« La qualité du maillage breton permet les mobilités du quotidien »
Lignes de dessertes fines, routes, aéroports… le conseil régional de Bretagne a des positions claires sur le partage des responsabilités avec l’Etat. Tout en dénonçant l’absence de moyens supplémentaires attribués aux régions depuis la LOM, son vice-président, Michaël Quernez, explique comment la Bretagne a pris une longueur d’avance en matière de titre unique de transport avec KorriGo, commun aux TER, à certaines lignes de cars et réseaux urbains.
Propos recueillis par Marc fressoz
Mobily-Cités : La Bretagne est l’une des rares régions à prolonger le plus longtemps possible le monopole de la SNCF sur le TER. Pourquoi ?
Michaël Quernez : Nous avons la chance d’avoir d’excellentes relations historiques avec la SNCF, d’avoir des cheminots très professionnels, investis au quotidien, attachés à leur outil de travail et à la Bretagne. La convention TER court jusqu’en 2028. Une autre convention nous lie pour prolonger les services TGV jusqu’à la pointe de la Bretagne moyennant 12 M€. Nous voyons la mise en service de Ouigo entre Paris et la Bretagne comme un facteur d’attractivité. La fréquentation des TER, dont nous finançons le fonctionnement à hauteur de 110 M€ par an, a augmenté de 28% entre octobre 2019 et 2022, davantage que l’accroissement de l’offre. On a donc du mal à absorber ce trafic, et 15% des trains sont saturés. D’où notre décision de passer commande de 6 nouvelles rames Regio 2N en 2023. Nous avons également racheté des rames AGC bibi [bi-mode et bi-courant, NDLR] à la Région Île-de-France pour les affecter notamment dès cette année sur la ligne Rennes-Châteaubriant.
Le ferroviaire n’est-il pas un engrenage sans fin pour les régions ?
Lors de la mission Philizot menée sous le précédent quinquennat, l’État a proposé de déclasser deux lignes, Morlaix-Roscoff et Auray-Quiberon, et de nous les transférer. La Région Bretagne a refusé, car ce n’est pas le modèle que nous poursuivions. Il faut être clair sur les dessertes fines : il s’agit bien d’infrastructures nationales et il appartient à l’État et à SNCF Réseau d’en assumer la responsabilité, et donc l’entretien la régénération et la modernisation, le Conseil régional de Bretagne venant avec les territoires en accompagnement des investissements.
Ce modèle contractuel avec cofinancements nous va très bien. Quand bien même nous sommes parfois le financeur majoritaire. Ces dernières années, la Bretagne a ainsi beaucoup investi dans les infrastructures pour les conserver et les mettre à niveau.
Mais tout le monde sait que le modèle actuel de financement des transports a atteint ses limites. La Première ministre et son ministre des Transports l’ont reconnu au congrès des Régions à Vichy, fin 2022. La logique actuelle de financement des mobilités n’a en effet ni queue ni tête. La ressource fiscale qui repose sur la carte grise ou sur la TICPE devrait nous inciter à privilégier l’automobile, et les gros véhicules qui ont une forte consommation de carburant. Or, il y a une envie grandissante de train et de transports décarbonés chez les citoyens. En tout état de cause, les Régions n’ont pas aujourd’hui les ressources nécessaires pour assumer le saut d’offre nécessaire attendu par nos concitoyens.
A l’avenir, vous souhaitez garantir une bonne articulation entre dessertes nationales et dessertes locales. Comment ?
Cela reste l’enjeu des prochains contrats de plan Etat-Région (CPER). La grande force de la Région Bretagne, c’est d’être bien connectée et d’avoir un maillage qui permet les mobilités du quotidien et assure la cohésion, pour éviter les « oubliés de la République ». Jean-Yves Le Drian [président de la région de 2004 à 2017, NDLR] s’était battu pour que la Bretagne intérieure reste proche des grands centres de décisions, et donc de Rennes et de Paris, qui est à 1h30 de Rennes. Et quand les horloges ont été remises à l’heure à l’arrivée du TGV en 2017, il y a eu de nombreux échanges avec la SNCF afin de ne pas dégrader le service de proximité et de desserte de nos petites gares. L’effet de la grande vitesse se mesure très bien jusqu’à Saint-Malo et jusqu’à Lorient. Mais la pointe finistérienne reste mal desservie. Il nous faut plus cadencer et gagner encore en régularité. Cela passe notamment par la mise en œuvre des nouvelles technologies. La France doit en effet rattraper son retard le retard sur l’ERTMS, qui permet de faire circuler davantage de trains.
Comment s’est déroulée la prise de compétence Mobilité par les communautés de communes en Bretagne ?
A la Région, nous sommes chefs de file, et 56 des 60 EPCI concernés se sont saisis de cette compétence. Nous sommes ainsi garants de la cohésion sociale et territoriale, garants de l’unicité du réseau pour les cars et garants de la qualité des transports en commun, en partenariat avec les territoires et notamment les territoires historiques que sont nos métropoles et nos agglomérations, qui ont des réseaux de transport depuis longtemps. Pour ce qui est des collectivités de plus petite taille qui ont pris la compétence, ce n’est parfois pas évident car elles ne disposent pas toujours de l’ingénierie nécessaire : nous venons donc en renfort, mais on ne pourra pas développer éternellement l’offre sur nos fonds propres !
