Christophe-Coulon
Christophe Coulon
Vice-président de la Région Hauts-de-France en charge des mobilités, des infrastructures de transport et des ports

« Avec la SNCF, nous avons une sacrée reconquête de confiance à opérer »

Christophe Coulon explique que le nouveau contrat TER passé avec la SNCF sur le lot d’Amiens a permis de rééquilibrer les relations avec l’opérateur historique et d’élever les exigences sur la qualité de service.

Mobily-Cités : Comment est réparti le budget transport de la Région Hauts-de-France ?

Christophe Coulon : Notre budget s’élève à 1,3 Md€ par an : 700 M€ sont consacrés au ferroviaire, dont 180 M€ de recettes commerciales. Nous dépensons près de 400 M€ par an pour le transport scolaire qui est emprunté par 240 000 élèves/jour. Nous avions décidé de la gratuité de ce service lors du transfert de la compétence aux Régions prévu dans la loi NOTRe de 2017. Nous avons également la compétence de deux ports, Calais et Boulogne, ainsi que de deux aéroports, Beauvais et Lille.

Quels sont les investissements ferroviaires majeurs ?

La Région Hauts-de-France a investi 1,2 Md€ depuis 2018 dans 52 nouveaux trains. Nous avons notamment commandé des rames très capacitaires destinées à desservir la métropole de Lille et l’ « Y Picard » qui correspond à la desserte de la gare du Nord à Paris depuis les gares d’Amiens, Creil et Compiègne. Il faut y ajouter des investissements dans l’accessibilité des gares (65 M€ de crédits régionaux prévus au CPER 2021-27) même si ces infras ne nous appartiennent pas, et dans la régénération du réseau pour nos trains du quotidien : trois lignes de desserte fine du territoire sont actuellement en travaux, ce qui représente 51,4 M€ sur Douai-Cambrai ; 69,6 M€ sur Laon-Hirson et 3,9 M€ sur une première phase de travaux Boves-Compiègne, 100 M€ à mettre sur les lignes d’ici à la fin du mandat.

Quel premier bilan tirez-vous de l’ouverture à la concurrence des lignes de TER après l’attribution du premier lot, l’étoile d’Amiens, à la SNCF ?

Notre idée était de créer une émulation entre les candidats pour repenser le service. Sur le papier, nous ne sommes pas déçus. En outre, ce qui était impossible dans le cadre de la convention TER classique passée avec l’opérateur historique, nous l’avons obtenu dans le cadre de cet appel d’offres qui permet un dialogue plus équilibré : le nouveau contrat passé avec la SNCF comporte des engagements de régularité plus élevés, des pénalités bien plus importantes en cas de non-respect du contrat, mais aussi davantage de souplesse pour remodeler les lignes… En effet, nous souhaitons développer les relations interrégionales entre les deux anciennes régions du Nord Pas-de-Calais et de la Picardie, et repenser l’offre ferroviaire à l’échelle de la région Hauts-de-France en lien avec l’évolution du matériel et de la maintenance notamment… Au final, nous escomptons une amélioration du service aux voyageurs.

Pourtant, la Région part de loin sur la qualité de service…

Il est vrai que nous avons une sacrée reconquête de la confiance à opérer. La SNCF des Hauts-de-France vient de nous annoncer que le service annuel 2020 en termes de moyen matériel, main d’œuvre et de son organisation est réalisé depuis le 1er janvier 2024, soit avec quatre ans de retard ! La période Covid a entraîné une incroyable désorganisation : absence de plan de formation, maintenance mal faite, recrutement pas effectué, démotivation des cheminots…

Pourquoi la mise en concurrence du lot stratégique de l’étoile parisienne a-t-elle pris un an de retard ?

SNCF Ile-de-France a choisi unilatéralement de revoir les horaires, de sorte que cela a eu un impact sur les sillons disponibles. Nos données devenaient du même coup obsolètes. Au bout du compte, le nouveau contrat ne devrait pas démarrer avant 2027.

Comment les Hauts-de-France mènent ces appels d’offres sachant qu’il s’agit d’une procédure nouvelle pour les Régions ?

