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Jean-François Montagne
Vice-président de Dunkerque Grand Littoral en charge de la Transition écologique et de la résilience

« Nous devons inventer la mobilité des salariés du 21e siècle » 

Jean-François Montagne, vice-président de Dunkerque Grand Littoral en charge de la transition écologique et de la résilience, explique comment la Communauté urbaine va adapter le réseau DK’Bus à la réindustrialisation de la zone portuaire et la création d’une dizaine de milliers d’emplois.

Propos recueillis par Florence Guernalec

Mobily-Cités : Dunkerque Grand Littoral prévoit un vaste programme d’implantation de nouvelles usines (voir encadré). Dans ce contexte, quelle est votre feuille de route au regard de la transition écologique ?

Jean-François Montagne : A première vue, notre projet peut être vu comme une folie, car l’installation de nouvelles usines s’avère, par nature, consommatrice de foncier, d’énergie et d’eau. Mais la Communauté urbaine de Dunkerque [CUD] a fait le pari d’une réindustrialisation décarbonée dans la zone portuaire. Ainsi, nous sélectionnons des entreprises qui sont peu émettrices de carbone et travaillons avec elles pour réduire leur future consommation : par exemple, l’usine de batteries Verkor devrait avoir besoin de moitié moins d’eau que prévu initialement. Nous misons également sur la mutualisation des ressources entre entreprises : l’eau utilisée par l’usine de produits surgelés Clarebout pourrait servir de refroidissement par une autre… 

Quel rôle joue la mobilité dans cette réindustrialisation décarbonée ?

Les futures usines ne comporteront pas de parking, afin notamment de faire des économies de foncier et de ne pas saturer davantage l’A16 qui jouxte la zone portuaire. Nous souhaitons que cette zone industrielle reste accessible pour les camions et la logistique nécessaires à l’activité économique. Ainsi, nous avons travaillé avec les entreprises (celles déjà installées sur la zone comme les futures) pour répondre au mieux aux besoins de déplacements de leurs salariés et discuter d’éventuels aménagements d’horaires aux heures de pointe… Tout l’enjeu consiste à mettre en œuvre une offre efficace de transport public qui sera une alternative crédible à la voiture individuelle. 

Pour y parvenir, nous nous appuyons sur notre enquête menée sur la mobilité des salariés de cette zone : les résultats ont montré qu’un actif est prêt à perdre 15 mn sur son temps de trajet, au-delà cela devient difficile de le convaincre d’emprunter les transports en commun. Nous devons aussi prendre en compte ses contraintes horaires. Cette enquête nous a aussi permis de déterminer un profil type du salarié qui serait prêt à abandonner sa voiture pour prendre le bus : c’est plutôt un homme sans enfant, jeune et cadre… Bref, nous devons inventer la mobilité des salariés du 21e siècle, car ce public de la zone industrielle est différent des usagers de nos bus.

Comment le réseau DK’Bus va répondre à la création programmée d’une dizaine de milliers d’emplois d’ici à 2030 et l’arrivée de nouveaux habitants ?

Tout d’abord, nous allons densifier le centre-ville de Dunkerque :la CUD a convenu de ne pas autoriser la construction de nouveaux logements qui ne se situeraient pas à moins de 500 mètres d’une station de bus actuelle, car au-delà, nous savons que les voyageurs ne prennent pas les transports en commun…

Concernant la zone industrielle, nous allons créer un service express qui s’appuiera sur notre réseau de bus gratuit et qui sera complété par une offre de navettes pour les derniers kilomètres afin de desservir chaque entreprise. Ensuite, ce sera à chaque établissement de décider comment leurs collaborateurs se déplaceront à l’intérieur de l’usine pour rejoindre leur poste de travail : navette autonome pour celles qui sont le plus étalées ; vélo et/ou marche à pied avec des parcours sécurisés pour les autres… Nous testons, à partir de mai 2024, une première ligne : la Chrono C4 se transformera en ligne express, avec peu d’arrêts, lorsqu’elle circulera dans la zone industrielle. Sachant que certaines routes n’existent pas encore, nous allons devoir recourir à l’IA et faire des simulations de ce futur service qui doit monter progressivement en puissance jusqu’en 2030.

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Quels sont les autres modes de transport qui compléteront ce nouveau réseau de bus ?

Le vélo. Nous avons porté la prime d’achat d’un vélo de 80 € à son lancement à l’été 2020 à 150 € voire 300 € pour ceux qui sont aux minima sociaux. C’est un franc succès puisque 7% de la population de la Communauté urbaine en a bénéficié, soit plus de 13 000 personnes.

Cependant, nos enquêtes ont montré que si nous voulons augmenter la part modale du vélo, nous devons proposer des itinéraires cyclables et des stationnements sécurisés. Nous poursuivons donc notre plan Vélo+ : nous travaillons sur la résorption des ruptures entre deux itinéraires à l’intérieur d’une agglomération centrale qui est déjà bien dotée en pistes cyclables, et nous mettons aujourd’hui l’accent sur la périphérie et la campagne ou semi-campagne pour notamment relier des villages entre eux. En outre, nous inaugurons, le 17 mai 2024, notre réseau points-nœuds : c’est un système de balisage des itinéraires agréables qui évitent les grands axes. Ce service concerne davantage le vélo loisirs et le tourisme…

Enfin, nous avons notamment doté les équipements publics (université, bibliothèque, piscine, etc.) d’abris à vélos sécurisés gratuits. S’agissant des secteurs résidentiels, nous avons installé, à ce jour, une vingtaine de box sur la voie publique, en particulier à Malo-les-Bains et Rosendaël : nous sommes satisfaits, car ces équipements ne sont pas vandalisés et nous n’avons aucune maintenance à faire.

