Réduire les coûts du ferroviaire sans sacrifier la qualité : l’expérience européenne de Transdev et les conditions d’une ouverture réussie en France
Depuis plus de trente ans, l’Europe réécrit patiemment l’histoire du transport ferroviaire. Ce chantier progressif, mené au rythme des réformes nationales et des expérimentations régionales, a profondément renouvelé les équilibres entre opérateurs historiques, autorités organisatrices et nouveaux entrants. Dans cette transformation continue, Transdev a trouvé une voie stratégique : celle de la concurrence maîtrisée, structurée, bâtie sur des fondations solides et des méthodes éprouvées. L’exemple allemand, la trajectoire suédoise, et les premières ouvertures françaises composent aujourd’hui une matière dense, précieuse, pour guider les prochaines décisions. Car l’enjeu est de taille : il ne s’agit pas seulement d’introduire de nouveaux acteurs, mais de reconstruire un système ferroviaire plus efficace, plus agile, et plus proche des besoins des territoires.
En Allemagne, la part des nouveaux opérateurs dans le transport de passagers a doublé en vingt ans, atteignant 35 % dès 2019. Le marché est foisonnant : plus de 500 entreprises ferroviaires cohabitent, se spécialisant dans le fret, le transport de voyageurs ou les deux. La relance de l’offre est manifeste : +25 % de trains-kilomètres entre 2002 et 2024, +60 % de voyageurs-kilomètres pour le trafic régional, et un chiffre d’affaires de DB Netz qui a quasiment doublé. Fait remarquable : malgré la concurrence, l’opérateur historique reste dominant – il détient encore 60 % du marché régional – et tire profit de cette nouvelle dynamique. Surtout, les collectivités bénéficient d’une baisse sensible des coûts : entre 20 et 25 % de réduction des contributions des autorités organisatrices, sans renoncer à la qualité de service. Le ferroviaire allemand a su, grâce à cette ouverture, reconnecter des territoires oubliés, réinvestir dans les infrastructures, et diversifier les solutions.
La Suède, quant à elle, joue le rôle du précurseur. Dès 1988, le pays amorce un processus d’ouverture qui culminera avec une libéralisation complète des services voyageurs en 2009. Aujourd’hui, SJ, l’opérateur historique, conserve une position forte, mais partage le paysage avec des acteurs comme VR Group, Vy Täg ou Transdev. Le résultat ? Un système parmi les plus dynamiques d’Europe : +35 % d’offre entre 2010 et 2023, +20 % de passagers. La recette suédoise mêle rigueur et souplesse : organisation décentralisée, hiérarchie horizontale, grande proximité avec les réalités locales. Les passagers, eux, trouvent des trains propres, confortables, connectés, à des coûts optimisés. Le dialogue avec les AOM est permanent, nourri par une transparence totale des données. Cette culture ferroviaire s’appuie sur une coopération forte entre opérateurs, autorités et employés, au service de l’innovation continue.
En France, la trajectoire est plus récente, mais elle s’accélère. Après l’ouverture du fret international (2003) et du trafic voyageur international (2009), la libéralisation du marché régional conventionné a débuté en 2019. L’année 2025 marque un tournant : pour la première fois, un marché TER est attribué à un opérateur autre que la SNCF, avec une circulation effective sur le réseau. Cette évolution intervient dans un contexte où les Régions, qui financent près de 4 milliards d’euros de services conventionnés, cherchent à optimiser leurs dépenses. En 2023, 40 % des voyageurs-kilomètres sont réalisés par les TER et Transilien. Mais les disparités territoriales restent fortes, tant dans les contributions par habitant que dans la maturité des projets.
Dans ce paysage en recomposition, l’expérience de Transdev offre des enseignements précieux. Le premier d’entre eux est celui du temps. Le succès d’un appel d’offres ne se joue pas uniquement au moment de l’attribution, mais en amont, dans la préparation minutieuse des lots, la qualité des données transmises, et la clarté des responsabilités. Un calendrier réaliste prévoit 18 à 20 mois pour répondre, et jusqu’à 24 mois pour la montée en puissance avant l’exploitation. Il faut aussi considérer la durée du contrat, généralement de 10 ans, pour amortir les investissements.
Le deuxième enseignement réside dans la structuration même des appels d’offres. Il faut viser des périmètres cohérents, techniquement maîtrisables, avec un parc roulant homogène – une ou deux séries maximum – et un centre de maintenance dédié, intégré à l’exploitation. L’ouverture à la concurrence ne doit pas créer d’asymétrie d’accès aux ressources : l’état des véhicules, la disponibilité des pièces, la transparence des données doivent être garantis à tous les candidats.
La question des coûts ne peut être dissociée de celle de la gouvernance. Il ne s’agit pas seulement de faire baisser les dépenses des Régions, mais de créer un écosystème favorable à l’innovation, à la réactivité, et à la qualité. Cela passe par une organisation décentralisée, ancrée dans les territoires, avec des structures capables d’ajuster la maintenance en fonction des contraintes d’exploitation. Il faut sortir d’une logique industrielle rigide, centralisée, pour épouser celle d’un service public de proximité, modulable, sobre, et frugal dans ses outils numériques.
Le capital humain joue aussi un rôle clé. Transdev met en avant un modèle où les agents sont formés, responsabilisés, impliqués dans la production. Sur la ligne Marseille-Nice, cinq écoles de conduite ont été ouvertes, avec un taux de réussite de 70 %. Plus de 80 agents ont été formés à la sécurité et à la relation voyageurs. Cette dynamique de qualification s’accompagne d’une politique de valorisation du métier, fondée sur le goût du travail bien fait et la fierté d’un service public moderne.
Enfin, il faut savoir faire du sur-mesure. Les attentes d’un territoire rural comme le Nord-Côte Vermeille ne sont pas celles de l’axe Marseille-Nice. Là où le premier mise sur une desserte cadencée, ancrée dans la mobilité du quotidien, le second nécessite une offre interurbaine dense, avec services à bord et montée en gamme. Cette capacité à ajuster finement l’offre est ce qui permet, in fine, de conjuguer performance économique et satisfaction des usagers.
Les premiers résultats observés sont prometteurs. Sur la ligne Marseille-Toulon-Nice, l’offre a doublé à coût constant, avec des trains ponctuels à 97,5 %. Dans les Hauts-de-France et les Pays de la Loire, des gains de 20 à 25 % ont été enregistrés pour les lignes réattribuées à SNCF Voyageurs – preuve que la mise en concurrence, même sans changement d’opérateur, génère une dynamique vertueuse.
L’ouverture à la concurrence n’est donc pas un aboutissement, mais une méthode. Une méthode exigeante, rigoureuse, qui nécessite une montée en compétences des AOM, une confiance mutuelle entre les acteurs, et une capacité collective à sortir des sentiers battus. Si elle est bien conduite, elle peut transformer durablement le ferroviaire régional français, en le rendant plus efficace, plus proche, et plus équitable. À condition, bien sûr, de prendre le temps d’apprendre, d’écouter, et de construire.
Noémie Rochet