Le fabuleux destin de l’autocar

22 05 2025 | Actualités

Mobily-Cités a consacré sa Matinale du 20 mai 2025 à l’autocar. Le déploiement de lignes de cars express dans le cadre des SERM, ouvre de nouvelles perspectives pour le secteur. Reste à trouver les ressources pour financer ce choc d’offre et la transition énergétique du parc d’autocars.

« Notre secteur est extrêmement en retard en matière de transition énergétique », a reconnu Jean-Sébastien Barrault, président de la FNTV. Sur un parc de 66500 autocars, moins de 3000 roulent avec une énergie alternative au diesel. En cause, le règlement CO2 qui impose aux constructeurs de s’orienter vers des véhicules 100% électrique, alors que ces mêmes industriels ont, selon lui, tardé à proposer des modèles, même s’il reconnaît que ces solutions étaient plus complexes à mettre en œuvre pour les autocars que pour les bus. 

Solène Grange, directrice générale d’Iveco France, a assuré que le constructeur sera prêt pour répondre aux exigences de réduction des émissions de CO2 imposées par cette réglementation. Elle a rappelé les investissements réalisés en France dans les usines pour adapter les lignes de production. Solène Grange a également averti que la concurrence ne conduira pas tant à une baisse des prix : « Vous aurez une meilleure performance pour le même niveau de prix ».

Contraints de s’orienter vers l’électrique, les professionnels cherchent donc des solutions pour faire converger le TCO d’un véhicule électrique avec celui d’un diesel. « Notre gros sujet du moment est de trouver les moyens de passer à l’électrique avec un modèle économique soutenable », a ainsi résumé Bruno Lapeyrie, Group Director-Center of Excellence Energy Transition-Bus chez Keolis. 

Des stratégies gagnantes

Le kilométrage apparaît comme le levier le plus puissant. En effet, plus un véhicule électrique roule, plus son TCO est intéressant. « Le point de bascule intervient à partir de 80 000 km par an. A fortiori, pour des véhicules qui font 100 000 km et plus, le TCO d’un véhicule électrique est inférieur de l’ordre de 10% par rapport à un TCO diesel en raison du prix du kWh », a expliqué Michel Albrand, directeur business developpement chez Zetra, spécialisé dans le domaine des poids lourds.

Autre levier, l’allongement de la durée de vie d’un autocar électrique. « Si vous augmentez cette durée de vie de cinq ans, ou si sur la même durée, vous le faites rouler l’équivalent de cinq ans en plus, c’est presque 15% d’économie, soit plus de la moitié de l’écart de TCO comblé, a souligné, Bruno Lapeyrie. Celui-ci a ainsi exhorté les acteurs à organiser des services de transport qui permettent de faire rouler davantage les véhicules électriques.

Il a également plaidé pour un allongement de la garantie constructeur et des véhicules plus robustes. Autre levier de baisse du TCO, la batterie qui représente plus de la moitié de ce coût de possession.  Bruno Lapeyrie a souligné que des constructeurs chinois garantissent aujourd’hui leur batterie 15 ans sans conditions : « Cela représente un gain de 10 % à peu près sur le TCO ». Il a ainsi demandé aux constructeurs, de cesser de garder la valeur des batteries pour eux…

Des marchés à revoir

Dans cette perspective, Jean-Sébastien Barrault considère que la réussite de la transition énergétique passera par un travail avec les autorités organisatrices sur la construction des délégations de services publics (DSP) : en jeu, la durée des contrats et la taille des lots notamment. Le président de la FNTV a ainsi plaidé pour des marchés longs afin de permettre à un exploitant de faire une offre beaucoup plus compétitive avec une énergie alternative : « Le TCO à dix ans est assez proche sur un véhicule thermique et un véhicule électrique », a souligné Jean-Sébastien Barrault. Et plus un lot est important, plus l’opérateur peut optimiser l’utilisation des véhicules et augmenter le nombre de kilomètres parcourus par ce véhicule.

De son côté, la région Auvergne Rhône-Alpes (AURA) a fait le pari, en 2017, de créer une filière sur l’hydrogène – de la production à la consommation en passant par la distribution. Elle a investi dans un électrolyseur, des stations de recharge et des véhicules en passant une pré-commande de 50 cars rétrofités. Il s’agit de véhicules Iveco Crossway en circulation depuis 5 à 7 ans qui ont entre 250 et 300 000 km. « A l’heure actuelle, c’est le transport qui très clairement porte la filière », a reconnu Julien Vuillemard, conseiller régional aux transports scolaires et interurbains à la Région Auvergne-Rhône-Alpes. 

Des innovations prometteuses 

« Il faut être prudent dans le déploiement des cars à hydrogène, a averti Bruno Ginhoux, président des cars Ginhoux, en raison du TCO de ce type de véhicules. Les cars de la Région ne pourront pas porter à eux seuls le déploiement de cette filière, et faire baisser les coûts. » Il a donc exhorté la collectivité à imposer, dans les marchés publics, l’hydrogène à d’autres secteurs d’activité très consommateurs d’énergie comme le BTP.

