« Biométhane et gaz verts : Les clés pour une décarbonation durable d’ici 2050 »
Mobily-Cités : Quelle est votre vision sur ce qui a été accompli par la filière au cours des dix dernières années ?
Jean-François Delaitre : Le biométhane et les gaz verts restent les seules énergies renouvelables matures pour à la fois décarboner le secteur agricole et atténuer le changement climatique. Là-dessus, je n’ai pas d’inquiétude, à condition que les énergéticiens et les administrations s’accordent sur le mix énergétique. Les agriculteurs ont montré que, lorsqu’il y avait des politiques énergétiques claires, en l’occurrence les politiques liées au biométhane, et que ces politiques étaient bien définies pour s’engager dans ces filières, ils étaient capables de monter des projets, de les construire malgré les recours, et d’aller au-delà des engagements de la loi de Programmation Pluriannuelle de l’Energie (12 TWh pour 6 TWh attendus).
Quelles sont les principales difficultés et priorités pour la filière du biométhane à l’horizon 2030, 2040 et 2050 ?
Pour 2030, il nous manque encore de la clarté, de la flexibilité, ainsi que des mécanismes intelligents pour restaurer la confiance des agriculteurs, dans un contexte où les énergéticiens manifestent un intérêt croissant pour le biométhane. En revanche, mes inquiétudes concernent davantage 2040 voire 2050, en raison des incertitudes liées à la disponibilité de la biomasse. Il est essentiel de définir des bonnes pratiques et des modèles adaptés : quels types de décarbonation souhaitons-nous, et sur quels territoires ? Nous devons également évaluer ce qui est acceptable en termes de rentabilité, comment répartir la production, et comment assumer la décarbonation collective.
Les filières agricoles doivent réaliser leur transition et, à terme, être capables de gérer et d’orienter la biomasse de manière efficace, afin que les agriculteurs puissent s’engager dans de nouveaux projets en toute sérénité.
Comment l’AAMF soutient-elle et aide-t-elle les agriculteurs qui veulent se lancer dans des projets ?
L’AAMF est ouverte à tous, fidèle à l’esprit du monde agricole. Depuis toujours, nous avons mis en avant nos actions et accompagné les porteurs de projets, qu’ils aient déjà un site de méthanisation ou qu’ils soient en phase d’initiation. Pour structurer le développement des gaz verts sur le territoire, l’AAMF s’appuie sur des associations régionales et se rapproche du terrain grâce à des schémas directeurs, en collaboration étroite avec les collectivités locales. Cette approche nous a permis de structurer les enjeux à l’échelle régionale, tout en répondant aux besoins spécifiques de chaque territoire.
Avez-vous développé des sessions de formation pour les agriculteurs ou est-ce relativement simple ?
Des sessions de formation sont d’ores et déjà en place et se développent à un rythme soutenu. Toutefois, les besoins se situent davantage sur des aspects pratiques et techniques, tels que la maintenance des installations, la formation des salariés ou encore l’attraction de nouveaux talents pour nos sites. Pour répondre à ces défis, nous travaillons en étroite collaboration avec les lycées agricoles, afin de sensibiliser et former les jeunes aux nouveaux métiers, tout en les préparant aux problématiques et enjeux émergents de la filière.
Le complément de revenu de la méthanisation va-t-il être nécessaire pour les agriculteurs ?
À mes yeux, il ne s’agit pas simplement d’un complément de revenu, mais bien plus que cela. Pour les agriculteurs désireux de produire des cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE) et du digestat, ce complément de revenu sera variable en fonction des situations, et pourra se traduire par des rémunérations en euros ou par des contributions à la décarbonation.
Cependant, pour les agriculteurs méthaniseurs comme nous, la méthanisation représente bien plus qu’une simple source de revenus additionnels : c’est un véritable métier à part entière. Nous sommes en droit d’attendre des revenus provenant de cette activité. Pour que la méthanisation agricole puisse exister demain, elle doit bénéficier d’une reconnaissance et d’une représentativité à la hauteur de son potentiel, sans pour autant être perçue comme moins performante que les grands groupes énergétiques.
Des associations capitalistiques entre agriculteurs et transporteurs sont-elles possibles ?
