Theurier Matthieu
Matthieu Theurier
Vice-président délégué à la mobilité et aux transports, Rennes Métropole

« Accélérer vers une culture des usages »

Après l’ouverture de sa seconde ligne de métro, qui place désormais une majorité de Rennais à 10 minutes d’une station, la métropole de quelque 500 000 habitants va passer à l’étape suivante : mieux desservir les communes périphériques, comme l’explique le vice-président, Matthieu Theurier. L’autorité organisatrice attend du prochain délégataire du réseau Star (exploité par Keolis jusqu’à fin 2024) qu’il dynamise les modes doux et actifs, le covoiturage, etc.

Propos recueillis par Marc Fressoz

Mobily-Cités : En septembre 2022, Rennes a mis en service sa deuxième ligne de métro automatique sur pneu, qui connaît un succès de fréquentation. N’est-il pas déjà trop petit avec son gabarit et ses deux voitures par rame ?

Matthieu Theurier : Je ne suis pas sûr ! On avait estimé le trafic au démarrage à 70 000 voyages par jour, aujourd’hui on est un peu au-dessus, autour de 80 000 et on avait prévu d’atteindre 90 000 voyages en 2025 sachant que cette ligne est calibrée pour 140 000 voyages, un seuil qui devrait être atteint en 2040. On ne peut pas dire que nous ayons prévu trop petit. N’oublions pas qu’on a la possibilité avec ce NéoVal de venir ajouter une voiture, les stations étant dimensionnées pour accueillir des rames allongées. Avec un tel dispositif, on pourra aller jusqu’à 200 000 voyages par jour.

Qu’en est-il du trafic sur la ligne a ?

Avec 145 000 voyages par jour, nous allons arriver au maximum de sa capacité, c’est la raison pour laquelle nous avons lancé un chantier d’augmentation de capacité de cette ligne a, avec des fréquences de passage qui seront nettement améliorées. Les travaux consistent à creuser un tunnel à chaque terminus pour loger 6 ou 7 rames supplémentaires et pouvoir les faire partir à une fréquence augmentée de 25% en 2028.

A quel niveau de trafic le réseau Star est-il revenu par rapport à 2019 ?

On était à 92% avant l’ouverture de la ligne b, et avec l’ouverture de celle-ci, on est à 120% ce qui est à peu près conforme aux prévisions.

Dans les années 1980, Rennes a été la première ville moyenne à vouloir un métro, et le débat a été vif avec les partisans d’un tram. Qu’est-ce que cela vous inspire aujourd’hui ?

En 1989, quand il a fallu faire le choix entre un tramway et le métro, il y a en effet eu un débat assez vif avec la droite, mais aussi avec les écologistes qui défendaient le tram, notamment parce que ce mode de transport permettait de desservir la périphérie contrairement au métro. Finalement, tout le monde avait un peu raison : les deux modes de transport sont pertinents. Le métro a permis de desservir le centre, mais il manque un lien avec la périphérie, en dépit de la ligne b. C’est pour répondre à ce besoin que nous allons bientôt mettre en service quatre lignes de trambus, c’est-à-dire de bus à haut niveau de service, avec des fréquences de l’ordre d’un bus toutes les 3 minutes sur le cœur du réseau.

L’actuelle DSP arrive à échéance en 2025. Quelles grandes orientations entendez-vous donner au réseau ?

Il y aura justement la mise en service de ces trambus, qui illustrent un élément de notre priorité politique. Aujourd’hui, dès lors que 75% des Rennaises et des Rennais sont à moins de 10 minutes à pied d’une station de métro, l’enjeu majeur, c’est de continuer à faire grandir l’offre sur la première et la deuxième couronne métropolitaine. Ce sera un des actes forts de la prochaine décennie. Nous avons évidemment posé des jalons, notamment sur les modes actifs, où nous faisons des efforts importants en étant passé de 18€ par an et par habitant à 34€ en investissement sur les infrastructures cyclables. Nous avons vocation à maintenir ce niveau dans les prochaines années.
On attendra donc du futur délégataire des propositions fortes sur les services de vélo. De même, nous souhaitons amplifier les efforts sur le covoiturage. Et enfin le dernier point dans lequel je crois énormément, c’est l’accompagnement au changement de comportement.

Que voulez-vous dire ?

Il nous faut sortir de la culture de l’infrastructure pour rentrer dans une culture des usages. Le Covid nous a montré que le changement d’usage pouvait avoir des effets très forts sur les mobilités et il faut qu’on arrive à reproduire ce changement. Là aussi, nous avons expérimenté un certain nombre de choses mais pour la prochaine DSP, on attendra effectivement du futur délégataire qu’il développe des compétences sur ce sujet-là.

Votre objectif est de verdir 100% de la flotte en 2030 avec 50% de bus électriques et 50% au GNV. Avec la flambée du prix de ces énergies, est-ce le bon choix ?

