Bruno Bernard
Bruno Bernard
Président du Sytral et président de Lyon Métropole

« L’allotissement va permettre une concurrence saine et juste »

Avec un plan d’investissement doublé par rapport à la mandature précédente, l’équipe écologiste aux manettes du Grand Lyon affirme ses ambitions en matière de mobilité. Ce nouvel élan correspond aussi à un changement d’échelle dans la gouvernance : le périmètre de l’autorité organisatrice, Sytral Mobilités, couvre désormais l’ensemble du département du Rhône et l’un de ses objectifs majeurs sera la mise en place d’une billettique unique. Comme le souligne Bruno Bernard, l’allotissement des réseaux doit permettre une meilleure gestion des services, et une reprise en main d’une partie des compétences par le politique.

Propos recueillis par Sandrine Garnier

 

Mobily-Cités : L’évolution de la conjoncture depuis votre élection à la Métropole serait-elle susceptible de remettre en cause vos choix en matière de transport ?

Bruno Bernard : Nous avons porté dès le début une ambition très forte sur des enjeux tels que la lutte contre la pollution et la protection du climat, tout en préservant le pouvoir d’achat des habitants, alors que la création de la zone à faible émission crée des contraintes supplémentaires. Cette politique s’est concrétisée par la décision de doubler le budget d’investissements pour le porter à 2,5 Md€ au cours du mandat. Cela correspond à 23 km de lignes nouvelles de tramway, notamment dans les quartiers populaires, ou encore le remplacement de 400 bus et trolleybus pour les convertir à l’électrique et au GNV, à hauteur de 250 M€.

Ces problématiques se trouvent renforcées par les crises que nous avons connues et qui se poursuivent : crise sanitaire, crise énergétique, crise économique et tensions géostratégiques. L’augmentation des prix des carburants et son poids sur le budget des ménages devrait constituer un effet levier en faveur des transports publics. Et l’on pourrait espérer un deuxième effet levier : que l’Etat prenne conscience de la nécessité de développer fortement les transports en commun, à commencer par le train et les transports urbains, pour régler les choses à long terme. Le choix qui a été fait jusqu’à présent de subventionner les carburants sans aucun critère social, mesure qui profite davantage aux plus aisés et ne répond absolument pas le problème, est un non-sens. A la fin août, cette politique avait conduit à dépenser 7,5 Md€, une enveloppe qui aurait pu être consacrée à un soutien aux investissements des collectivités locales dans le cadre d’un nouvel appel à projets, par exemple. Un total de 5 Md€ permettrait d’aider substantiellement les AOM pour répondre aux besoins de déplacement de l’ensemble de la population.

Estimez-vous que le déploiement des ZFE pourra se poursuivre comme prévu, malgré les difficultés rencontrées par les ménages les plus vulnérables ?

La mise en place des ZFE est compliquée pour les habitants, mais il s’agit d’un enjeu majeur de santé publique. Je rappelle que l’on dénombre 40 à 50 000 décès annuels en lien avec la pollution, avec des coûts induits qui sont énormes. Nous avons prévu un développement très fort des transports en commun et une politique vélo ambitieuse, nous soutenons l’acquisition des véhicules électriques pour aider l’ensemble des personnes concernées à changer leurs habitudes. Mais il est certain que nous aurions besoin d’une pédagogie d’Etat sur la question pour accompagner le déploiement des ZFE, tout comme nous aurions besoin d’un soutien financier.

Mais le plus préoccupant, c’est que l’Etat ne donne pas aux collectivités locales les moyens de rendre cette politique efficiente. Tout comme un certain nombre d’élus métropolitains, cela fait deux ans que je réclame à l’Etat l’homologation et la mise en place des radars à lecture automatique des plaques d’immatriculation. Or, nous n’avons aucune visibilité concernant la disponibilité de ces matériels. De plus, il semblerait que l’Etat laisse les collectivités locales financer l’acquisition des nouveaux radars. Or, je rappelle que la décision de mise en place des ZFE émane de l’Etat, qui a été condamné pour son inaction en matière de lutte contre la pollution atmosphérique.

Sytral Mobilités est confronté à des difficultés de recrutement des conducteurs de bus. Avec quelles conséquences sur le niveau de l’offre ?

Aujourd’hui, il nous manque 300 conducteurs sur le réseau TCL, sur un effectif de 4000. Et nous rencontrons des difficultés à maintenir le niveau de l’offre en raison de ce manque de conducteurs. La période du Covid a été difficile à traverser, et il reste des difficultés dans l’exercice du métier.

Du fait du retard observé dans le rebond de fréquentation, nous avons décidé de reporter de 2023 à 2025 le choc d’offre prévu sur les bus. D’ici là, le déficit de conducteurs devrait être résorbé.

La réduction de l’offre n’est-elle pas liée à un défaut de ressources ?