Nous échangeons sur les bonnes pratiques avec nos homologues au sein de Régions de France. Chaque collectivité a ses spécificités et fait ses choix. Nous avons décidé d’indemniser les opérateurs qui ne sont pas retenus à l’issue des appels d’offres, par exemple. Concernant le recours à des assistances à maîtrise d’ouvrage (AMO), il est important de s’entourer de conseils indépendants pour nous garantir une sécurité juridique et expertiser les offres, même si nous avons conscience qu’il existe une porosité entre le conseil et l’opérateur historique puisque le ferroviaire était traditionnellement de la compétence exclusive de la SNCF. Nous avons renforcé les équipes pour pouvoir assumer le rôle d’autorité organisatrice, c’est-à-dire prendre les décisions à la place de la SNCF jusque-là, à l’exception de l’organisation industrielle de la production qui est une responsabilité exclusive de l’opérateur. C’est à lui de proposer l’organisation qui permet de répondre aux exigences définies par la Région. 

La Région a lancé, en janvier 2021, une ligne Lille-Paris via Douai, Longueau et Creil qui circule le week-end. Le pari est-il concluant ?

Oui, les deux aller-retours chaque jour de week-end font régulièrement le plein. Nous nous sommes aperçus qu’il y avait une forte demande de mobilité le week-end à travers les déplacements en covoiturage. Le Covid a notamment eu pour effet de changer les habitudes. En outre, cette ligne permet de voyager moins cher qu’avec le TGV… Nous connaissons aussi un succès sur les lignes qui desservent Chantilly ou encore Villers-Cotterêts (Aisne) avec l’inauguration de la Cité internationale de la langue française. 

Nous nous orientons donc vers une augmentation du volume de trains le week-end par rapport au service annuel 2020. C’est un changement d’approche par rapport à une offre qui est aujourd’hui concentrée sur les déplacements pendulaires la semaine avec 1 220-1 240 trains par jour contre 450-600 le week-end… 

« Nous allons disposer sur le territoire de la plus grande régie de France issue de la fusion de celle du Pas-de-Calais (250 cars) et de l’Aisne (450) »

Quels sont les bénéfices attendus de la ligne nouvelle Roissy-Picardie de 6,5 km qui doit être mise en service début 2027 ?

C’est l’aboutissement d’un combat de quinze ans qui comporte un double enjeu. C’est d’abord la réparation d’une injustice pour la Picardie qui n’a pas accès à la grande vitesse : la ligne nouvelle Roissy-Picardie reliera le département aux TGV qui desservent Strasbourg, Marseille, Bordeaux sans passer par les gares parisiennes. En outre, cette ligne va faciliter l’accès à la première plateforme économique de Roissy aux personnes vivant dans l’Oise et jusque dans l’Aisne. Ce seront au total 17 allers-retours par jour entre Creil, Chantilly, Pont Sainte-Maxence et Roissy qui pourront être prolongés jusqu’à Saint-Quentin dans l’Aisne. 

Quelle est la part des collectivités dans le financement de cette ligne Roissy-Picardie ?

Nous sommes parvenus non sans difficultés à trouver un accord sur son financement pour un montant de 540 M€ annoncés à l’achèvement… Les collectivités (Région, département, intercommunalités) devraient signer, en avril 2024, un protocole financier avec SNCF Réseau. Les Hauts-de-France participeront à hauteur de 70% de la part des collectivités, soit 145 M€ pour financer l’infrastructure. Parallèlement, nous avons acheté 11 trains Regio 2N supplémentaires qui font partie du lot des 52 commandés, soit un investissement de 180 M€. Il conviendra aussi d’y ajouter les coûts de fonctionnement lors de la future ouverture à la concurrence du lot très sensible de la desserte parisienne… 

Où en est le projet de Service express régional métropolitain (SERM) de Lille ? 

Contrairement aux premiers projets imaginés voici dix ans, son rayonnement dépassera la Métropole. Notre ambition vise notamment à consolider les liens avec les villes de Valenciennes, Arras et pourquoi pas Dunkerque. Cela représentera un choc d’offre, donc de matériel, pour la Région. L’investissement est évalué à près de 7,5 Md€ (valeur 2020). Dans le volet Mobilité du Contrat de plan Etat-Région (CPER), 128 M€ est consacré aux études préfiguratrices. Par ailleurs, une équipe d’une dizaine de personnes de la Société des Grands Projets travaille d’ores et déjà sur ce SERM de Lille.

Quelle est la place des autocars dans la stratégie mobilité de la Région Hauts-de-France ?

