P-Auzannet
Pascal Auzannet 
Consultant en stratégie des mobilités

Pour une approche systémique des politiques de mobilité différenciée selon les territoires

Pascal Auzannet, consultant en stratégie des mobilités, ancien directeur du développement et de l’action territoriale, puis des RER de la RATP, ancien président de RATP Smart Systems. Il est l’auteur du livre « Les Secrets du Grand Paris, gouvernance, mobilité et révolution numérique (Ed. Hermann, 2020). »

Il est plus facile de favoriser le report modal en ville, là où les systèmes de transports publics sont les plus performants. Mais il est plus pertinent d’agir sur les déplacements les plus longs et les plus émetteurs. Mener des politiques de mobilité différenciées selon les territoires permettrait d’accroître leur efficacité en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de pollution atmosphérique.

En France, le secteur des transports est le principal contributeur aux émissions de gaz à effet de serre (32%) et celui où elles décroissent le moins (le véhicule particulier contribue, à lui seul, pour 52% des émissions du secteur). Face à l’urgence climatique et le besoin de déplacements, les acteurs de la mobilité s’accordent sur la nécessité d’un choc d’offre de l’ordre de 20 à 25% nécessitant de nouvelles dépenses. Dans le même temps, la crise des financements publics, l’inflation, l’endettement de l’État et des collectivités territoriales rendent l’équation quasiment insurmontable. Avec toujours au final, après souvent la constitution de groupes d’études, les mêmes préconisations de recettes : taxation des plus-value immobilières, pratiquée à l’étranger mais jamais en France, péage urbain politiquement trop complexe, augmentation des tarifs alors que le pouvoir d’achat est en baisse et bien sûr la hausse du versement mobilité qui se heurte à la compétitivité des entreprises alors que la croissance a des signes d’essoufflement. Et au final, les regards se tournent vers l’État impécunieux.

Voilà des décennies que ce sujet est en débat, la seule véritable innovation ayant été le financement du métro du Grand Paris Express avec une fiscalité spécifique régionale et dédiée au projet (800 M€/an) et de quelques projets ferroviaires, dont la ligne nouvelle Provence-Côte d’Azur (LNPCA)… Et bien sûr, les revenus qui transitent par l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) : redevances autoroutières, amendes des radars automatiques… 

La dimension sociale voire redistributive de la tarification est l’objet d’une très forte sensibilité politique. La part des recettes commerciales des transports collectifs urbains est plus basse que chez la plupart de nos voisins européens et ne cesse de baisser : environ 70% en 1975, 50% en 1995 et aujourd’hui sous les 20%. Une quarantaine de réseaux ont opté pour la gratuité avec des résultats de fréquentation fortement positifs. Il conviendra d’être attentif sur l’origine du transfert modal (voiture, marche à pied, vélo) et les techniciens et experts apporteront les éclairages aux élus lorsque les données seront disponibles, la décision étant au final un choix politique, respectable quelle que soit l’option prise. Surtout que la gratuité a été un enjeu lors des dernières élections municipales avec des résultats contrastés. 

On trouve le même débat, voire de la frilosité avec le prix du carburant automobile. Aujourd’hui, avec une heure de smic on peut parcourir 80 km (contre 30 en 1970 et 60 en 1990). Avec la récente hausse, un infléchissement a été constaté mais sur une longue période la tendance est à l’augmentation de la portée des déplacements. Pour autant, tout discours préconisant une hausse de la fiscalité pour compenser les coûts publics supportés par la collectivité (effets externes, voirie…) est totalement inaudible et ne sera repris par aucun décideur politique par crainte d’une nouvelle crise de type « gilets jaunes ».

Plusieurs options se présentent aux AOM sans qu’il y ait de consensus sur la – ou les – bonne(s) solution (s) concernant ce qui pourrait être plus aisé sur l’optimisation de l’organisation des mobilités. 

