A l’Assemblée nationale, la droite et l’extrême-droite, rejointes par LFI et certains élus de la majorité, ont choisi de supprimer purement et simplement les zones à faible émission. Un dispositif certes imparfait, insuffisamment accompagné, mais qui a le mérite de s’attaquer à un fléau de la pollution atmosphérique à l’origine chaque année en France de 40 000 décès prématurés.
C’est un coup de canif de plus dans l’arsenal environnemental et climatique. Examinant en plénière, mercredi 28 mai, le projet de loi de simplification de la vie économique, les députés ont voté par 98 voix contre 51 la suppression – déjà approuvée en commission – des zones à faible émission.
Désormais, la survie de ce dispositif instauré en 2021 pour se conformer à une directive européenne visant l’amélioration de la qualité de l’air ne tient plus qu’à un fil. L’Assemblée nationale doit encore voter le texte dans sa globalité, avant qu’il ne fasse l’objet d’une commission mixte paritaire avec les représentants des deux chambres.
Une fois passées ces ultimes étapes, il ne resterait plus qu’un recours pour les partisans des ZFE : saisir le conseil constitutionnel pour qu’il invalide les amendements de suppression, portés par le RN et par LR, au motif qu’ils constituent un cavalier législatif, en d’autres termes, qu’ils n’ont rien ou si peu à voir avec les objectifs initiaux du projet de loi.
Compromis ou compromission ?
L’exécutif avait certes déposé un amendement de compromis – pour ne pas dire de compromission – consistant à circonscrire les zones à faible émission aux seules métropoles enregistrant régulièrement des dépassements de seuil de pollution atmosphérique définis par l’Organisation mondiale de la santé, et tenues à ce titre de prendre des mesures d’interdiction, autrement dit à Paris et Lyon (1). Il avait aussi, quelques jours avant le vote, fait savoir que le dispositif de leasing social nouvelle mouture, attendu pour l’automne (la fameuse « voiture électrique à 100 € par mois ») réserverait 10% des 50 000 véhicules à des foyers contraints de se rendre à l’intérieur de ZFE dans un cadre professionnel. Mais cela n’a pas suffi à infléchir la position des députés de droite et d’extrême droite, rejoints par les rangs de LFI, de même que par quelques élus Renaissance.
Il est vrai que même parmi les ministres, tous n’ont pas joué la même partition. Tandis qu’Agnès Panier-Runacher, chargée de la transition écologique, tentait de sauver les meubles, son homologue aux transports Philippe Tabarot concédait, au lendemain du vote terminé, au micro de CNews et Europe 1 : « Je ne vais pas vous dire aujourd’hui que je pleure. »
« Exclusion sociale », « séparatisme », « délires écolos »
Sans surprise, dans l’hémicycle ont fusé une nouvelle fois les expressions « exclusion sociale », « séparatisme », « sentiment d’inégalité » ou encore « délires écolos »… Au fil des mois, les ZFE sont devenues l’incarnation de ce qu’aucuns nomment l’« écologie punitive ».
Faut-il y voir uniquement le signe d’une empathie envers les foyers les plus modestes, incapables de s’équiper en véhicules propres, financièrement inaccessibles ? La crainte de voir s’embraser de nouveau les ronds-points des lointaines périphéries ? Ou bien, entre démagogie et cynisme, l’opportunité de pousser dans le fossé la majorité et la gauche modérée ?
Un volontarisme insuffisant en matière de transports en commun
Certes, ce dispositif aurait dû aller de pair avec des mesures d’accompagnement bien plus volontariste, avec un surcroît d’investissement bien plus conséquent dans les réseaux de transports en commun et autres mobilités douces, comme autant d’alternatives crédibles à une voiture individuelle qui aujourd’hui totalise 9 déplacements sur 10. Certes, les ZFE ont pu apparaître – notamment pour les professionnels du transport amenés à passer d’une métropole à l’autre – comme une construction complexe, tenant largement à un principe de subsidiarité : c’est aux collectivités concernées – peuvent-elles s’en plaindre ? – de déterminer leur champ d’application et leur calendrier, qu’elles ont, pour beaucoup, réaménagé (2).
Mais peut-on vraiment, pour discréditer les zones à faible émission, parler de « punition », quand ce dispositif vise à combattre une pollution de l’air et notamment des particules fines qui, selon Santé publique France, causent chaque année 40 000 décès prématurés (cancers, maladies respiratoires et cardiaques, AVC, etc. ? Une hécatombe dont sont victimes aussi les Français les plus modestes, contraints d’habiter à proximité de grands axes pollués.
Les ZFE n’ont rien, ou n’avaient rien, d’une solution miracle. Et lutter contre la pollution atmosphérique commande aussi de s’intéresser de près à d’autres activités humaines comme les chantiers BTP, l’industrie et le chauffage. Même à Paris, le chauffage au bois génère davantage de particules fines que le trafic routier. Pour autant, ce dernier demeure la principale source de dioxyde d’azote.
Pour Airparif, c’est acquis : les ZFE contribuent à l’amélioration de la qualité de l’air. En 2023, la diminution a atteint 42 % par rapport à 2017. « Sans la mise en place de la ZFE, cette baisse n’aurait été que de 36 % », souligne par exemple l’organisme de mesure. Et l’interdiction des véhicules Crit’Air 3 depuis le premier janvier devrait, selon lui, se traduire par un recul supplémentaire « de 2,2 % du nombre de décès prématurés dus à la pollution de l’air et de 5,2 % de celui des nouveaux cas d’asthme chez l’enfant ».
Faut-il dès lors se passer ces ZFE ? Ou bien aurait-il fallu le rendre plus opérant, en accompagnant véritablement sa mise en place… et en imposant des contrôles effectifs comme l’ont d’autres métropoles européennes ? En 2025, à l’heure du populisme triomphant et d’une post-vérité qui fait fi des enjeux de santé publique, cette question semble hélas bien impertinente.
Pierre Sugiton
- A part elles, seules deux autres métropoles, Montpellier et Grenoble, interdisent, de leur proche chef, l’accès aux véhicules classés Crit’Air 3, 4 et 5. Les ZFE destiné à s’appliquer à terme à toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants.
- Parmi les métropoles de plus de 150 000 habitants, celles confrontées à des dépassements de seuil occasionnels sont contraintes uniquement d’exclure les véhicules non classés (les voitures à essence de plus de 20 ans et les diesel vieux d’au moins 15 ans)