Les recettes principales de Sytral Mobilités sont constituées par le Versement Mobilité (VM), les subventions des collectivités et les recettes commerciales. Concernant le VM tout d’abord, qui constitue la 1re recette à hauteur de 360 M€ en 2021, nous avons décidé en début de mandat de le porter de 1,85 à 2%. Nous étions une des seules métropoles de France à nous situer sous ce seuil.

En arrivant aux responsabilités, nous avons également décider de porter la subvention de la Métropole de Lyon de 140 à 200 M€ annuels d’ici à 2026. Cela nous permet de financer à la fois les investissements et la tarification solidaire.

Sur les recettes billettiques, nous restons en deçà de la fréquentation de 2019, au niveau de 91% en moyenne. Nous considérons que cette situation n’est pas catastrophique, étant donné l’état de saturation du réseau qui prévalait avant 2019.

La tarification solidaire que nous avons mise en place a généré elle aussi une baisse de recettes que nous assumons totalement. Cette mesure a permis de faire passer le nombre de bénéficiaires de moins de 100 000 à 150 000, pour une perte de recettes de 12 M€ par an au total. Nous avons également mis en place une tarification jeunes, avec la baisse de l’abonnement 18-25 ans de 32,50€ à 25€, et même 10€ pour les boursiers grâce à la tarification solidaire. Cette mesure nous a fait gagner 16% d’abonnés sur cette tranche d’âge entre 2019 et 2021.

Les développements du réseau prévus par le plan de mandat vont logiquement accroître les coûts de fonctionnement. Ne craignez-vous pas une dégradation de l’équilibre d’exploitation ?

Nous ne sommes pas spécialement inquiets au sujet de l’évolution du R/D. La conjoncture actuelle pousse les ménages à rechercher des alternatives à la voiture individuelle. La fréquentation va se remettre à croître au rythme de 3 à 4% par an, qui était observé avant la crise sanitaire. Nous devrions donc capter davantage de passagers dans les années à venir, et l’augmentation des recettes commerciales permettra de couvrir en partie la hausse des coûts d’exploitation. Vu la situation de sous-investissement et de retard du réseau laissée par nos prédécesseurs, la situation n’est pas si alarmante que ça. Et la dynamique économique de la région lyonnaise reste positive. En 2021, le niveau du VM était déjà supérieur à ce qu’il était en 2019.

Et les chefs d’entreprise, qu’attendent-ils des transports publics ?

Nos échanges avec les entreprises reflètent une très forte demande concernant le transport, en particulier chez les employeurs situés en dehors de la zone centrale. Les problèmes principaux qui se posent aux chefs d’entreprise sont le foncier, quand ils ont besoin de locaux pour se développer, les mobilités et le recrutement. Beaucoup d’entre eux lient les difficultés de recrutement à la problématique des mobilités. Les corps constitués ont pu regretter l’augmentation du VM, mais leur priorité est bel et bien l’offre de mobilité.

L’augmentation des prix de l’énergie est aussi une réalité pour Sytral Mobilités. Quelles seront ses conséquences ?

Nous n’avons pas de vision claire des coûts énergétiques, puisque c’est notre délégataire, en l’occurrence Keolis pour le lot principal, qui a négocié ses propres contrats. Les impacts nous sont répercutés en année n+1 pour la régularisation. A ce stade, nous évaluons à 20 à 30 M€ les coûts supplémentaires pour l’année en cours. Par exemple, notre facture d’électricité s’élève habituellement à 6 M€, mais nous ne savons pas, à l’heure actuelle, dans quelles proportions elle va continuer à augmenter. Sur un budget annuel qui dépasse le milliard d’euros, dont 500 M€ environ pour notre délégataire, 20 M€ de plus ne représentent que 4%…

Quels ont vos objectifs en matière de transition énergétique ?

Les métros, tramways et trolleybus du réseau TCL nous permettent de réaliser 1,8 million de voyages par jour avec une énergie décarbonée. Pour la flotte de bus, la part du diesel a vocation à décroître au fil des années. Nous allons construire un méthaniseur pour accompagner le développement du GNV, à la station d’épuration de Pierre-Bénite, ce qui permettra d’alimenter 200 bus. Plus de la moitié de nos 1000 bus seront GNV ou électriques à la fin du mandat. Je tiens à préciser que nous avons réceptionné en début de mandat les derniers bus diesel commandés par nos prédécesseurs.

Vous avez également engagé une politique vélo volontariste. La pratique continue-t-elle à se développer ?

Les voies lyonnaises constituent un véritable réseau de transport autour du vélo. 250 km vont être aménagés dans le cours du mandat, pour atteindre 380 km à terme. Ce projet permet de mailler l’ensemble du territoire avec des pistes cyclables de 3 à 4 m de large entièrement séparées et des traitements aux carrefours afin de sécuriser les utilisateurs, quel que soient leur âge, leur maîtrise de la pratique vélo, ou leur handicap. Nous menons également une politique sur le stationnement vélo afin de lutter contre le vol, et nous soutenons l’achat des deux-roues avec une aide qui peut atteindre 500€ pour un vélo électrique. Enfin, nous avons lancé l’opération Free Vélo’v : 1000 vélos reconditionné par du personnel en insertion sont mis gratuitement à disposition des étudiants en prêt longue durée, de 6 mois à 2 ans. Et nous développons aussi une formation à la pratique du vélo. Nous souhaitons multiplier par trois la part modale du vélo dans la métropole, et nous enregistrons une hausse de 20 à 25% par an, ce qui explique d’ailleurs en partie la baisse de fréquentation des modes lourds en centre-ville, avec le recours au télétravail.