Optimiser l’organisation des mobilités

Alors, pourquoi ne pas s’interroger sur l’efficacité de la dépense publique selon son affectation modale et géographique ? Voici quelques chiffres qui interpellent : sur les vingt dernières années, 83 Md€ (22 Md€ pour les TGV et 61 Md€ pour les transports collectifs urbains) ont été dépensés alors que sur cette période la part modale de la voiture particulière n’a baissé que de 3%. Donc, un faible rendement marginal.

Aussi, on ne peut plus évaluer une politique publique sur le seul critère des montants financiers engagés et leur variation sur un mandat électoral. Mieux vaut évaluer sur les résultats obtenus : variation de trafic selon les modes, indicateurs de qualité de service, réduction de la pollution, parts modales, tarification, accessibilité…Il faut changer de méthode : établir des diagnostics partagés considérant les spécificités territoriales, identifier les leviers d’actions – toute stratégie reposera sur une approche systémique – et certainement repenser la gouvernance.

Un questionnement sur l’optimisation de la gestion des mobilités avec des pistes d’économies potentielles est donc indispensable. Ces dernières sont multiples et au final assez peu traitées dans les faits : lutte contre la fraude (coût annuel : 600 M€ par an selon l’UTP) en recourant à l’open payment et aux outils numériques, parfaitement adaptés et encore insuffisamment utilisés, améliorer la vitesse commerciale des bus et tramways (coût de la faible vitesse commerciale des bus à Paris – moins de 10 km/h à l’heure de pointe – et en proche couronne : 300 M€ par an ; combien pour l’ensemble de la France ?) en développant les sites protégés, la priorité aux feux avec des systèmes de régulation innovants et de bons opérateurs.

« Pourquoi ne pas s’interroger sur l’efficacité de la dépense publique selon son affectation modale et géographique ? »

D’autres pistes méritent l’attention : la productivité du travail et du capital. L’amélioration de la première se heurte aux fortes rigidités syndicales qu’il convient de traiter avec pragmatisme dans le dialogue social. Les options sont à trouver essentiellement dans la productivité de croissance (variation de la valeur ajoutée supérieure à celle des moyens mis en œuvre). Et impossible d’éluder la productivité du capital, les transports étant une activité fortement capitalistique. Ainsi, l‘étalement de l’heure de pointe est un levier bien identifié car le coût du dimensionnement des parc de matériels roulants (nombre de trains, métros, bus pour seulement quelques heures de la journée) est particulièrement élevé et participe à la faible productivité du capital. Et ceci dans un contexte de saturation des réseaux. Notamment par la tarification à l’instar de l’énergie tout en subventionnant l’usage de modes alternatif (vélo…). L’enjeu financier est de plusieurs centaines de millions d’euros d’économies potentielles.

Le management des entreprises et la gouvernance institutionnelle sont également des facteurs qui peuvent affecter l’efficacité économique du capital. Ainsi dans le domaine ferroviaire, le nombre de circulations quotidiennes par km de voie est 2,5 fois supérieur en Suisse (Royaume Uni : 2 ; Allemagne : 1,6). Et le kilométrage effectué pour les matériel roulant TER est inférieur de 40% à l‘Allemagne. Et aussi impacter la qualité de service, cette dernière pouvant être améliorée par un meilleur management sans que des investissements soient toujours nécessaires. Le renforcement des bonus-malus – souvent peu incitatifs – fixés par les AOM aux opérateurs constitue un levier pertinent d’amélioration en responsabilisant davantage.