Néanmoins, Bruno Lapeyrie a évoqué les perspectives prometteuses du moteur à combustion interne à hydrogène (HICE) qui permet de conserver un moteur thermique classique : « Si lors de la révision de la nomenclature en 2029, le HICE est classé zéro émission, donc au même rang que l’électrique, cela va complètement débloquer la filière… »

Un mur d’investissement

Reste que la transition énergétique dans l’interurbain nécessiterait d’investir 3 Md€ d’ici à 2030 pour tenir l’objectif fixé par l’Etat dans la feuille de route de la Stratégie nationale bas carbone. Une somme que ni les AOM ni les exploitants ni l’Etat ne sont en mesure d’investir, a constaté Jean-Sébastien Barrault.

Par ailleurs, il a souligné que la décarbonation des mobilités ne passera pas uniquement par la transition énergétique du parc de véhicules : « Supprimer des voitures de la route pour les remplacer par des autocars, même Euro VI, contribue aussi à décarboner le secteur ». La FNTV appelle donc de ses vœux à la mise en place d’un choc d’offre dans le cadre des SERM.

L’enjeu est de taille : il s’agit de desservir 17 millions de périurbains. Ingrid Mareschal, déléguée générale de la FNTV, a rappelé que la fédération, travaille depuis un moment sur les conditions du succès de lignes de cars express sous l’égide de la DGITM : parmi les critères retenus, figurent la  fréquence, le cadencement, mais aussi la rapidité et la fiabilité des temps de trajet qui nécessiteront la mise en place de voies réservées.

Des lignes de cars à connecter

Une qualité de l’offre qui passera aussi par des autocars récents, équipés de prises et du Wifi, selon Stéphane Guenet, directeur général CFTR. Celui-ci estime que ces lignes auront pour premier objectif de répondre aux déplacements pendulaires. Ces nouveaux services devront, selon lui, comporter peu d’arrêts pour éviter l’effet ominibus. Il a ainsi mis en garde contre la tentation d’un « saupoudrage » de l’offre et a plaidé au contraire pour une concentration de l’offre aux heures du matin et du soir.

Autre facteur de succès, la connexion de ces lignes à des P+R et plus largement à des pôles d’échanges multimodaux (PEM). « C’est un système intermodal qu’il faut créer dans les zones périurbaines pour offrir une nouvelle solution de mobilité aux Français », a souligné Ingrid Mareschal. Même analyse du côté de Flixbus qui insiste sur la nécessité de proposer une offre de transport pour les premiers et derniers kilomètres, sinon cela va décourager les usagers.

Des freins à surmonter

Cependant, l’absence de gares routières qui permettraient aux voyageurs de patienter à l’abri et en sécurité, risque de pénaliser le déploiement de ces nouveaux services. « J’ai l’impression de revenir dix ans en arrière quand les cars Macron ont été lancés. Nous sommes toujours très en retard dans ce domaine », a déploré Ingrid Mareschal. Autre point faible, la question de la gouvernance de ces gares qui sont aujourd’hui portées par une série d’acteurs publics comme privés. La FNTV souhaite une clarification des compétences afin de faciliter l’exploitation des services de cars.

Pour autant, ces freins ne découragent pas les acteurs. Flixbus regarde les projets de SERM avec une « curiosité très positive » même si la plate-forme ne sait pas encore dans quelles conditions elle pourrait répondre avec ses partenaires autocaristes à des appels d’offres des collectivités. Par ailleurs, le SLO est soumis à la loi Macron qui a libéralisé l’offre d’autocar pour des distances supérieures à 100 km ; en-dessous, l’ouverture d’une ligne est soumise à autorisation de l’ART. « Est-ce qu’il faudra changer la loi pour développer ces nouveaux services ? », s’est interrogé Vincent Hays, directeur France Flixbus.

Les professionnels voient, dans ces futures lignes de car express, la promesse de nouvelles opportunités. Loïc Charbonnier, président de l’Aftral, est ainsi convaincu que le déploiement de nouvelles lignes de cars express sera un vecteur assez important de créations d’emplois de conducteurs, mais aussi dans la maintenance, et que ces nouveaux services permettront de rendre le métier plus attractif. 

Un modèle de financement à trouver

Au final, le déploiement de ces nouvelles lignes de cars express dépendra, avant tout, de leur rentabilité économique. « Ces services doivent dégager un niveau de marge suffisant qui nous permette d’investir, sinon cela restera un bel instrument de communication », a insisté Stéphane Guenet. Ainsi, il a invité les autorités organisatrices à libérer les initiatives d’autant que l’État ne pourra pas tout financer.

Ingrid Mareschal a aussi évoqué deux pistes de financement possibles : le nouveau versement mobilité régional voté par la loi de Finances 2025 et le fonds social pour le climat qui sera abondé, à partir de 2027, par le marché des quotas carbone pour le transport. A ce stade, les acteurs attendent les conclusions de la conférence Ambition France Transports, lancée le 5 mai 2025. Les parties prenantes ont jusqu’à la mi-juillet pour repenser notre modèle de financement.

Florence Guernalec

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