L’ouverture à la concurrence des TER crée un service ferroviaire archipélisé et une fragmentation de la chaîne de valeur. Lors de la matinale Ferro-Cités du 10 décembre 2025, les acteurs ont plaidé pour une standardisation et une industrialisation des procédures d’appels d’offres ainsi qu’une meilleure coordination des Régions pour la commande de matériel roulant et l’unification de la billettique notamment.
« Plans de charge des appels d’offres, matériel roulant, billettique, systèmes de vente… Comment gère-t-on la nécessaire dimension unitaire nationale dans un système qui est désormais archipélisé ? L’intégration, la coordination et l’industrialisation doivent être au centre des débats », a déclaré Thierry Gimbaud, président de l’ART, lors de la matinale consacrée à l’ouverture à la concurrence des services de TER, organisée par Ferro-Cités le 10 décembre 2025. Il en va, selon lui, de la crédibilité des professionnels impliqués dans cette transformation, face à une montée en puissance d’acteurs qui laissent entendre que l’ouverture à la concurrence génère au final davantage de coûts que d’économies.
Premier défi, une quarantaine de lots ferroviaires restent à attribuer avant la date butoir de 2034, alors même que les opérateurs peuvent difficilement répondre à plus de 3-4 appels d’offre (AO) par an. Edouard Hénaut, directeur général France de Transdev, a d’ailleurs confirmé que son groupe n’avait pas l’intention de répondre à tous les AO. Pour Thierry Guimbaud, « cette échéance est redoutable. Le planning est impressionnant, à la limite du raisonnable ». Il a ainsi exhorté les Régions à se concerter pour industrialiser le planning des appels d’offres : « L’ART souhaite que devant cet himalaya, les AOM, annoncent leur rétro-planning. C’est seulement après que nous pourrons commencer à parler de dérogations. Il faudra des circonstances exceptionnelles », a-t-il néanmoins prévenu.
Cette échéance fixée à 2034, et le coût de réponse aux appels d’offres (AO), impliqueraient une standardisation des procédures. Ainsi, Scheherazade Zekri, directrice de la stratégie, appels d’offres & nouvelles mobilités chez SNCF Voyageurs TER, souhaite que les Régions consultent davantage les opérateurs en amont sur l’allotissement et les procédures d’AO afin d’en limiter la durée à 18 mois et leur coût. Leur montant s’élève aujourd’hui entre 2 et 3 M€ par lot hors études pour la construction d’ateliers. Elle a aussi déploré que les opérateurs ne pouvaient pas capitaliser sur les appels d’offres précédents en raison de l’absence de standardisation de ces appels d’offres. Côté AOM, leur principale difficulté réside dans l’absence de budget pour recruter ou payer des équipes fixes destinées à faire face à l’ampleur des marchés à attribuer, selon Patricia Pérennes consultante senior chez Trans-Missions.
Une chaîne de valeur bouleversée
S’agissant de l’exploitation, la reprise du matériel roulant et de la maintenance par les Régions est diversement appréciée.Scheherazade Zekri déplore « une fragmentation de la chaîne de valeur » : « Comment parvient-on à conserver la robustesse et la performance du couple exploitation-maintenance qui est absolument nécessaire pour garantir la régularité ? Comment maintient-on le système en sécurité ? Comment s’assure-t-on aussi des bons contrats d’interface sur l’ensemble ? ». Edouard Hénaut ne partage pas cette inquiétude. Il estime au contraire que les Régions sont « très utiles et très habiles » quand elles décident de récupérer une grande partie de cette valeur pour mieux la reconstruire dans une logique régionale et de manière coordonnée entre elles.
Le directeur général France de Transdev a pris l’exemple d’appels d’offres communs pour l’achat de matériel roulant. Cela montre, selon lui, qu’une forme de standardisation de ces marchés va de fait survenir. François Delétraz, président de la Fnaut, soutient une multiplication de ces démarches afin d’obtenir des délais et des prix raisonnables. Cependant, Patricia Pérennes considère que l’effet volume se fait, en réalité, sur le marché européen avec du matériel sur étagère. Elle a ainsi plaidé en faveur d’une véritable concurrence entre constructeurs européens en France à l’instar de ce qui a déjà cours en Allemagne…
Une facilité d’usage à travailler
Autre faiblesse de cette archipélisation, l’absence de billettique unifiée. Ce morcellement complique les déplacements des usagers qui voyagent d’une région à l’autre, les obligeant à acheter plusieurs billets et à jongler avec les 42 cartes de réduction existantes sur le territoire national. François Delétraz a pris l’exemple de la multiplication des bornes d’achat de billets des opérateurs en gare Saint-Charles à Marseille. Le président de la Fnaut a exhorté les Régions à s’entendre pour aboutir à un titre de transport unique. Il a aussi plaidé en faveur de solutions d’open payment. Néanmoins, Patricia Pérennes a tenu à défendre la liberté tarifaire accordée aux Régions en 2014 : « Celui qui fixe les tarifs, décide aussi qui paie entre le voyageur et le contribuable. Qui d’autre qu’un élu peut faire ce choix ? Cela paraît compliqué que ce soit les opérateurs comme c’était plus ou moins le cas historiquement… »
La régénération du réseau ferré demeure également un enjeu crucial pour les AOM. Jean-Pierre Serrus, vice-président de la région Sud en charge des transports et de la mobilité durable, a ainsi déploré que la collectivité ait dû financer 70% des 74 M€ investis pour la réouverture de la LDFT Nice-Breil : « J’aurais préféré que la Région utilise cet argent pour acquérir davantage de trains et commander davantage d’offre » regrette l’élu qui constate le désengagement de l’Etat. Thierry Guimbaud voit néanmoins dans le développement de l’offre des Régions, un cercle vertueux : ces nouveaux péages « représentent une manne de financement pour SNCF Réseau. Les perspectives ne sont pas négligeables… »
En conclusion, les différents participants à cette matinale ont jugé l’ouverture à la concurrence positive même si ce big bang n’a été rendu possible qu’au prix d’investissements considérables. Jean-Pierre Serrus a évoqué 300 M€ par lot à la charge de la région Sud pour financer à la fois l’acquisition de matériel roulant neuf et la création de centres de maintenance. « C’est davantage d’offre et de services, plus de régularité, et une baisse de la facture d’au moins 25% pour l’AOM », a souligné Edouard Hénaut. Un chiffre nuancé par Scheherazade Zekri pour qui cette baisse s’explique aussi par un développement de l’offre qui permet d’amortir les coûts fixes.
Florence Guernalec



