« Gares routières : Un défi national d’intermodalité »
Mobily-Cités : Comment la FNTV perçoit-elle l’état actuel des gares routières en
France ?
Ingrid Mareschal : Lors du congrès de la FNTV, le 17 octobre dernier, le nouveau ministre en charge des Transports, François Durovray, a fait un constat juste en qualifiant les gares routières de « l’angle mort des politiques publiques de transport ». Cette remarque met en lumière un problème majeur de l’aménagement du territoire, souvent négligé dans les stratégies de mobilité.
Ce sujet n’est pas nouveau pour la FNTV, qui s’y intéresse depuis longtemps. En 2015 déjà, la fédération avait publié un guide sur les gares routières, accompagné d’une enquête et de constats visant à améliorer et moderniser l’ensemble du réseau.
À l’époque, les infrastructures étaient souvent jugées insuffisantes, et de nombreuses gares manquaient de connexions avec les réseaux de transport urbains. Aujourd’hui, alors que la mobilité multimodale devient une priorité, il est encore plus crucial que ces gares soient bien connectées aux autres modes de transport, notamment les bus, trams ou trains des agglomérations. Une gare routière isolée, mal reliée aux transports lourds, complique en effet l’intermodalité pour les passagers. Il est indispensable de garantir des caractéristiques minimales dans ces infrastructures pour accueillir les conducteurs et les passagers dans des conditions optimales.
Quels sont, selon vous, les principaux défis liés à la gouvernance des gares routières en France ?
Tout d’abord, Il convient de distinguer deux types de gares routières. Celles qui desservent des lignes régulières, notamment en région, et celles qui accueillent les services librement organisés, souvent appelés « cars Macron ».
En 2015, la loi dite « Macron » portée par Emmanuel Macron alors ministre de l’Économie, a permis le développement des « cars éponymes ». Dès le départ, il était clair que le succès de ces lignes dépendrait du développement et de la modernisation des gares routières. Plusieurs réunions avaient été organisées avec les acteurs du secteur pour discuter des enjeux de gouvernance et de financement.
Le problème majeur auquel nous étions confrontés à l’époque, et qui persiste aujourd’hui, est qu’en France, la gestion de ces infrastructures est fragmentée. Certaines gares sont gérées par des opérateurs privés, tandis que d’autres sont sous la responsabilité des collectivités locales, et cela à différents niveaux (communes, intercommunalités, etc.). Ce manque de cohérence rend difficile la coordination et le développement des gares routières à l’échelle nationale.
François Durovray, qui connaît bien ces problématiques, envisage de légiférer pour unifier la gouvernance des gares routières. L’idée serait de désigner un chef de file, potentiellement au niveau régional, pour prendre en main la gestion et le développement de ces infrastructures. Une telle initiative pourrait enfin permettre aux gares routières de répondre aux besoins croissants des passagers et des transporteurs.
Le modèle économique des gares routières est-il viable ?
Il existe effectivement un modèle économique pour les gares routières, puisque les opérateurs de transport payent des frais de « toucher de quai » pour utiliser les services de ces infrastructures. Le véritable problème ne réside pas dans l’absence de modèle économique, mais plutôt, je le répète, dans le manque de gouvernance unifiée. Par exemple, les gares routières qui desservent des lignes régulières sont souvent en bon état, bien gérées, généralement par les agglomérations ou les communes. La situation est beaucoup plus complexe pour les gares routières desservant les SLO. Les infrastructures ne permettent pas aujourd’hui de fournir un service pleinement satisfaisant aux passagers en grande partie à cause de l’absence d’une gestion cohérente et coordonnée à l’échelle nationale.
Cela dit, certaines collectivités commencent à s’emparer de cette problématique. Par exemple, Bordeaux a récemment modernisé sa gare routière, et d’autres initiatives locales ponctuelles émergent et en l’absence d’infrastructures dédiées, la plupart des transporteurs continuent d’utiliser les gares et parkings SNCF.
Une intervention des pouvoirs publics est-elle nécessaire à une amélioration ?
Nous avons perdu de nombreuses années en l’absence de coordination entre les différentes autorités compétentes et rattraper le retard accumulé prendra du temps. Mais, Il est certain que si une gouvernance unifiée pouvait être mise en place, cela ouvrirait la voie à la création d’infrastructures plus adaptées. Une loi sur la gouvernance des gares routières pourrait permettre de s’assurer que les services de transport soient bien intégrés dans les pôles d’échanges multimodaux, favorisant ainsi une meilleure intermodalité.
Pourquoi la fermeture de la gare routière de Bercy est-t-elle un enjeu majeur pour le secteur du transport longue distance, et quels problèmes de gouvernance ont été mis en évidence dans ce dossier ?
L’annonce brutale, l’année dernière, par les élus parisiens de la fermeture de la gare a surpris tout le monde. Pourtant, c’est la Ville de Paris qui avait initialement demandé aux opérateurs de s’installer à Bercy, notamment après la fermeture de la gare de la Porte Maillot en 2017. Aujourd’hui, la ville exige leur départ, sans consultation préalable.
Je tiens à rappeler que la gare routière de Bercy est emblématique des défis que rencontrent les gares routières en France. Gérée par une collectivité, en l’occurrence la Ville de Paris, cette gare est pourtant un hub majeur pour les services longue distance en provenance de toute l’Europe. Elle joue un rôle crucial au niveau national et international, pourtant elle est soumise aux décisions d’une seule collectivité, ce qui souligne un manque de cohérence dans la gouvernance.
C’est précisément ce qui pousse les acteurs du secteur, notamment l’Autorité de Régulation des Transports (ART) à se saisir de cette problématique. Elle cherche à établir un constat objectif et à trouver des alternatives à la fermeture prévue de la gare. Il est en effet incohérent qu’une infrastructure aussi importante pour le transport international soit à la merci d’une seule collectivité locale.
Ce manque de gouvernance unifiée se reflète aussi dans l’état déplorable de la gare, qui se détériore d’année en année. Les services offerts aux opérateurs, aux conducteurs et aux passagers sont insuffisants et ne justifient pas les coûts élevés imposés aux utilisateurs. La société en charge de la gestion de la gare pour la Ville de Paris est souvent pointée du doigt pour sa gestion jugée catastrophique.
Heureusement le calendrier évolue. Les opérateurs ont démontré qu’un déménagement nécessitait au moins 18 mois pour organiser les services internationaux, obtenir les autorisations nécessaires, et informer les clients. Nous parlons maintenant d’un échéancier plutôt situé fin 2025, voire au-delà…
Quel scénario privilégie la FNTV pour relocaliser la gare routière de Bercy ?
L’établissement de Plaine Commune a manifesté son intérêt pour accueillir ces activités à l’horizon 2028-2030 à Saint-Denis Pleyel. En attendant cette échéance lointaine, il est essentiel de maintenir un point d’accueil à Paris intra-muros ou en périphérie immédiate. François Durovray a exprimé sa volonté de garder une telle option dans Paris, ce qui est encourageant pour nos activités. Nous avons donc demandé à la Ville de Paris de ne pas interrompre l’activité de la gare routière avant qu’une alternative viable soit en place, afin d’éviter une rupture préjudiciable pour les opérateurs. Soutenu par notre ministre, nous avons toutes les raisons d’être confiant.
Propos recueillis par Pierre Lancien