A Lille, c’est Dallas !

23 06 2025 | Actualités

A Lille, c’est Dallas à cause d’un métro qui déraille depuis 10 ans. La Métropole, Alstom et Keolis se livrent de façon chronique à une guérilla en raison du fiasco technique du doublement des capacités de ligne 2 qui, au fil du temps, prend toujours un peu plus d’ampleur.

Alors que le système aurait dû être livré en 2016, la tension vient encore de monter d’un cran après deux pannes informatiques carabinées subies par les Lillois. Le métro a été coupé 72 heures du 15 au 17 mai, rebelotte le 24 mai alors que des milliers de personnes se rendaient et rentraient d’un concert de Bruce Springsteen.

Le 13 juin, les élus de la Métropole européenne de Lille ( MEL) ont alors tapé du poing sur la table, sommant le constructeur Alstom et l’exploitant Ilevia (c’est-à-dire Keolis) de ne plus recommencer, en tout cas de mieux gérer ces incidents sous peine d’« utiliser l’ensemble des leviers contractuels à sa disposition, y compris l’application stricte des pénalités prévues en cas de nouveaux manquements graves. »

Cette menace s’apparente toutefois à de la gesticulation, car « la MEL est arrivée au plafond contractuel des pénalités qu’elle peut infliger à Alstom » à en croire un acteur du dossier. En janvier 2024, le tribunal administratif de Lille a en effet retoqué la demande de la MEL qui souhaitait imposer au constructeur du métro une nouvelle rasade de pénalités au titre, non plus des retards de livraison mais de leurs impacts néfastes sur le fonctionnement du réseau. Las, le contrat est muet sur ce risque, il n’était pas prévu ! En revanche, l’incapacité d’Alstom à livrer comme prévu son système de métro automatique lui a déjà valu 47 millions d’euros de pénalités. « C’est toujours compliqué d’implanter un nouveau système de métro automatique à la place d’un système ancien » se défend Henri Poupart-Lafarge, le directeur général du constructeur.

On pourrait imaginer les rapports entre l’autorité organisatrice et l’opérateur moins exécrables, Keolis ayant été reconduit avec un nouveau contrat qui a débuté en 2025. Une reconduction sans surprise toutefois faute de candidats. On n’attire pas des mouches avec du vinaigre. Transdev et RATP Dev n’avaient aucun intérêt à mettre les pieds dans le bourbier lillois. Il n’empêche, les deux parties ont aussi rendez-vous devant le tribunal administratif, Keolis ayant assigné la MEL en juillet 2024.

L’existence de ce contentieux vient de fuiter, « à un moment où les discussions entre la MEL et Keolis sont tendues » remarque une des parties prenantes. L’opérateur réclame de l’argent à la MEL qui, estime-t-elle, n’a pas couvert correctement la hausse de la facture d’électricité et de gazole. Il faudra plusieurs mois avant que les juges se prononcent mais on peut lire cette action comme un coup de semonce par rapport au problème global. Le groupe dirigé par Marie-Ange Debon reproche à la MEL de lui faire payer les dysfonctionnements d’Alstom. « On est censé exploiter un métro qui fonctionne » plaide le groupe dont la filiale lilloise a perdu plus de 20 millions d’euros ces dernières années, en grande partie en raison des pénalités. Début 2025, pour faire baisser le mécontentement de la population excédée, l’autorité organisatrice a annoncé la redistribution aux abonnés de 4 millions d’euros de pénalités acquittées par Ilevia.  

La métropole cherche-t-elle à redorer son blason ? Certitude, l’exécutif lillois est pieds et poings liés Alstom avec qui il s’est marié pour le meilleur et pour le pire en 2012 en lui passant commande pour 260 millions d’euros de 27 rames avec le système de pilotage automatique. Effectué sous pression politique et syndicale, ce choix fait polémique. Pourtant moins chère de 10 millions d’euros, l’offre de Siemens est écartée par la commission transport de la MEL, présidée par l’écologiste Éric Quiquet. Le constructeur allemand peut également faire valoir un solide bagage technique en matière de métro automatique. N’a-t-il pas racheté Matra le concepteur du VAL circulant à Lille ? A l’inverse, Alstom part alors de zéro. Difficile de réécrire l’histoire et d’assurer que tout irait aujourd’hui comme sur des roulettes si la MEL toujours présidée par Damien Castelain avait décidé autrement.

Difficile à l’époque d’imaginer une situation aussi kafkaïenne. On n’est pas à l’abri d’une surprise. Quoiqu’en conflit ouvert avec son constructeur, en décembre 2024, la MEL a récompensé Alstom d’un nouveau contrat d’achat de 15 nouvelles rames pour plus pour 210 millions d’euros au détriment de Siemens. Une dépense imprévue qui s’explique facilement. A l’origine, la MEL prévoyait de prolonger la vie des rames de la ligne 2 – où le nouveau matériel doit prendre place – en les réemployant sur la ligne 1 dont les métros sont à bout de souffle. Mais la relève n’arrivant pas, tout ce plan est tombé à l’eau comme les naufragés du Titanic. 

Marc Fressoz

 

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