est dévoilé près de deux ans après avoir commencé à s’organiser…

Je souhaite beaucoup de courage et de réussite à toutes ces néo entreprises. Communiquer avant d’avoir levé des fonds correspond à une stratégie, il s’agit de montrer qu’on existe, pour donner confiance en vue d’une levée de fonds parce que malheureusement on n’a pas d’autres moyens de donner confiance. Mais pour l’instant, ce n’est forcément la solution la plus efficace. Celui qui veut rentrer sur le transmanche a intérêt à trouver l’appui de Getlink comme Proxima avec LISEA pour déclencher la confiance des investisseurs. Peut-être que lorsqu’une compagnie aura franchi le pas, les investisseurs seront-ils plus ouverts et prendront-ils plus de risques.

 

On a également le modèle hybride d’une compagnie historique Trenitalia avec des moyens importants et d’un néo compagnie Hevolyn qui font alliance, cela peut-il faire la différence auprès des investisseurs ?

C’est un modèle intéressant : l’assise de la compagnie historique, et une capacité à réinventer le modèle avec une néo compagnie. Pour réussir ce groupement devra assumer une stratégie ambitieuse nouvelle au-delà de faire la moyenne des deux entreprises. Nous avons peu de détail pour le moment sur le projet et la gouvernance.

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