 

La marche à pied fait également des solutions de déplacement… 

En effet, notre plan marche est en cours de finalisation. Là aussi, nous avons consulté la population via des focus groupe pour mieux répondre à leurs attentes : à l’instar de notre enquête sur le vélo, il en ressort une forte demande de pouvoir se promener en toute tranquillité, ce qui nous impose de réfléchir à la cohabitation avec les vélos et les trottinettes comme les voitures, et notamment de travailler sur les traversées piétonnes aux passages au feu. Les personnes âgées nous demandent également de placer des bancs adaptés (plus en hauteur que ceux qui existent) le long des itinéraires piétons.

 

Quel est votre plan de décarbonation de votre flotte de bus GNV et BioGNV ?

Nous avons revu notre doxa sur l’hydrogène : les premières expériences menées dans d’autres collectivités ont révélé des soucis techniques et de maintenance à leur démarrage. Par ailleurs, il est désormais clair que la filière électrique se structure plus rapidement que l’hydrogène, nous le voyons notamment à travers la commande de milliers de bus électriques de la RATP. Nous avons donc opté pour une mutation progressive de notre flotte vers l’électrique : nous avons commandé, à ce jour, dix bus électriques de 12 mètres dont les premiers devraient être livrés en décembre 2024. Notre idée, à ce stade, n’est pas de rendre une ligne 100% électrique. Et nous avons néanmoins acheté cinq bus à hydrogène qui devraient circuler à partir de 2025, lorsque la station de production et de distribution d’hydrogène sera mise en service. Bref, le GNV a encore de beaux jours devant lui même s’il n’est pas considéré comme une énergie propre…

La gratuité des transports instaurée, en 2018, a entraîné une augmentation de 125% de la fréquentation du réseau DK’Bus entre 2017, année de référence, et 2023. Etes-vous victime de votre succès ?

Non, car nous parvenons à adapter notre réseau pour répondre aux besoins de déplacement de nos usagers. Nous sommes très attentifs à la qualité de service. Nous savons pertinemment que la gratuité n’est rien si le service de transport n’est pas efficient : nous considérons, par exemple, qu’une personne ne doit pas attendre un ou deux bus avant de pouvoir monter à bord. Ainsi, nous avons répondu à cette forte hausse de la fréquentation par l’achat de bus et le recrutement de chauffeurs pour augmenter notamment la fréquence de lignes. Nous en avons adapté d’autres pour desservir de nouveaux flux de déplacement comme la clinique des Flandres. Enfin, nous réfléchissions à une extension du réseau au-delà du périmètre de la Communauté urbaine : par exemple, nous sommes actuellement en pourparlers avec la Communauté de communes des Hauts-de-Flandres pour desservir la commune de Bergues.

Par ailleurs, cette augmentation de l’offre, et notamment de la desserte industrielle, est financée grâce à une hausse du versement mobilité.

La DSP exploitée actuellement par Transdev s’achève à la fin de l’année 2024…

La procédure d’appels d’offres est en cours. Nous avons de bons rapports avec notre délégataire actuel, qui répond à nos requêtes : par exemple, un nouveau service a été mis en œuvre pour mieux répondre aux déplacements lors de notre Carnaval. Transdev travaille également, à notre demande, sur l’IA pour développer des applis qui amélioreront le confort et la sécurité des usagers comme des chauffeurs. Mais nous nous apercevons aussi que nous sommes aujourd’hui sur un territoire où les entreprises ont envie de s’installer…

 

« La vallée de la batterie »

La réindustralisation de Dunkerque doit permettre de créer jusqu’à 20 000 emplois d’ici à 2030, soit autant que ceux perdus depuis la fermeture des chantiers navals et la crise de la sidérurgie notamment. La Communauté urbaine a l’ambition de devenir la « vallée de la batterie » avec l’installation future des usines Verkor, Prologium et XTC-Orano sur la zone industrialo-portuaire. Dunkerque mise également sur le secteur de la chimie, le site comprenant déjà 21 entreprises Seveso. Pour y parvenir, l’EPIC Grand port maritime de Dunkerque (GPMD) a capté du foncier, des terres agricoles (qu’il faudra compenser ailleurs) et des friches industrielles comme celle de Total.

Ce projet de réindustrialisation remonte à l’élection de Patrice Vergriete à la mairie de Dunkerque, en 2014 : le futur ministre des Transports réunit alors les acteurs institutionnels, entreprises et le GPMD pour des états généraux de l’emploi. Les parties prenantes décident de s’appuyer sur le savoir-faire industriel de la zone pour attirer des usines « propres ».

En 2023, le projet DKarbonation remporte l’appel à projets ZIBaC (Zone industrielle bas carbone) initié dans le cadre du plan d’investissement France 2030. Le 8 avril 2024, la convention de financement est signée : le projet porté par le GIP Euraénergie recevra une aide globale de l’État via l’Ademe de 13,6 M€ sur un budget total de 27,2 M€ pour réaliser des études d’ingénierie et de faisabilité de décarbonation de la zone.

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