Oui, des associations capitalistiques entre agriculteurs existent déjà. L’ouverture du monde agricole à d’autres acteurs est une réalité. En ce qui concerne les relations avec les transporteurs, elles dépendront de la capacité à instaurer un rapport de force équilibré, fondé sur la confiance, et de la production d’une énergie sur le long terme.
Nous, agriculteurs, avons besoin de garanties de l’État ou d’autres systèmes qui sécurisent la viabilité à long terme de nos projets, car il est difficile de s’engager dans des investissements de l’ordre de 8 millions d’euros sans avoir cette assurance. En revanche, il est tout à fait envisageable de mettre en place des mécanismes capitalistiques qui permettent de regrouper des volumes de production, afin de rassurer les transporteurs sur la disponibilité d’une énergie stable et durable, qui leur permettra de faire évoluer leurs flottes et leurs pratiques.
Quels sont les rapports entre l’AAMF et les collectivités territoriales ?
Nous avons des relations directes et permanentes avec les collectivités territoriales sur nos sites, qu’il s’agisse des mairies, des communautés de communes ou des départements. Nous travaillons également avec l’Association des maires de France (AMF) au niveau national, ainsi qu’avec les fédérations de collectivités, pour sensibiliser à la question de l’acceptabilité des projets. Notre objectif est de réfléchir collectivement afin que le gaz vert ne soit pas exclusivement destiné aux industriels ou à l’exportation internationale, mais qu’il irrigue également le territoire local.
Les collectivités locales doivent pouvoir bénéficier des retours sur les investissements réalisés dans ces infrastructures.
Pensez-vous pourvoir développer davantage vos collaborations, notamment en ce qui concerne les flottes de cars scolaires ou les flottes des collectivités ?
C’est plus compliqué de monter des projets capitalistiques avec des collectivités territoriales, ou avec les transporteurs qui gèrent les services scolaires. À la sortie de nos sites, il se crée des garanties d’origine, ainsi qu’une image verte que nous ne maîtrisons pas totalement, et qui est difficile à flécher précisément. Lorsque l’on souhaite créer un lien entre un territoire, un producteur et un utilisateur, il faut que cela soit plus fluide, avec davantage de transparence et de capacités d’action.
Il serait nécessaire qu’au niveau national, il y ait une véritable reconnaissance du BioGNV, notamment en ce qui concerne son potentiel de décarbonisation. Aujourd’hui, les signaux politiques sont trop faibles pour donner pleine confiance à ceux, comme moi, qui sont enthousiastes à l’idée de développer cette filière. Nous restons quelque peu en retrait, non pas parce que nous attendons un soutien financier, mais bien parce que nous attendons des garanties de l’État, des assurances sur le fait que ce carburant sera reconnu comme une solution durable à long terme.
Pensez-vous que la préemption des garanties d’origine par les collectivités puisse constituer un nouveau levier ?
Oui, mais les conditions actuelles sont encore trop contraignantes. Pour que cela fonctionne véritablement, il est essentiel que la collectivité s’engage pleinement, à 100 %, dans le projet. Cependant, les défis posés par les règles européennes en matière de libre concurrence ajoutent une complexité supplémentaire à la situation. L’un des atouts des contrats d’État repose sur leur clarté, leur transparence et leur équilibre. Mais demain, avec des contrats conclus de gré à gré, les producteurs devront être mieux préparés sur le plan juridique. En effet, ces contrats impliquent un engagement fort, que ce soit en termes de volume, de qualité ou de sécurité, pour répondre aux attentes des utilisateurs.
Comment le bioGNV contribue-t-il à l’économie circulaire ?
Pour un producteur de biométhane, l’une des principales difficultés réside dans la diffusion de l’information : le fonctionnement du réseau de gaz n’est pas toujours bien compris, et il peut s’avérer complexe d’aborder la question du BioGNV à l’échelle locale. Afin de surmonter ces obstacles, il est impératif de réunir autour d’une même table les différents acteurs concernés, notamment les transporteurs, avec qui les échanges restent trop sporadiques.
Pour valoriser pleinement le biométhane et répondre aux besoins spécifiques de chaque acteur, il est crucial que les problématiques soient exposées de manière transparente et coordonnée. Ce n’est qu’avec un partage intelligent des valeurs et des objectifs que l’on pourra instaurer une véritable économie circulaire, où les ressources seront optimisées et les bénéfices équitablement partagés.
Propos recueillis par Pierre Lancien