« L’autocar a toute sa place dans la mobilité du quotidien »
À l’heure où les Services express régionaux métropolitains (SERM) prennent forme dans plusieurs bassins de vie, le rôle de l’autocar est réévalué. Longtemps relégué au rang de solution d’appoint, il s’impose désormais comme une alternative efficace, souple et décarbonée. Rodolphe Gintz, directeur général des Infrastructures, des Transports et des Mobilités (DGITM), revient pour Mobily- Cités sur les perspectives de ce mode dans les politiques publiques de mobilité, et sur les défis de l’interopérabilité.
Mobily-Cités : L’autocar a longtemps souffert d’un déficit d’image. Quelle est aujourd’hui la position de la DGITM sur ce mode ?
Rodolphe Gintz : Nous avons clairement changé de regard. L’autocar est aujourd’hui considéré comme un outil stratégique, en particulier dans le cadre du déploiement des SERM. Il offre de la souplesse, une mise en oeuvre rapide et un coût maîtrisé. Là où les délais de construction d’une ligne ferroviaire ou d’un tramway sont longs, l’autocar peut immédiatement renforcer l’offre, à condition d’être bien pensé, intégré, lisible. Ce n’est pas une solution d’attente : c’est une composante à part entière de la mobilité durable dans les territoires.
Quelle peut être sa contribution concrète dans ces SERM ?
L’autocar peut jouer plusieurs rôles. Il peut assurer des liaisons express interurbaines, desservir des zones mal couvertes par le ferroviaire, ou encore jouer un rôle de rabattement vers les grands pôles de correspondance. Il est particulièrement pertinent pour desservir les territoires périurbains, notamment sur des axes routiers structurants. Mais pour que cela fonctionne, il faut que ces services soient intégrés : information voyageur harmonisée, titres de transport interopérables, cohérence tarifaire, temps de parcours fiables. Il faut penser « usager », pas « mode ».
Justement, la question de l’interopérabilité est-elle bien prise en compte dans les projets en cours ?
L’interopérabilité est au coeur de nos préoccupations. Nous savons que la complexité d’accès à l’information et à la billettique est l’un des principaux freins à l’usage des transports collectifs. Les efforts engagés par les Régions dans la mise en oeuvre de solutions billettiques ouvertes, l’émergence du MaaS (Mobility as a Service), les standards de l’open payment sont des avancées importantes. Mais il faut aller plus loin : l’autocar ne doit pas rester à l’écart de ces dispositifs. Il doit être totalement intégré à l’écosystème numérique de la mobilité. C’est à cette condition qu’il trouvera pleinement sa place dans les usages quotidiens.
Comment l’État soutient-il cette transformation dans les territoires ?
Plusieurs leviers sont aujourd’hui mobilisés pour accompagner les collectivités dans cette transformation ambitieuse. D’abord, les fonds verts, les appels à projets « transports collectifs en site propre », ou encore les contrats de plan État-Région (CPER) permettent de financer des infrastructures et du matériel roulant, y compris pour les services express par autocar.
Mais l’accompagnement ne se limite pas au financement. Nous travaillons activement à mettre à disposition des référentiels techniques, notamment pour garantir des critères de qualité, d’accessibilité et d’intégration intermodale. Il est important que ces services ne soient pas simplement vus comme du transport low cost, mais comme des lignes de qualité, fiables, confortables et compréhensibles par tous.
Nous agissons également via les DREAL, qui jouent un rôle de proximité essentiel auprès des autorités organisatrices. L’objectif est de renforcer l’ingénierie publique, notamment dans les petites collectivités, qui ne disposent pas toujours de moyens techniques pour concevoir des offres efficaces.
Enfin, nous encourageons fortement les AOM à expérimenter de nouveaux schémas d’exploitation, en s’inspirant de ce qui se fait ailleurs : clauses de performance, horaires lisibles, information temps réel, intégration dans les plateformes MaaS régionales, etc. Car l’enjeu, ce n’est pas seulement d’offrir un service, c’est de proposer une alternative crédible à la voiture individuelle. Et sur ce terrain, l’autocar a un potentiel que nous devons pleinement exploiter.
Le secteur est à un véritable tournant, à la croisée des chemins entre attentes environnementales, impératifs sociaux et réalités économiques. La transition énergétique des autocars est une priorité, mais elle reste aujourd’hui freinée par plusieurs verrous. D’abord, le coût d’acquisition des véhicules à motorisation alternative – qu’ils soient électriques, au bioGNV ou à hydrogène – demeure élevé, notamment pour les PME du secteur. Ensuite, l’incertitude sur la durée de vie des technologies, la maturité des filières, la question des infrastructures de recharge ou de ravitaillement, rendent parfois difficile l’investissement pour les opérateurs.
L’État accompagne cette mutation à travers plusieurs dispositifs. Les aides de l’ADEME, les soutiens issus du Fonds Vert, ou encore les subventions territoriales apportent une première réponse. Mais nous devons aller plus loin, notamment en favorisant des approches par filière, en soutenant la massification de la demande et en encourageant les appels d’offres qui valorisent réellement les efforts environnementaux.
Par ailleurs, la question des ressources humaines est tout aussi préoccupante. Nous partageons pleinement l’alerte des transporteurs sur la pénurie de conducteurs, notamment dans le transport scolaire. Il faut revaloriser le métier, en agissant sur la rémunération, les horaires, l’image de la profession. Cela passe aussi par la formation, l’attractivité auprès des jeunes, mais aussi une meilleure articulation entre les AOM et les opérateurs pour anticiper les besoins à venir.
Car soyons clairs : sans conducteurs, pas de choc d’offre possible. Et sans véhicules propres, pas de transition écologique crédible. C’est un double défi, mais nous le relevons avec les acteurs de terrain.
Et à plus long terme, comment envisagez-vous l’évolution du rôle de l’autocar ?
L’autocar a un avenir solide, à condition qu’on lui donne enfin toute la place qu’il mérite dans les politiques publiques de mobilité. Il répond à une pluralité d’enjeux : mobilité des zones rurales, désaturation des grands axes, dessertes périurbaines… mais aussi, et de plus en plus, réduction des émissions de gaz à effet de serre. C’est un mode collectif sobre, capable de transporter massivement sur de longues distances, avec un excellent ratio CO₂/km par passager.
Mais pour qu’il tienne pleinement ce rôle, il faut investir dans la décarbonation des flottes. C’est un virage indispensable, et l’État est pleinement mobilisé pour accompagner cette transition, à travers les différents programmes de soutien : Fonds vert, aides ADEME, Plan France 2030, sans oublier l’appui aux collectivités via les DREAL. Il ne s’agit pas uniquement de financer des véhicules propres, mais aussi de favoriser l’émergence d’écosystèmes territoriaux complets : bornes de recharge, stations bioGNV ou hydrogène, services de maintenance, ingénierie d’exploitation…
Ce soutien public doit s’inscrire dans la durée, car la transition énergétique des autocars ne se fera pas en quelques mois. Il faut une trajectoire crédible, progressive, mais ferme, qui offre de la visibilité aux opérateurs et favorise une montée en gamme du service.
L’autocar du XXIe siècle ne sera pas celui du passé. Il sera connecté, propre, intégré et fiable. À nous de faire en sorte qu’il devienne un pilier reconnu des politiques de mobilité durable.
Propos recueillis par Pierre Lancien