« Nous sommes engagés dans une course de fond »
Confronté comme l’ensemble de la profession à la conjonction des crises, le transporteur basé à Crémieux (Isère) s’organise pour tenir dans la durée. Face à la pénurie des conducteurs ou à la flambée des prix de l’énergie, les solutions existent, estime Aurélien Berthelet. A condition que les autorités organisatrices et les pouvoirs publics en prennent leur part. Et parce que le TRV a un rôle essentiel à jouer dans les mobilités du quotidien.
Propos recueillis par Sandrine Garnier
Mobily-Cités : Après deux années de crise sanitaire, 2022 a été marquée par la hausse des prix des carburants. Comment abordez-vous cette conjoncture particulièrement sensible ?
Aurélien Berthelet : En 2022, Berthelet a renouvelé l’ensemble de ses contrats avec les collectivités locales. Concernant les activités de transport liées au tourisme, nous avons également réalisé une bonne saison d’été, et les activités périscolaires et occasionnelles reprennent. Nous devrions avoir toutes les raisons d’être optimistes pour l’avenir, mais les tensions économiques demeurent importantes. Tout d’abord, l’envolée des prix des carburants bouleverse notre modèle économique. L’aide de 1000 € par véhicule a permis de couvrir de manière partielle les surcoûts enregistrés à l’automne 2021 sur le diesel. Et la hausse concerne toutes les énergies. Prenons l’exemple du gaz, qui est passé de 80 centimes à 3 euros le kilo en quelques mois… Pour une entreprise comme la nôtre, qui s’est fortement équipée en véhicules GNV (nous en avons 70), et a investi dans une station d’avitaillement, c’est une préoccupation majeure.
De plus, le remboursement des PGE vient diminuer les capacités d’investissement d’un certain nombre d’entreprises. Dans cette situation, comment continuer à s’engager dans la transition énergétique ? Les mesures prises durant la pandémie par le Gouvernement et les Régions nous ont certes permis de traverser cette période en réduisant l’impact de la crise, mais il est nécessaire aujourd’hui de continuer à accompagner les entreprises dans cette phase de sortie de crise.
Diriez-vous que le plus dur reste à faire ?
La période que nous traversons est inédite, et nous devons nous préparer à des bouleversements encore importants. Nous sommes engagés dans une course de fond, et l’épreuve va s’inscrire dans la durée. Pour s’adapter et s’en sortir, notre profession doit donc continuer à évoluer, comme nous l’avons toujours fait. Trouver des solutions et innover pour répondre aux attentes en matière de mobilité, continuer à aller de l’avant pour réaliser notre mission. Ce sont des perspectives très motivantes et gratifiantes puisque nous pouvons contribuer à offrir à tous des alternatives décarbonées à la voiture individuelle. Mais cela ne sera possible qu’avec le soutien des autorités organisatrices.
Comment avez-vous abordé la période de la rentrée scolaire, marquée par le manque de conducteurs ?
Il nous manquait 30 conducteurs avant la rentrée scolaire, sur un effectif de conduite de 230. Cette pénurie de conducteurs va durer encore quelques années. Nous devons absolument nous mobiliser davantage pour mieux faire connaître nos métiers, et améliorer l’image du TRV. Le métier de conducteur est encore trop souvent associé à une image de précarité, de temps partiel imposé et de manque de perspective d’évolution. Or, beaucoup de transporteurs, comme nous, ne recrutent plus de conducteurs à temps partiel. Chez Berthelet, les conducteurs engagés en contrat de période scolaire ont choisi ce type de contrat à temps partiel, soit pour avoir un complément d’activités, soit pour des raisons d’ordre personnel et familial.
Quelles sont, selon vous, les meilleures pistes pour enrayer cette pénurie de conducteurs ?
Les avancées obtenues par la FNTV sur l’âge de passage du permis D sont une excellente chose. Nous devons aussi nous tourner davantage vers l’apprentissage et l’alternance. Pour ma part, j’ai engagé une démarche avec l’Aftral au printemps 2022 afin de recruter des apprentis. C’est une solution très intéressante, qui permet d’intégrer le jeune dans l’entreprise dès le début de sa formation. Et l’employeur bénéficie d’une aide de l’Etat durant six à neuf mois, sachant que les trois premiers mois sont dédiés à la préparation du permis. Cette formule laisse du temps pour former la personne et lui transmettre la culture de l’entreprise, de façon à l’intégrer aux équipes. Il faut pour cela cibler des jeunes adultes âgés de 21 à 30 ans, sortis du système scolaire sans réelle formation, ou en réorientation après une première expérience professionnelle.
Personnellement, je ne pense pas que le recours à la bi-activité soit une solution pérenne pour répondre à ce problème. Mais c’est certainement une piste intéressante au cas par cas. Pour le transport scolaire, je considère que les solutions sont davantage à rechercher du côté de la fusion des services, de manière à optimiser la ressource en véhicules et en conducteurs. Conjuguée avec l’adaptation des horaires de début et de fin de cours, cela permettrait de mieux organiser les enchaînements de service, et de proposer davantage d’heures de travail aux salariés.
Vous évoquez régulièrement les difficultés croissantes de la relation avec le public. Pourquoi ?
Je remarque que l’un des points communs des métiers pénuriques, c’est que ce sont des métiers de service, en lien avec le public. Nous assistons depuis quelques années à une augmentation du nombre d’incivilités vis-à-vis de nos conducteurs. C’est un problème qui concerne l’ensemble de la société française et que nous devrons régler collectivement.
Et les rémunérations ? Ne sont-elles pas le premier facteur d’attractivité ?
La rémunération détermine en grande partie l’attractivité, mais elle n’est pas le seul critère. De plus, dans un métier comme le nôtre où les marges sont faibles, l’évolution des rémunérations doit être prise en compte dans l’actualisation des contrats avec les collectivités locales. Pour cela, il faut que les AO s’appuient, dans le calcul des révisions, sur les indices les plus proches de l’évolution réelle de nos coûts, comme l’indice CNR (Comité National Routier). Or, ceux-ci n’ont pas encore été intégrés par l’ensemble des collectivités. C’est la même chose pour l’augmentation des prix des carburants. Les pouvoirs publics sont conscients de la nécessité d’accompagner les transporteurs sur ces problématiques.
Berthelet s’est engagé avec volontarisme dans le véhicule autonome. Quels sont les retours d’expérience que vous en tirez ?
Nous nous sommes impliqués depuis 2018 dans plusieurs expérimentations dans le cadre du Programme d’investissement d’avenir porté par l’Ademe: la navette Mia en périphérie lyonnaise, et les deux expérimentations du projet ENA, à Sophia Antipolis et dans l’Indre. Le déploiement de ce type de service en zone rurale apparaît comme un des cas d’usage les plus prometteurs. Depuis juillet et jusqu’en fin d’année 2022, nous opérons ainsi une desserte de 35 km à travers 4 communes de l’agglomération du Cœur de Brenne à une vitesse commerciale de 30 km/h avec un véhicule automatisé, doté de la technologie Milla. Le service répond à un besoin réel, qui ne pourrait pas être adressé par une ligne de bus classique. Il ouvre de réelles perspectives pour d’autres territoires situés en zone rurale.