En dehors de la zone centrale, le covoiturage est-il une option ?

Nous avons lancé une expérimentation de covoiturage portée par la Métropole de Lyon et la Communauté d’agglomération Porte de l’Isère (CAPI), le service Lane. Il existe également un service dans le centre de Lyon, initié par mes prédécesseurs. Aujourd’hui, la métropole a la possibilité de soutenir le covoiturage en mettant en place des voies réservées, comme c’est le cas sur M6/M7, ou des places de stationnement. Nous pouvons aussi appliquer une tarification spécifique dans les parcs-relais Sytral Mobilités. Nous nous posons également la question de soutenir la pratique par du financement, mais il y a aussi la question de l’outil… il faut que le conducteur y trouve un intérêt, et que le passager soit assuré d’avoir une solution à l’aller et au retour, et il faut aussi aider les utilisateurs à faire leur choix dans le foisonnement d’offres. Pour soutenir ces démarches, nous allons relancer les plans de déplacement d’entreprises.

Les politiques de mobilité transforment la ville et l’espace public (sites propres, voies cyclables…). Peuvent-elles aussi contribuer à lutter contre l’artificialisation ? 

Le développement des sites propres de tramway et de BHNS continue de transformer la ville. On y ajoute les voies lyonnaises et le choix du tramway qui passera dans les quartiers en politique de la ville de Saint-Jean, à Villeurbanne, ou du Mas du Taureau, à Vaulx-en Velin. Cela va nous permettre de passer un cap dans la transformation urbaine et sociale. De plus, nous allons profiter de ces travaux de tramway pour désimperméabiliser les sols sur une surface 40 ha, ce qui va avoir des impacts importants sur le cycle de l’eau. C’est une première. Auparavant, au mieux on plantait du gazon, mais il restait une fosse en béton dessous.

Vous avez décidé de procéder à un allotissement pour les futurs contrats de SYTRAL Mobilités. Pourquoi vouloir reprendre la main sur les relations voyageurs et le stationnement ?

Notre objectif est d’améliorer la qualité des services, mais aussi de renforcer le pilotage sur notre délégataire. En créant deux lots pour le transport lourd et le transport de surface, nous voulons également que cet allotissement permette une concurrence saine et juste sur des marchés qui sont très importants. Et nous souhaitons reprendre la main sur un certain nombre de compétences qui ont été transmises au délégataire au fils des contrats, afin de retrouver un meilleur équilibre. On demande au délégataire de faire tourner le réseau, ce qui est déjà beaucoup. Mais il n’aura plus la capacité à décider sur des sujets qui relèvent des politiques publiques. L’acquisition de nouveaux clients a-t-elle été le résultat des actions engagées par le délégataire ou simplement un effet de la démographie ? On peut se poser la question.

Nous considérons que sur ces sujets, tout comme sur l’intermodalité ou le développement des modes doux, qui s’inscrivent dans la gestion de la ZFE, l’action publique devrait être plus efficiente. Notre action sera également plus efficace pour unifier la billettique sur l’ensemble des réseaux du nouveau SYTRAL Mobilités. Nous allons reprendre les compétences actuelles des différents opérateurs dans une SPL, qui sera chargée des relations avec les usagers. A terme, ce fonctionnement nous permettra aussi de faire évoluer les agences commerciales vers de véritables agences de mobilité, véritables relais des politiques publiques. Il n’y aura qu’un seul guichet pour l’usager, et une cohérence renforcée dans le discours et les messages portés.

Une première SPL a été créée pour la gestion du stationnement. Elle reprend une quinzaine de parkings jusqu’ici gérés par LPE ou Vinci, avec pour missions notamment de développer le stationnement vélo, l’autopartage, et de poursuivre aussi le déploiement des tarifications combinées avec les transports en commun, ou encore la possibilité de s’abonner à deux parcs de stationnement, un pour le domicile, l’autre sur le lieu de travail… elle aura également la main sur les P+R de Sytral Mobilités. 

Qu’en est-il de Rhônexpress ?

Après la résiliation du contrat par mes prédécesseurs, j’ai eu la charge de négocier l’indemnité de rupture, que j’ai réussi à réduire de 10 M€. A présent, on relance la DSP pour deux ans avant de l’intégrer au lot « modes lourds ». La réflexion est en cours également sur une optimisation du tramway T3, qui partage une partie de ses voies avec Rhônexpress.

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