Les « cars Macron », dix ans de longs voyages à petits prix

04 09 2025 | Actualités

Il y a dix ans, la loi « Macron » faisait entrer le car en concurrence avec le train, parfois l’avion, en permettant aux opérateurs d’ouvrir librement des lignes régulières et de transporter des passagers d’un point à l’autre de l’Hexagone (1).  Aujourd’hui, deux acteurs, Flixbus et BlablaCar, se partagent ce marché. Quand bien même les gares routières laissent souvent à désirer, le public, attiré par des tarifs très raisonnables, est au rendez-vous, avec en 2024 plus de 11 millions de voyageurs sur les seules désertes domestiques et 16 millions sur les trajets internationaux au départ ou à l’arrivée de la France.  

Il y a pile dix ans, début septembre 2015, Flixbus ouvrait sa première ligne en France, sur l’axe Paris-Clermont-Ferrand. L’entreprise, active Outre-Rhin depuis 2013, lançait ses autocars à l’assaut de l’Hexagone en tirant profit de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances. Entré en vigueur quelques semaines auparavant, ce texte rédigé par un certain Emmanuel Macron, alors en poste à Bercy, était en effet venu libéraliser le transport régulier de passagers sur de longues distances (supérieures à 100 km) entre villes françaises, un secteur longtemps resté la chasse gardée du rail.

Une décennie plus tard, les cars à la très reconnaissable livrée verte font pleinement partie du paysage. En 2024, Flixbus a transporté 12 millions de personnes (60% sur des trajets domestiques, 40% vers ou depuis des destinations étrangères). Et ses cars étaient un millier, cet été, à sillonner les routes de France.

Le géant allemand, présent aujourd’hui dans 45 pays, se présente comme « le seul opérateur historique » sur le marché français. Les autres acteurs apparus dans le sillage de la loi Macron ont en effet disparu. Flixbus a lui-même absorbé Eurolines, ainsi qu’Isilines, filiale de Transdev. Quant à IDBus, lancé par la SNCF, qui l’a rebaptisé Ouibus, il a fini par être racheté, remanié et remis à flot par le spécialiste du covoiturage Blablacar.

Un modèle basé sur la sous-traitance

Le résultat de cette consolidation, accélérée par la pandémie de Covid, c’est l’apparition en France, en 2019, d’un quasi-duopole dominé par Flixbus, qui contrôle les deux-tiers du marché. Exit le modèle IDbus, avec des chauffeurs et une flotte de véhicules gérés en propre. Flixbus comme Blablacar recourent très largement à de la sous-traitance.

« Notre modèle est assez light », résume Charles Billiard, le porte-parole de Flixbus. Nous faisons ce qu’on sait faire de mieux : proposer une plateforme de réservation pour des trajets que nous déterminons, gérer le trafic en temps réel, assurer le service aux clients. En revanche, nous confions la conduite et la gestion de la flotte à une cinquantaine d’autocaristes partenaires répartis sur le territoire français. »

Associé à la souplesse intrinsèque du transport routier, qui contrairement au train n’a pas besoin d’infrastructures spécifiques de bout en bout, ce mode de fonctionnement permet à Flixbus et à Blablacar de s’adapter à la demande, en ouvrant régulièrement de nouvelles destinations et en fermant certaines dessertes qui ne trouvent pas leur public.

Ajuster en permanence l’offre à la demande

Il permet aussi et surtout d’ajuster l’offre suivant la saisonnalité. « Lors des pics saisonniers, le nombre de nos autocars est huit fois supérieur à celui enregistré dans la période la plus creuse », indique Aurélien Gandois, vice-président de Blablacar Bus. Une flexibilité qui n’est pas pénalisante pour les sous-traitants, assure-t-il. Car la forte demande observée l’été est absorbée avec l’aide d’autocaristes qui le reste de l’année mettent leur conducteurs et leurs véhicules au service du transport scolaire.

Cette stratégie semble porter ses fruits. Blablacar affichait en 2024, pour son activité autocars, un chiffre d’affaires de 115 millions d’euros, deux fois supérieur à celui de 2019. « Notre marge est de l’ordre de 10% », assure Aurélien Gandois. De son côté, Flixbus, qui ne rend pas public ses résultats pour la France, affirme également être « rentable ».

« L’équation économique demeure néanmoins complexe et hormis sur les trajets les plus demandés, il n’y a guère de place pour deux acteurs », considère l’économiste Yves Crozet. Le car mise beaucoup sur un public qui entend payer nettement moins cher que s’il se déplaçait en train. « La clé de la rentabilité réside donc dans le taux de remplissage », analyse cet expert. Un taux de remplissage qui, chez Blablacars avoisine, selon Aurélien Gandois, les 65% (contre en moyenne, l’an dernier, 51 % dans les trains et 75% pour la seule grande vitesse).

Il faut néanmoins nuancer l’idée d’un arbitrage systématique à faire entre le car et le rail. « Environ 70% de nos cars ne passent pas par Paris, alors que le réseau ferré est très largement organisé en étoile autour de la capitale », reprend le vice-président de Blablacar Bus. Même stratégie chez Flixbus. Charles Billiard cite en exemple « la ligne Grenoble-Brest, qui dessert une douzaine de villes en passant par le centre de la France ».