La création du syndicat Bretagne Mobilités répond à plusieurs des problématiques indirectes de la LOM : en plaçant le niveau de discussion à l’échelle du bassin de mobilité pour mieux coordonner les réseaux, en laissant les élus autour de la table décider s’ils souhaitent lever du versement mobilité additionnel pour financer du renfort d’offre, en mutualisant notre ingénierie et nos données pour mieux piloter nos réseaux. Cela me semble être le sens de l’histoire.
Tout semble converger pour pousser les Autorités organisatrices de mobilités (AOM) à solliciter davantage l’usager. Qu’en pensez-vous ?
Entre, d’un côté, la Cour des comptes qui, dans son dernier rapport sur le financement des mobilités, dit que la part des usagers doit être plus importante, et, de l’autre, certains territoires qui vont vers la gratuité, il faut trouver un chemin de crête sur la juste contribution de l’usager. Chez nous, la part des coûts couverte par l’usager est de 30% en moyenne, 10% pour les abonnés, 40% pour les occasionnels. Élu depuis 20 ans, je ne connais pas un seul service public gratuit. Qui paye ? Les entreprises à travers le Medef ont prévenu : pas question d’aller plus loin sur le versement mobilité. C’est donc le contribuable qui paierait tout via le budget général de la collectivité dans laquelle il vit ? Mais à ce moment-là, quels sont les autres services publics que nous serions obligés de dégrader pour les mêmes personnes ? C’est bien le débat de fond.
Pour décarboner l’autocar, quelle est votre stratégie ?
Nous testons toutes les solutions, l’électrique, l’hydrogène mais nous avons fait le choix du bioGNV. En Ille-et-Vilaine, notre régie de transport Illevia nous permet ainsi d’expérimenter le passage massif au bioGNV, que nous imposerons dans le cahier des charges de prochaines DSP. Il s’agit alors de disposer d’un réseau d’avitaillement pour éviter une rupture de charge dans le déplacement. C’est notre responsabilité d’avoir une vision globale et de savoir où seront situées les stations, qu’elles soient publiques ou publiques-privées.
Comment procédez-vous pour proposer une offre harmonisée identifiable par l’usager ?
BreizhGo est la marque régionale que l’on est en train de déployer sur tout le territoire : trains, cars et bateaux. Le sujet n’est pas tant la marque que la parfaite connexion entre réseaux régionaux et réseaux urbains et ruraux des territoires. Nous avons déjà une certaine habitude de discuter avec l’ensemble des collectivités de Bretagne, et notamment avec celles qui font partie du collectif KorriGo. Cette carte de déplacement permet d’utiliser les TER, les cars BreizhGo en Ille-et-Vilaine et plusieurs réseaux urbains, Vannes et Lannion étant les prochains à être intégrés. Au-delà, la création en septembre 2024 du syndicat Bretagne Mobilités nous permettra de porter les sujets de MaaS, de billettique, de communication, d’interopérabilité pour qu’à terme l’usager breton puisse aller d’un réseau à un autre sans couture.
Comment voyez-vous l’avenir de vos aéroports ?
La Bretagne est propriétaire de quatre plateformes aéroportuaires, Brest, Quimper, Rennes et Dinard, dont la gestion est déléguée par DSP. Nous allons bâtir une stratégie régionale aéroportuaire qui devrait être fin 2023-début 2024. Elle portera sur l’ensemble des plateformes aéroportuaires en Bretagne et permettra de penser leur devenir, la cohérence et la complémentarité entre elles.
Tenez-vous compte de l’avenir de l’aéroport Nantes Atlantique ?
Notre stratégie régionale serait bancale si nous n’avions pas un regard sur ce qui va se passer à Nantes, à la suite de l’abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes. Elle tiendra bien sûr compte de ce qui se joue en ce moment dans la discussion entre l’État et son futur concessionnaire pour l’aéroport de Nantes-Atlantique, car le premier aéroport des Bretons, c’est Nantes.
Pourquoi faites-vous aussi de vos aéroports un sujet de transition énergétique ?
Il y a en effet des enjeux de transition énergétique. Nous avons annoncé un grand plan solaire sur ces plateformes. Nous sommes propriétaires d’un foncier majeur qu’il faut utiliser à plein pour installer des panneaux photovoltaïques. Le potentiel identifié est énorme. C’est 40% de l’énergie solaire actuelle en plus grâce à nos plateformes aéroportuaires.
La dernière loi de décentralisation donne la possibilité à une Région de récupérer des routes nationales. Avez-vous été tentés ?
On a dit non dès le départ. C’est toujours la même question. L’Etat a cette fâcheuse tendance à transférer des compétences sans en donner les moyens. L’autre question importante qui se pose, c’est l’unicité du réseau routier. En Bretagne, imaginez un patchwork de compétences sur un réseau de routes. Personne, région ou départements, n’a finalement levé le doigt en Bretagne pour récupérer des routes.