« Rester serein pour relever les défis »
A la tête d’une des plus anciennes entreprises de transport de France, Bruno Ginhoux remet en perspective les crises actuelles pour s’inscrire dans une trajectoire de long terme. Engagé dans un projet de rétrofit H2, il considère la conversion aux énergies décarbonées comme une étape supplémentaire dans cette évolution.
Propos recueillis par Sandrine Garnier
Mobily-Cités : Vous vous êtes engagés dans un projet de rétrofit hydrogène. Quelles sont ses spécificités, et qu’en attendez-vous ?
Bruno Ginhoux : Nous nous sommes engagés dans cette démarche pour plusieurs raisons : nos parcs d’autocars doivent évoluer vers un mix énergétique incluant impérativement l’hydrogène. Mais il n’existe aucun véhicule de type autocar interurbain hydrogène sur le marché du neuf. Partant de ce constat, nous nous sommes rapprochés de l’opérateur GCK pour avancer sur le projet en mettant à leur disposition un véhicule Iveco Crossway dès le mois de février 2022. Cette opération de rétrofit s’inscrit dans l’appel à projets « Ecosystème poids lourds ».
Nous avons demandé à GCK de respecter un cahier des charges permettant de faciliter la future homologation UTAC de ce véhicule, en particulier sur les points suivants :
- poids quasi équivalent entre le modèle de base diesel et le modèle rétrofité ;
- aucune installation supplémentaire en toiture modifiant de manière substantielle le centre de gravité du véhicule ;
- 100% de l’ergonomie du poste de conduite doit rester conforme au véhicule d’origine ;
- préservation des circuits secondaires : pneumatique, hydraulique et climatisation conformes à l’origine afin de faciliter les opérations de maintenance ;
- capacité des soutes identique au modèle diesel ;
- capacité de 63 places pour un autocar scolaire ;
- conservation de l’espace UFR pour les cars de ligne.
Notre entreprise a tenu également à accompagner le rétrofit H2 par une remise à niveau avec des pièces neuves portant sur 30 points de sécurité : freinage, éclairage, signalisation, environnement conducteur…
Seule ombre au tableau pour le moment : pour obtenir 400 km d’autonomie en H2, GCK s’est retrouvé dans l’obligation d’installer une bouteille dans l’une des soutes.
Quel est le calendrier du projet ?
Le véhicule doit être présenté par GCK au Salon Autocar Expo à Lyon, du 12 au 15 octobre. Les premiers essais doivent débuter dans le courant de l’automne, et l’homologation du véhicule est attendue pour l’été 2023. D’ici là, le car passera toute une batterie de tests UTAC, et plus de 1000 km de tests dynamiques. Ensuite, nous ferons circuler le véhicule sur plusieurs lignes et dans des conditions variées, après accord de nos autorités organisatrices : la communauté de communes du Bassin d’Aubenas, et la Région Auvergne Rhône-Alpes.
Un projet de mutualisation de l’approvisionnement en hydrogène avec les BOM est en cours avec plusieurs collectivités dans le sud de la Région Auvergne Rhône-Alpes. A partir de 2024, si toutes les conditions sont réunies, nous procéderons à la mise en service de plusieurs véhicules rétrofités hydrogène sur nos dépôts.
La réglementation française autorise le rétrofit depuis le printemps 2020, et les collectivités commencent à l’intégrer dans leurs appels d’offre. Subsiste-t-il d’autres freins à son déploiement ?
La Région Auvergne Rhône-Alpes a introduit dans ses appels d’offres une clause qui permet de prendre en compte les véhicules rétrofités : la date du rétrofit fait référence pour le calcul de l’âge du véhicule. C’est un premier pas important qu’il faut saluer, mais cela ne va pas tout résoudre. D’une part, nous devons veiller au prix de l’énergie (l’hydrogène est annoncé à 12 € le kilo, alors que le seuil acceptable pour les transporteurs est de 8 € par kilo). D’autre part, le déploiement de stations de distribution H2 est attendu le plus tôt possible.
Tourisme et Transport Ginhoux a remporté cette année un prix dans le cadre de la démarche EVE. Quelle est votre perception des défis liés à la transition énergétique ?
Depuis plus de 190 ans, l’entreprise Ginhoux a utilisé 5 énergies différentes. Pour commencer, le foin/avoine/eau puisque jusqu’à la fin du 19e siècle, ce sont les chevaux qui tiraient les attelages. Au début du 20e siècle, les rues des grandes villes étaient d’ailleurs le théâtre d’un mix énergétique très intéressant, avec de la traction hippomobile, les premiers véhicules à essence, les tramways électriques et les trolleys, et les locomotives à vapeur. Ce n’est donc pas la première fois dans l’histoire que les transporteurs utilisent plusieurs sources d’énergie… Après les chevaux, mon arrière-grand-père est passé aux véhicules à essence, puis au diesel au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. L’évolution continue, et les enjeux liés au climat et à la qualité de l’air nous conduisent à opérer progressivement une réduction importante des hydrocarbures. Nous avons acquis nos premiers véhicules au GNV en 2019 ; aujourd’hui nous en avons 30 avec lesquels nous avons dépassé les deux millions de km parcourus. Nous opérons d’ailleurs la plus longue ligne interurbaine de la Région Auvergne Rhône-Alpes, Les Vans – Valence TGV avec 10 Crossway GNV alimentés sur notre station d’Aubenas. Enfin, le passage à l’hydrogène sera aussi une forme de traction électrique. Mais surtout, s’inscrira en partie dans le mix énergétique indispensable dans les années à venir. Les évènements récents, les tensions sur les prix des carburants, et la guerre en Ukraine, nous font comprendre à quel point il est dangereux de dépendre d’une seule source d’énergie, quelle qu’elle soit.
Même si les incertitudes sont fortes, je veux rappeler que notre profession a toujours su s’adapter et trouver les solutions qui nous ont permis de continuer à exercer nos missions. Il faut rester attentif mais serein pour aborder les difficultés, relever les défis, et contribuer à construire une offre de mobilité pour tous, efficace et décarbonée.
Le TRV est confronté à une pénurie de conducteurs. Quelle est la situation dans votre entreprise ? Comment avez-vous géré la rentrée 2022 ?
A l’instar de l’ensemble de nos confrères, nous rencontrons des difficultés de recrutement, et nous mobilisons l’ensemble des titulaires du permis D pour assurer les services au quotidien. Il me semble important de préciser certaines choses au sujet de la formation. Nous finançons actuellement trois mois de formation aux candidats aux permis, soit 450 heures au total, dont à peine 25 sont effectuées au volant d’un véhicule. Or, le métier de conducteur ne peut absolument pas s’apprendre sur simulateur. Je sais bien que les centres de formation manquent d’effectifs. C’est pourquoi je suis favorable à une formule de tutorat assuré par des conducteurs CPS confirmés et volontaires, ce qui leur permettrait de compléter leur volume horaire de travail en revalorisant leur métier. Je suis également favorable à l’assouplissement du Congé de fin d’activité, de façon à permettre aux salariés de 57 à 62 ans qui en sont bénéficiaires de continuer à conduire, avec un volume d’horaires limité. Nous devons absolument faire bouger les lignes pour sortir de cette pénurie et soulager nos équipes à court terme.