Le prix des différentes énergies évolue de toute façon dans le même sens. A mes yeux l’électricité offre un énorme avantage, on peut la produire nous-mêmes sur le territoire, ce qui ne sera jamais le cas pour le pétrole. C’est également notre philosophie concernant le gaz, autre énergie qu’on a choisie dans la perspective de la produire sur le territoire, sous la forme de bioGNV. On aura au total une flotte de 600 bus fonctionnant avec ces deux énergies.

Pour ce qui est de modifier les pratiques, que pensez-vous du MaaS ?

Je vois d’abord le MaaS comme un outil d’amélioration du parcours usager. C’est un outil parmi d’autres pour favoriser la fluidité et permettre de passer d’un réseau régional à un réseau métropolitain avec des tarifs et des systèmes de billettique harmonisés. Contrairement à d’autres, la métropole a conservé le même nombre de communes qu’avant la loi NOTRe. Mais nos frontières administratives ne correspondent pas à la réalité des besoins de mobilité des habitants. Mieux articuler le réseau urbain avec les autres et en particulier avec le réseau régional est essentiel. Avec Korrigo, nous avons déjà un outil commun à la région et à la métropole permettant d’avoir un système de billettique assez harmonisé. L’étape d’après sera de réussir à harmoniser aussi nos grilles tarifaires.

Pour certains, les centres urbains bien pourvus en transports qui excluent les voitures alimentent le sentiment d’exclusion des habitants des périphéries. Qu’en pensez-vous ?

Il faut se méfier des discours trop simplistes. Les gens qui vivent à 30 km de leur de travail et sont obligés de faire la navette tous les jours pour venir dans le cœur de la métropole ne représentent que 10% de l’ensemble des déplacements à l’échelle de la métropole de Rennes. Il est donc normal, si on vise la réduction de la part de la voiture, de se concentrer d’abord sur les trajets courts. 65% des trajets sur la métropole de Rennes font moins de 3 km et l’objectif est, sur ces 65% de faire baisser la part de la voiture qui est encore de 45%, en offrant des alternatives. Dès lors qu’on a fait ce travail, on vient aussi libérer la voirie pour les personnes qui n’ont pas d’alternative en transport en commun.
Le deuxième point, c’est que la structure des mobilités n’est pas différente en urbain dense, en périurbain ou en rural. Les parts modales de la voiture sont plus ou moins importantes mais globalement, y compris en secteur très rural, l’essentiel des trajets font moins de 3 km. Si bien que les problématiques étant les mêmes, on peut apporter les mêmes réponses, sauf en matière de transport en commun qui a besoin de densité pour fonctionner. Mais à l’échelle d’une commune de 1000 habitants en secteur rural, on peut établir un plan de déplacement qui favorise les modes actifs. Sur les déplacements pendulaires, quand on peut, il faut des services de transports en commun, mais la voiture restera essentielle et il faut travailler à son optimisation par le covoiturage, faire en sorte que son usage soit fait dans de bonnes conditions.

Le projet de RER métropolitain franchira une étape à la rentrée 2023, en quoi consistera-t-elle ?

C’est un projet que je porte politiquement depuis une dizaine d’années maintenant. On avait fait en 2016 une étude d’augmentation des capacités sur l’étoile ferroviaire rennaise qui nous avait amené à mettre en œuvre un projet partenarial avec la Région et la SNCF baptisé « deux trains sur la même voie ». A l’origine de ce travail d’études, il y avait le constat qu’il fallait défaire le nœud de la gare de Rennes. « Deux trains sur la même voie », c’est un système assez simple qui permet à deux rames de se garer face à face sur un même quai et d’augmenter la capacité. À l’échelle des coûts ferroviaires, l’investissement de 10 M€ a été assez peu élevé. Il permettra en septembre 2023 d’avoir 60 trains supplémentaires par jour, dont une majorité de TER. Nous sommes en discussion avec la Région pour justement voir comment progressivement monter les cadencements des trains sur la desserte de la métropole de Rennes.

Faut-il comprendre que vous avez réglé les questions financières ?

Le sujet financier demeure car la loi LOM n’a pas donné aux régions de capacité financière, elles n’ont pas droit au versement mobilité pour financer ces services. Il est important. C’est deux tiers du financement. L’usager couvrant un tiers du prix de son voyage. Tant que le gouvernement ne remet pas en cause le VM, notre équilibre peut être assuré.

Comment absorbez-vous l’amortissement de la construction du métro et les coûts de fonctionnement ?

Aujourd’hui le forfait de charges c’est-à-dire ce que coûte l’ensemble du réseau de transport en commun (métro, lignes urbaines, lignes métropolitaines, covoiturage et autres services) s’élève à environ 150 M€ par an. Le versement mobilité assure les deux tiers du financement, soit à peu près 120 M€ par an. Et 30 à 35 M€ sont assurés par les recettes commerciales. Cela ne nous empêche pas d’investir à peu près 170 M€ chaque année, incluant l’amortissement du métro et tous les projets de voiries que nous avons : BHNS, voies cyclables, réaménagement de l’espace public en général.

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