En infrarégional, il existe une vraie complémentarité avec le train sur un territoire de 32 000 km2 comme le nôtre, à comparer au 84 000 km2 de la Nouvelle-Aquitaine par exemple : l’autocar interurbain rend un bien meilleur service pour se déplacer entre les villes de notre territoire que le train, d’autant que le trajet coûte 1 € à l’usager. 

En outre, nous allons disposer sur le territoire de la plus grande régie de France issue de la fusion de celle du Pas-de-Calais (250 cars) et de l’Aisne (450). Nous avons engagé une réflexion sur la disponibilité de ce matériel en dehors de la période scolaire, car nous avons l’ambition de développer ce service. 

Nous devons aussi nous réinventer dans un contexte où le ZAN [zéro artificialisation nette, NDLR] nous conduit à construire des usines sans parking comme la gigafactory à Dunkerque. De même, l’instauration de ZFE dans les métropoles implique de réexaminer l’agencement des espaces publics et plus largement de réorganiser l’habitat.

« Le nouveau contrat avec la SNCF comporte des engagements de régularité plus élevés, des pénalités bien plus importantes, mais aussi davantage de souplesse pour remodeler les lignes  »

Quelles sont les énergies choisies par la Région pour ses cars et ses trains ?

Nous disposons de 200 installations biogaz en Hauts-de-France, ce qui s’explique notamment par l’importance d’une activité agricole sur notre territoire : nous poussons donc cette énergie pour nos autocars, ce qui nous permet de faire du circuit court. Parallèlement, nous expérimentons actuellement des trains bi-mode alimentés par du diesel et du gaz, et d’autres électriques à batterie et au gaz. Nous avons renoncé au train à hydrogène, car cette énergie ne permet pas de faire rouler de trains capacitaires 6 caisses (1240 places) dont nous avons besoin pour nos liaisons du cœur des Hauts-de-France vers la gare du Nord à Paris.

 

Comment la Région développe-t-elle le covoiturage sur son territoire ?

Le syndicat mixte de type SRU Hauts-de-France Mobilités que je préside joue un rôle en termes d’ingénierie publique : nous travaillons actuellement sur l’amélioration des aires d’accueil situées sur les axes structurants de covoiturage liés aux flux pendulaires. Alors que les collectivités locales avaient créé des espaces de stationnement sans vision d’ensemble, nous souhaitons faire émerger des schémas interurbains et interdépartementaux des aires d’accueil. 

Nous nous occupons aussi de la promotion du covoiturage et des campagnes de communication pour nos AOM adhérentes afin d’inciter les usagers à utiliser ce service et à le faire connaître aux entreprises de notre territoire. 

La Région a instauré, en 2016, une aide transport aux particuliers de 20 € par mois. Quel bilan faites-vous de cette aide ?

Depuis 2016, nous dénombrons 329 296 aides accordées, 170 084 bénéficiaires pour un montant global de 63 M€. Sur l’année 2023, nous avons atteint 59 000 aides pour un coût de 13,5 M€. Rappelons que ce dispositif s’adresse aux personnes qui travaillent, se forment et aux étudiants en apprentissage. Son objectif est de soutenir le pouvoir d’achat de ceux qui ne vivent pas à proximité d’une gare ou d’une ligne de transport en commun adaptée à leurs déplacements pendulaires.

« Nous souhaitons faire émerger des schémas interurbains et interdépartementaux des aires d’accueil de covoiturage »

Quelles sont les dernières étapes à franchir dans la mise en œuvre de la LOM ?

Nous avons fortement avancé. Les bassins de mobilité ont été déterminés : nous menons actuellement des études sur les besoins de mobilité dans ces bassins auprès des élus, entrepreneurs, usagers… Nous sommes, à ma connaissance, la seule Région métropolitaine à avoir construit en même temps les contrats opérationnels de mobilité et les Plans d’action communs en faveur de la mobilité solidaire. Mi-mars, nous réunirons pour la deuxième fois le comité des partenaires…

La LOM présente l’avantage de croiser les regards entre les élus des territoires ruraux et ceux des villes et métropoles : cela nous permet de mieux nous emparer de certaines problématiques, notamment sur les territoires peu denses. La Région contribue par son ingénierie publique à aider ces territoires à trouver des solutions de mobilité et à favoriser le report modal. 

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