L’ouverture à la concurrence des transports ferroviaires conventionnés de voyageurs offre des perspectives supplémentaires d’économies significatives qui pourraient dépasser les 30% d’après l’Autorité de régulation des transports (ART). La concurrence est incontestablement un levier d’efficacité comme l’atteste le modèle des délégations de service public. Mais il convient de rester pragmatique et des régies (Toulouse…) ont aussi démontré leur pertinence. L’ouverture à la concurrence des transports en Île-de-France désormais engagée pour les réseaux de bus devra bénéficier d’un retour d’expérience – le décalage de deux ans sur la zone de Paris et petite couronne montre les difficultés du processus – et une réflexion approfondie sera nécessaire avant de confirmer l’étape de libéralisation des modes ferrés. Sans tabou…

Les enjeux sont différents selon les zones géographiques

Les centres urbains

Une nouvelle ambition est en train d’émerger dans les grandes agglomérations françaises et l’Ile-de-France : la régulation de l’espace urbain, un bien rare et coûteux dans les centres-villes denses. Par exemple, la ligne 14 à Paris qui constitue la colonne vertébrale du Grand Paris Express, a une capacité horaire de 40 000 voyageurs par sens. Or, pour transporter ce niveau de trafic en voiture, il faudrait une voirie d’une largeur de 100 à 150 m ! Avec le bruit et la pollution en plus. Cette démonstration constitue, une forte invitation à expertiser les économies d’espace possible avec les modes alternatifs et participer ainsi à la ville apaisée (ville du quart d’heure…). Le tramway a une capacité 8 fois supérieure à celle d’une voie de circulation routière. Dans de moindres proportions, l’avantage du bus est également démontré avec un rapport de 1 à 2. La comparaison avec le vélo est également à l’avantage de ce dernier : le débit maximum par mètre de largeur de voirie est 4 à 5 fois supérieur à la voiture. Pour réduire efficacement l’usage de l’automobile, l’impact d’un partage de l’espace au bénéfice des modes actifs est puissant, peu couteux avec des calendriers de mises en services rapides comme l’attestent les forts développements de pistes cyclables dans les agglomérations françaises depuis la crise sanitaire. Avec des trafics fortement en hausse (+31% comparé à 2019), « l’offre créant sa propre demande ». Et d’autant plus justifiés que ce sont des déplacements courts (entre 1 et 2 km, la voiture convainc 56% des personnes ; entre 2 et 3 km, 63% ; dans l’ensemble, 60% des déplacements domicile-travail de moins de 5 km se font en voiture). L’efficacité d’un partage de l’espace urbain est ainsi bien identifiée : l’impact du développement de pistes cyclables permet dans des délais courts et pour un faible coût de réduire sensiblement la part modale de la voiture. 

Toute cette réflexion doit évidemment s’articuler avec une stratégie de stationnement (95 % du temps un véhicule est stationné) participant à la réduction de l’usage de la voiture dans les centres urbains : tarification, réduction des places sur voirie, parking souterrain.

« Pour réduire efficacement l’usage de l’automobile, l’impact d’un partage de l’espace au bénéfice des modes actifs est puissant, peu couteux avec des calendriers de mises en services rapides »

La mise en œuvre des ZFE, à un rythme moins soutenu que prévu, outre le risque d’exclusion sociale (« un mal nécessaire », selon certains décideurs) ne règlera pas l’objectif d’une meilleure régulation de l’espace urbain, sauf à se satisfaire d’embouteillages de… voitures électriques. Les zones à trafic limité (ZTL) dont l’objectif principal est de réorganiser la mobilité et d’apaiser le trafic en centre-ville afin d’aboutir à un nouveau partage de l’espace public au bénéfice des mobilités actives et les transports en commun méritent d’être développées. Leur acceptabilité politique est beaucoup plus aisée. Après, Nantes, Grenoble et Rennes, d’autres villes françaises souhaitent s’impliquer dans cette démarche, à l’instar de Paris…

La palette des modes alternatifs à la voiture est large et intègre aussi les navettes fluviales (avec la capacité de transporter des vélos) et les modes innovants (UrbanLoop…).

