C’est un coup de tonnerre dans l’univers du véhicule industriel. Le 30 juillet 2025, le géant indien Tata Motors a annoncé l’acquisition d’Iveco Group, acteur européen de premier plan dans les poids lourds, les autocars et la motorisation. Un rapprochement à 3,8 milliards d’euros qui rebat les cartes d’un secteur en pleine mutation, entre décarbonation, numérisation et quête de taille critique.
L’opération, soutenue à l’unanimité par le conseil d’administration d’Iveco, vise une prise de contrôle totale, suivie du retrait d’Euronext Milan. À terme, Iveco deviendra une filiale à 100 % de Tata Motors, à l’issue d’une offre publique d’achat volontaire en numéraire, conditionnée à la cession de l’activité Défense du groupe italien. Celle-ci, valorisée à 1,7 milliard d’euros, devrait être vendue ou introduite en Bourse d’ici fin mars 2026.
À première vue, Tata Motors et Iveco Group ont peu en commun. Le premier est un titan indien de l’automobile, actif sur les marchés émergents et leader des véhicules utilitaires en Inde. Le second est l’héritier des grandes heures industrielles italiennes, fort de marques prestigieuses comme IVECO, Heuliez ou FPT Industrial. Mais c’est justement cette complémentarité qui fait la force du projet.
Aucun chevauchement géographique, peu de doublons industriels, mais une addition stratégique de produits, de savoir-faire et de marchés : ensemble, les deux entités pèseront plus de 540 000 véhicules par an, pour un chiffre d’affaires consolidé de 22 milliards d’euros. L’Europe représentera 50 % du total, l’Inde 35 % et les Amériques 15 %, avec de solides positions en Afrique et en Asie du Sud-Est.
Au-delà des chiffres, les engagements sociaux et industriels pris par Tata Motors pour sécuriser l’opération sont inédits. Le siège d’Iveco Group restera à Turin. Aucun site ne sera fermé dans les deux ans suivant la fusion. Pas de suppressions d’emplois non plus. Les marques, les contrats et les stratégies locales seront maintenus. Deux administrateurs indépendants veilleront au respect de ces engagements.
Ce respect de l’identité d’Iveco n’est pas un hasard. Le groupe, malgré un passé bousculé, a su rebondir autour de technologies robustes et d’un savoir-faire reconnu en motorisation, notamment via sa filiale FPT. Tata Motors entend bien capitaliser sur cet héritage pour accélérer sa montée en gamme et répondre aux nouveaux défis de la mobilité décarbonée.
Ce rachat signe également le retrait d’un actionnaire emblématique : Exor, la holding d’investissement de la famille Agnelli, qui détenait 27 % du capital et 43 % des droits de vote. Exor a donné son feu vert à l’opération, s’engageant à céder ses parts. Un symbole fort : l’Italie industrielle, longtemps défendue bec et ongles par les Agnelli, passe désormais sous pavillon indien.
Du côté indien, ce mouvement s’inscrit dans la réorganisation stratégique de Tata Motors, en cours de scission de ses activités véhicules particuliers et industriels. Pour le président du groupe, Natarajan Chandrasekaran, ce rachat est « un prolongement naturel » de cette réorganisation. Il permettra au nouveau géant de « peser véritablement à l’échelle mondiale ».
Le secteur du véhicule industriel vit une transformation sans précédent : électrification, hydrogène, digitalisation, pénurie de conducteurs, concurrence mondiale… Pour affronter ces bouleversements, l’effet de taille devient un levier décisif. En conjuguant leurs forces, Tata Motors et Iveco visent une meilleure maîtrise des coûts, une montée en puissance dans l’innovation, et un accès renforcé à de nouveaux marchés.
« Ensemble, nous façonnons une entreprise agile et résiliente, capable de diriger dans une période de changement », a résumé Girish Wagh, directeur exécutif de Tata Motors. Un volontarisme partagé par Olof Persson, PDG d’Iveco Group, qui voit dans ce rapprochement « une opportunité de servir mieux les clients, avec un portefeuille élargi et plus technologique ».
Avec cette acquisition, un pan entier de l’industrie européenne du véhicule industriel bascule vers l’Asie. Iveco rejoint la longue liste des marques historiques passées sous pavillon étranger, à l’instar de MAN (Volkswagen), Renault Trucks (Volvo) ou Scania (Volkswagen). Mais contrairement à certaines opérations passées, ce rachat s’annonce davantage comme un partenariat stratégique que comme une absorption brutale.
Reste à obtenir les feux verts réglementaires : concurrence, investissements étrangers, subventions européennes… Le processus pourrait durer jusqu’à mi-2026. Mais sauf surprise, l’accord semble scellé.
À terme, un nouveau champion mondial du véhicule industriel pourrait émerger. À la croisée de l’Italie industrielle et de l’Inde technologique, ce tandem improbable pourrait bien devenir le nouvel arbitre d’un secteur en pleine recomposition.
Dur…
Pierre Lancien