France Stratégie et l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) jettent un éclairage subtil et nuancé sur les effets du télétravail, avec la publication de leur analyse conjointe ce jour. Ce phénomène, qui touche 19 % des salariés français en 2023, majoritairement des cadres, redessine en profondeur les contours de la mobilité quotidienne, de l’immobilier de bureau et de l’aménagement des territoires. La pratique, bien qu’inégalement répartie selon les régions, a des implications diverses pour les collectivités et les politiques publiques.
L’impact du télétravail sur la mobilité quotidienne se révèle ambivalent. Si la fréquence des trajets domicile-travail diminue, les distances parcourues augmentent : en moyenne, les télétravailleurs résident à 28 kilomètres de leur lieu de travail, contre 14 kilomètres pour les autres actifs. Ce choix de vie plus éloigné, facilité par la souplesse du télétravail, s’accompagne néanmoins d’une hausse des trajets en voiture, avec ses corollaires de pollution et d’engorgement. En région parisienne, cette évolution n’a pas réduit le trafic routier, bien que la fréquentation des transports en commun ait fléchi certains jours de la semaine, notamment les lundis, mercredis et vendredis. À la RATP, la chute du trafic entre octobre 2019 et octobre 2023 est en partie attribuée au développement du télétravail.
Parallèlement, les dynamiques diffèrent selon les territoires : à Lyon, la baisse du trafic routier reste timide, tandis qu’à Rennes et Toulouse, une diminution plus nette est observée, bien que non attribuable uniquement au télétravail. En revanche, la fréquentation des trains régionaux (TER) a bondi de 21 % entre 2019 et 2023, illustrant l’attrait croissant des mobilités douces, même si la corrélation avec le télétravail reste à établir.
Sur le plan immobilier, le télétravail redéfinit les stratégies des entreprises. Les plus grandes métropoles constatent une réduction partielle des surfaces de bureaux, marquée par une relocalisation vers les centres-villes, offrant plus d’aménités et des espaces de travail plus attractifs pour inciter les salariés à revenir sur site. Cette reconfiguration des espaces tertiaires expose néanmoins les périphéries à des taux élevés de vacance immobilière, laissant de vastes surfaces sans usage, et posant un risque d’éviction du logement dans les zones centrales attractives.
Malgré ces bouleversements, l’exploitation du télétravail comme levier des politiques publiques reste limitée par le manque de données fines. Les auteurs de l’analyse plaident pour une meilleure prise en compte de ce phénomène dans les stratégies de rééquilibrage des territoires et de lutte contre le dérèglement climatique. Sous certaines conditions, le télétravail pourrait devenir un catalyseur de mobilité durable, en complément des politiques visant à réduire les émissions liées aux déplacements quotidiens. Cependant, les ambitions doivent être renforcées par des outils adaptés et une vision à long terme, apte à saisir les subtilités d’un phénomène en pleine évolution.
Noémie Rochet