montpellier

Les périphéries

Au sein des aires urbaines, ce sont les déplacements extérieurs aux zones centres qui pèsent le plus dans la pollution, les émissions en centre-ville ne représentant que 2% du total des émissions (dans ces zones, les mobilités sont largement déjà décarbonées et des alternatives à la voiture existent : transports collectifs, vélo…). Les déplacements entre les métropoles et leurs espaces périurbains et périphériques sont à la source des principales émissions de CO2. Les déplacements centre – périphérie représentent 25% des émissions et ceux effectués en dehors des centres urbains 73%. Cette situation s’explique par le fait que la part modale des transports en commun chute drastiquement de 27% à 5% entre les pôles d’agglomérations et leurs couronnes. C’est aussi une forte invitation à lutter contre l’étalement urbain (lorsque la densité urbaine est réduite de moitié, le coût des déplacements et la consommation énergétique sont majorés de 50%).

ll faut donc élargir la stratégie des mobilités à la périphérie et traiter de façon systémique les enjeux qui sont différents : décarbonation, améliorer la qualité des transports du quotidien, notamment par des dessertes plus fréquentes et plus fiables, lutte contre la fracture territoriale, accessibilité aux emplois et activités culturelles et offrir une alternative à la voiture particulière qui domine. Tels sont les objectifs de services express régionaux métropolitains dont la loi vient d’être adoptée par le parlement. Les cars express à haute fréquence constituent une solution particulièrement adaptée. Et ceci dans une temporalité courte. Effectivement, ce service se révèle plus efficient encore lorsqu’il se combine avec l’utilisation de voies réservées sur les grands axes routiers d’accès aux agglomérations et de systèmes de priorités de circulation. L’offre est également plus facilement modulable car reposant principalement sur des infrastructures existantes. Donc beaucoup plus rapidement opérationnel que les RER métropolitains, dont la pertinence reste incontestable. L’exemple francilien confirme l’intérêt de cette approche. Dans le cadre du plan bus piloté par Ile-de-France Mobilités (2017-2019), l’offre a été augmentée de 10% pour 30 lignes de cars express. Pour ces mêmes lignes, la fréquentation a augmenté de 25% et cette stratégie sera poursuivie (cf. rapport Durovray). De tels services ont également été mis en place avec de bons résultats sur l’aire urbaine grenobloise, ou encore sur Aix-en-Provence – Marseille, et plus récemment sur Bordeaux – Créon et Bordeaux – Blaye. L’Occitanie et d’autres régions souhaitent également s’inscrire dans cette démarche.

« L’articulation des agglomérations avec leurs territoires périphériques pourrait permettre de diminuer de 30% les flux automobiles rentrant dans les métropoles »

Le transport à la demande (en bus ou en car), grâce à sa souplesse, est en plein développement depuis plusieurs années en zone périurbaine et rurale. En apportant un service supplémentaire de mobilité de proximité aux heures de faible demande. Le numérique permet d’en optimiser l’usage en adaptant les itinéraires en fonction des demandes de déplacements tout en garantissant un temps de parcours à chaque utilisateur, via un algorithme spécial. La aussi, la temporalité de réalisation est rapide.

Dans le même temps, il convient de développer le covoiturage (pour les distances moyennes et longues du quotidien) et les parkings de rabattement avec des tarification attractives.

L’articulation des agglomérations avec leurs territoires périphériques par des moyens de mobilité adaptés et conçus dans une perspective intermodale pourrait permettre, d’après les estimations de la DGITM, de diminuer de 30% les flux automobiles rentrant dans les métropoles.

Il faut donc combiner, l’optimisation de l’existant, favoriser une bonne régulation de l’espace urbain dans les centres ville et mettre en œuvre une politique innovante de développement des offres alternatives à la voiture en périphérie.

Les leviers d’actions sont bien identifiés. Il appartient aux acteurs institutionnels de s‘en saisir en ayant une vision stratégique globale et d’agir local de façon coopérative à tous les échelons : AOM, Syndicats mixte de mobilités et Région.

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