6 euros en moyenne pour 100 kilomètres

Côté tarifs, le match entre rail et route est le plus souvent vite plié : il faut compter 6 euros en moyenne pour 100 kilomètres parcourus en car, contre 19 euros si on prend le train, même si Ouigo et sa déclinaison classique (d’antiques Corail repeints en rose) offrent également des billets à prix mini, comme des Paris-Rennes à 10 €, des Paris-Strasbourg à 16€, avec de surcroît un tarif fixe à 5 € pour les enfants.

Il faut aussi garder en tête le fait que pour maximiser remplissage et profit, les acteurs du car comme ceux du train recourent à la tarification dynamique, le fameux yield management apparu d’abord dans l’aérien. L’écart de prix entre deux places vendues dans un même car grimpe parfois de 1 à 4.  

Une chose est sûre, en tout cas, pour le sociologue Eric Le Breton, « les « cars Macron » – comme le covoiturage – ont « solvabilisé toute une partie de la population, des étudiants, des migrants, des jeunes actifs ». Ce chercheur va plus loin : « Paradoxalement, c’est le capitalisme numérique et ses plateformes qui sont venus apporter une réponse sociale au désir, au besoin de mobilité. »

Cette conquête se fait souvent au prix de temps de trajet à rallonge (comptez plus de 10h pour effectuer les 780 kilomètres qui séparent Paris de Marseille) et d’un défaut de ponctualité. Selon l’ART, les retards de plus de 15 minutes qui concernent, au terminus, 25% des cars.

Le confort, lui aussi, est souvent modeste. Certes, les cars offrent généralement wifi, prises électriques, sanitaires, etc. Mais au départ ou à l’arrivée, la qualité de l’accueil n’est pas toujours au rendez-vous.

« La loi Macron a créé les cars mais elle a oublié les gares »

« La loi Macron a créé les cars mais elle a oublié les gares », pointe ainsi Aurélien Gandois. Certaines gares routières, comme celles de Marseille et Rennes, remplissent la plupart des critères exigés par l’ART (affichage dynamique, billetterie, salle d’attente, sanitaires, restauration, salle de repos pour les conducteurs, etc.). « Mais à Lille, où doit voir le jour une troisième gare ferroviaire, la gare routière se résume quasiment à un simple abribus », déplore le patron de BlablaCar Bus. Elle ne respecte, de fait, aucune des exigences fixées par l’autorité de régulation.

A Paris, la gare routière de Bercy, avec son atmosphère sombre et confinée, est souvent décrite comme « sinistre » par les usagers. Dès la fin de cette année, elle verra son activité décroître et partiellement transférée vers la Porte Maillot, en attendant l’ouverture en 2030 d’une nouvelle gare à Saint-Denis Pleyel (avec une desserte par les lignes de métro 14, 15, 16 et 17).

Le relatif succès des « cars Macron » – plus de 100 millions de passagers transportés sur des trajets domestiques en dix ans, 11,1 millions en 2024 (+14% par rapport à l’année précédente), soit des flux annuels comparables à ceux, côté ferroviaire, des lignes d’équilibre du territoire – s’explique avant tout par la volonté de nombreux Français de voyager plus souvent, plus loin, moins longtemps, moins cher.

Des cars presque aussi verts que les TER

Mais de façon peut-être contre-intuitive, cette offre est aussi présentée, de plus en plus, comme une réponse aux enjeux écologiques. « Un car, c’est des dizaines de voitures quasi vides en moins sur les routes », insiste Jean-Sébastien Barrault, président de la Fédération nationale des transports de voyageurs. Ce représentant des autocaristes avance aussi le renouvellement du parc, pour tenir compte des nouvelles normes antipollution et des restrictions d’accès aux métropoles (quand bien même le législateur est largement revenu sur la mise en œuvre des zones à faible émission) : « 50% des cars répondent à la norme Euro 6, 90 % sont classés Euro 5 ou Euro 6 ».

En tenant compte des taux de remplissage respectifs, avance l’ART, les émissions des cars par passager et par kilomètre (23 grammes d’équivalent CO2) sont quasiment cinq fois inférieures à celles de la voiture particulière. « Le transport par autocar permet (…) une économie de 15 000 tonnes de CO2 par an par rapport aux voitures individuelles », estime ainsi le régulateur. Les cars affichent aussi des émissions proches de la moyenne des trains TER (20 gr) car 40% du réseau ferré régional attend toujours une électrification. Sans surprise, leurs émissions représentent à peine un quart de celles des trains tractés par des locomotives diesel. De quoi faire des « cars Macron » mais aussi des « cars express » conçus pour relier les métropoles à leurs grandes banlieues, un outil parmi d’autres dans les stratégies de décarbonation de la mobilité.

Pierre Sugiton

  • Ce transport longue distance était précédemment strictement encadré et limité essentiellement au cabotage (le car pouvait relier deux villes françaises à condition de poursuivre sa route vers l’étranger ou d’en revenir).

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