!Bruxelles a parfois l’art des annonces feutrées qui cachent de grands basculements. Le 5 novembre, la Commission européenne a dévoilé un nouveau plan d’action pour la grande vitesse, avec une idée simple mais ambitieuse : faire du rail l’ossature des mobilités européennes. Depuis trop longtemps, la grande vitesse circule par morceaux, comme un puzzle dont personne ne prend vraiment le temps d’assembler les pièces.
L’Europe connaît pourtant ses forces : la France et ses LGV pionnières, l’Espagne et son réseau tentaculaire, l’Italie et son modèle concurrentiel devenu une référence. Mais entre chaque pays, tout se délite : les vitesses changent, les normes divergent, les frontières techniques surgissent. Le continent avance vite, mais jamais ensemble.
Le plan présenté par la Commission veut rompre avec cette géographie disloquée. Huit grands corridors ont été désignés comme prioritaires. On y retrouve la diagonale Paris–Bruxelles–Amsterdam–Berlin–Varsovie, ou encore la ligne alpine Lyon–Turin–Milan–Vérone : des axes qui, une fois modernisés, pourraient devenir les nouvelles autoroutes ferroviaires du continent. L’ambition n’est pas seulement d’améliorer l’existant, mais de créer des continuités, là où les ruptures — techniques, politiques, historiques — ralentissent encore les trains.
Derrière cette volonté, une bataille se dessine : celle contre l’avion. Car l’Europe veut réduire ses vols court et moyen-courriers, fossiles d’un modèle devenu intenable. Pour cela, elle doit offrir mieux : des trains rapides, réguliers, lisibles, capables de relier les grandes métropoles sans que le voyageur ne sente le poids des frontières. Rivaliser avec l’avion ne se joue pas seulement en minutes gagnées, mais en simplicité, en fluidité, en évidence.
Reste la question du financement, immense, structurante. Construire ou moderniser des lignes à grande vitesse demande des dizaines de milliards. Bruxelles alloue ses fonds, la BEI prête, mais les États devront suivre.
La Commission l’assume : oui, cela coûtera cher. Mais ne rien faire coûtera davantage. Car sans grande vitesse, pas de transfert modal. Et sans transfert modal, pas d’Europe climatique crédible !
Ce plan n’est pas un programme technique : c’est la tentative de recoudre un continent qui a longtemps laissé ses rails s’arrêter aux postes-frontières. Une Europe des trains rapides, c’est une Europe qui se parle, qui se visite, qui se traverse. Une Europe qui choisit, enfin, de se relier autrement.
La grande vitesse n’est pas qu’une question d’infrastructures. C’est une manière de réduire les distances sans effacer les paysages, d’inventer une autre façon d’habiter l’Europe en mouvement.
Pierre Lancien



